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Immigrés et nationaux : tous égaux face à la santé ?
13.05.2020, par Marwân-al-Qays Bousmah, Simon Jean-Baptiste Combes, Mohammad Abu Zenaih, Claire Lapique
Mis à jour le 13.05.2020

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Même si les immigrés arrivent en Europe avec une meilleure santé que celle des nationaux, leur séjour dans le pays d’accueil les handicape davantage. Selon Marwân-al-Qays Bousmah, Simon Combes et Mohammad Abu-Zaineh, plus la durée de ce séjour est longue, plus leur santé se détériore. Au-delà du tissu social, les discriminations s’immiscent-elles jusque dans les tissus corporels ? 

A leur arrivée en Europe, les immigrés sont généralement en meilleure santé que les citoyens nationaux. Bien que ce résultat puisse bousculer l’imaginaire collectif de la migration, il s’explique, selon les chercheurs, par un « biais de sélection ». « N’est pas migrant, qui veut l’être » développe l’économiste Simon Combes. Se lancer requiert des aptitudes physiques et une bonne dose d’efforts pour entamer les démarches. Ainsi, selon les auteurs Mathieu Ichou et Matthew Wallace, les immigrés sont majoritairement mieux éduqués que le reste de la population dans leur pays d’origine1. Une meilleure éducation va de pair avec une meilleure santé, ce qui explique ce « filtre » au départ migratoire, dans la majorité des cas. 

Cet « effet de santé positif » de la migration permet de comprendre les différences entre immigrés et nationaux. Les économistes Marwân-al-Qays Bousmah, Simon Combes et Mohammad Abu-Zaineh ont d’ailleurs conclus au même résultat en étudiant plus de 100 000 individus de plus de 50 ans dans 19 pays européens. 

Prise de température 

Bien sûr, certaines routes migratoires sont chaotiques et dangereuses. D’ailleurs, les chercheurs ne sont pas unanimes sur cet effet positif qui reste variable selon le contexte et l’époque. Une étude de Berchet et Jusot2 montre que l’effet se vérifie pour les immigrés qui se sont installés avant la crise économique du milieu des années 1970. Dans leur article, Marwân-al-Qays Bousmah, Simon Combes et Mohammad Abu-Zaineh étudient une population âgée de 50 et plus suivie entre 2004 et 2013. Parmi cette population, les immigrés sont arrivés dans le pays d’accueil en grande partie entre 1960 et 1980. Chaque vague migratoire a donc ses propres particularités et ces conclusions ne peuvent donc être transposées à la période actuelle. Au-delà de l’époque, l’origine influence aussi le résultat final en définissant les motivations à l’émigration et en donnant lieu à des parcours migratoires plus ou moins semés d’embuches. 
Mais si la santé des immigrés est meilleure par rapport à celle des nationaux au moment de l’arrivée en Europe, comment évolue-t-elle par la suite ?

Infographie sur l'origine des migrants

Avoir le mal du pays 

Loin d’être une cure de santé, le séjour dans le pays d’accueil peut entrainer une détérioration/ dégradation de l’état de santé. Les auteurs montrent ainsi que, même s’ils arrivent en meilleure santé, celle-ci se dégrade au fil du temps, jusqu’à rejoindre le niveau de santé des nationaux. 

Qu’il s’agisse de l’état de santé perçue (après auto-évaluation), de l’indice de masse corporelle, de la survenue de maladies chroniques, de la santé mentale ou encore de la difficulté d’effectuer les activités quotidiennes, toutes ces mesures se détériorent avec la durée de séjour des immigrés plus rapidement que pour les nationaux. Leur santé se détériore jusqu’à atteindre, après 18 à 21 ans passés dans le pays d’accueil, celle des nationaux. Les immigrés qui restent la plupart de leur vie dans le pays d’accueil ont 11,3% de risque en plus de reporter un mauvais état de santé par rapport à ceux qui sont arrivés récemment. Avec le temps, les immigrés attraperaient-ils le mal du pays ? 

Dis-moi d’où tu viens, je te dirais si tu vas bien 

L’état de santé évolue différemment selon le pays d’origine des immigrés. Même si globalement, ils arrivent en meilleur santé, la richesse  de leur pays d’origine (au sens de l’Indice de Développement Humain, IDH) a un impact sur l’importance de la détérioration de leur santé. Les auteurs se penchent donc sur les différences qui existent entre pays à IDH élevé et pays à IDH faible. En évitant la comparaison pays par pays, cette approche ne tombe pas dans le biais culturaliste qui conduirait à essentialiser les différences observées en les considérant liées à la nationalité des immigrés, et donc, à la culture de ceux-ci.  

Plus le pays d’origine est pauvre, plus la santé de l’immigré se détériore rapidement et rejoint l’état de santé des nationaux. Par exemple, les immigrés originaires de pays à faible IDH auraient tendance à développer des maladies chroniques plus rapidement que ceux qui viennent de pays à IDH élevé. Cela n’a rien de surprenant pour les auteurs : ces derniers sont en effet plus nombreux à occuper des postes peu qualifiés, aussi appelés « 3D jobs » pour « dirty, dangerous and demeaning » (malsains, dangereux et dégradants). 

Infographie sur la dégradation de la santé des migrants et ses causes
Le malade imaginaire, discriminé ? 

En bonne santé à l’arrivée et disposant de systèmes médicaux avancés : tout porte à croire que les immigrés devraient conserver la différence qui s’observe avec les nationaux. Pourquoi, lorsqu’ils s’établissent longtemps, voient-ils leur santé se détériorer davantage ?

Nous ne sommes pas tous égaux face à la santé. La discrimination et le racisme s’inscrivent dans les corps. En termes de soin et de conditions de vie, le parcours de santé des immigrés s’avère plus chaotique. Les droits et les avantages sociaux s’appliquent de façon asymétrique entre nationaux et immigrés. Et le système d’accès aux soins pourrait bien être davantage émaillé si l’on en croit les récentes orientations gouvernementales concernant la Protection Universelle Maladie (PUMa), anciennement CMU. Cette PUMa permet aux demandeurs d’asile de disposer de la sécurité sociale. L’exécutif prévoit d’introduire un délai de trois mois avant que le demandeur ne puisse accéder à cette aide pour éviter les « touristes médicaux ». Une disposition qui allongerait les démarches et rendrait le parcours de santé encore plus long et compliqué pour les étrangers. 

La détérioration plus rapide de la santé des immigrés jette la lumière sur ces « deux poids deux mesures » existant dans le système de santé ou agissant sur les conditions de vie des immigrés (au travail, dans le logement…). En pointant du doigt ces inégalités, les auteurs ajoutent que la santé touche au domaine de la justice sociale tout comme de l’économie. Une population en bonne santé contribue à la croissance tandis que les maladies génèrent des dépenses liées aux soins et aux traitements. A termes, le vieil adage « il vaut mieux prévenir que guérir » n’a, lui, pas pris une ride. 

Référence :
Bousmah M.-a.-Q., Combes J.-B.S., Abu-Zaineh M, 2019, “Health differentials between citizens and immigrants in Europe: A heterogeneous convergence”, Health Policy, 123(2), 235-243

Notes :
 1. Les auteurs utilisent l’enquête Trajectoire et Origines (TeO) combinée avec des données qui donne le niveau d’éducation médian des pays d’origine et qui permet de positionner les immigré.e.s présents dans TeO s’illes sont au-dessus ou en dessous de ce niveau. Ichou Mathieu, Wallace Matthew, 2019, « The Healthy Immigrant Effect: The role of educational selectivity in the good health of migrants », Demographic Research, 40, 4, p.61,94. 
 2. Berchet C, Jusot F. 2012, « Inégalités de santé liées à l’immigration et capital social: une analyse en décomposition. » Économie PubliquePublic, 24–25:73–100.

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