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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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La Banque centrale peut-elle encore jouer les héros face à la dette actuelle et à venir ?
10.06.2020, par Gilles Dufrénot et Claire Lapique
Mis à jour le 10.06.2020

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Comment faire face à la crise économique qui nous attend ? L’histoire nous donne quelques clefs. Depuis la crise financière de 2008, les États industrialisés ont parfois fait appel aux « superpouvoirs » des Banques Centrales pour racheter une partie de leurs dettes et ainsi éviter le phénomène d’étranglement par la dette. De telles pratiques ont fait craindre un retour de l’inflation et une menace de l’indépendance des autorités monétaires. Elles sont pourtant bénéfiques dans le contexte actuel, selon les économistes Gilles Dufrénot, Fredj Jawadi et Guillaume A. Khayat. 

L’arrêt de l’économie en Europe imposée par les mesures de confinement pour se protéger du Covid-19 fait planer une crise économique retentissante. Dans une époque récente, la crise financière de 2008 a fait ployer les États sous le poids de la dette. Celle-ci s’est matérialisée en Europe par une grave crise des dettes publiques en 2010. La Grèce s’est rendue tristement célèbre en se révélant incapable de soutenir sa dette. Elle a été en première ligne d’un large plan d’austérité pour éviter qu’elle ne fasse défaut. L’insolvabilité d’un État porte de sérieux préjudices. C’est un signal d’instabilité très fort et, sur le marché financier, peu sont les investisseurs qui lui prêterait dans ces conditions. C’est pourtant en empruntant qu’un État réalise ses dépenses et ses investissements. Dans une telle situation, il se retrouve isolé et ne peut plus compter que sur ces recettes. Ce type de crise risque d’être le lot d’un certain nombre d’États dans les mois à venir. Alors comment assurer la solvabilité de ces derniers ? 

La solvabilité de l’État est une marque de bonne santé économique d’où découle un cercle vertueux. Plus un État est solvable, plus il peut refinancer de nouvelles dettes en empruntant à des taux d’intérêt relativement bas comme c’est le cas de l’Allemagne qui inspire confiance aux marchés financiers. 

L’État ne remboursera jamais sa dette ! 
Avec une dette atteignant les 200% du PIB, le Japon est un cas spectaculaire. Pourtant, les autorités nippones sont loin d’en avoir des sueurs froides. On imagine mal qu’un jour, l’État japonais puisse rembourser l’intégralité de sa dette, soit l’équivalent de deux fois son PIB. En réalité, aucun État n’est incité à le faire. A la différence d’un individu, la dette d’un État n’a pas pour objectif d’être résorbée. En tant qu’entité publique, l’État est immortel (son horizon de vie est infini) et il n’a pas vocation à rembourser l’intégralité de cette dette. Au contraire : disposer d’une dette est une situation normale. Ce qui importe c’est d’assurer la solvabilité de la dette. Un État qui peut rembourser régulièrement les intérêts de sa dette est un État qui peut emprunter.

 

Soutenables, à tout prix ? 

Pour résorber sa dette, l’État et ses concitoyens y compris, doivent se serrer la ceinture. Cela peut se faire en augmentant les impôts ou en réduisant les dépenses par exemple, comme le ferait une politique d’austérité. Difficile de comprendre comment une notion aussi abstraite que la dette puisse contraindre les citoyens dans leur quotidien. Mais gérer la dette n’est pas qu’une question économique, « elle relève aussi d’un contrat social » comme l’explique Gilles Dufrénot. Lorsqu’un pays ne stabilise pas sa dette, cela se répercute par des instabilités chroniques. 

Quels sont les sacrifices que la population est prête à faire pour conserver une stabilité économique et une croissance à long-terme ? Le mouvement des Gilets jaunes a montré les limites fixées par la population française. La suppression des services publics et des acquis sociaux a fait naître la colère des premiers concernés qui n’entendaient pas répondre à ce qu’ils considèrent comme un diktat de la dette publique. 

Un tel exemple montre les obstacles qui barrent la route au gouvernement lorsqu’il s’agit d’agir contre le surendettement. A la suite de 2008, d’autres moyens ont été trouvés pour atténuer le problème. Les exécutifs européens ont fait appel à la Banque Centrale Européenne. Mais là non plus, ces pratiques ne font pas l’unanimité. 

Photo de coffres de banque

La Superbanque au secours de l’État ? 

La manière dont les États ont résorbé la crise de 2008 a plongé dans l’embarras ceux qui plaidaient pour une stricte indépendance de la Banque Centrale Européenne, comme c’est le cas depuis 1993 avec la Banque de France. La BCE est venue à la « rescousse » des États pour assurer leur solvabilité. Elle a réagi via des politiques non-conventionnelles, ce qui a conduit de facto à une situation que les économistes appellent la « dominance budgétaire ». 

Ces opérations chirurgicales sont censées être exceptionnelles mais elles ont duré dans le temps. Elles ont fait craindre la réapparition d’une « répression financière » (comme cela avait été observé parès la seconde guerre mondiale dans les années 1950 à 1980), autrement dit, d’une mainmise étatique dans le système financier. 

Les superpouvoirs de la Banque centrale  
La banque centrale est le chef d’orchestre de la politique monétaire et les banques commerciales s’adaptent aux rythmes de ses directives. La Banque centrale applique un taux directeur - un taux d’intérêt - qu’elle impose aux banques commerciales lorsque celles-ci lui empruntent de l’argent. C’est le prix de l’emprunt. Ce taux directeur se répercute donc directement sur les crédits que les banques proposent aux ménages et entreprises. Lorsque la Banque centrale diminue son taux directeur cela permet de relancer l’économie, en octroyant plus facilement de crédits (ils sont alors moins chers). Avec la crise, la Banque a ramené son taux directeur à un niveau proche de zéro mais cela n’a pas suffi à rassurer les marchés financiers. Il fallait un véritable coup de pouce. Elle a alors emprunté les canaux non-conventionnels du « quantitative easing » en rachetant de façon massive les obligations d’États des banques commerciales pour renflouer leurs caisses. Celles-ci peuvent alors souffler : elles disposent de plus de liquidités qu’elles injectent alors dans l’économie, grâce à l’octroi de crédits. 

Pour les détracteurs de la dominance budgétaire, la Banque centrale n’a pas à financer le déficit budgétaire de l’État, même indirectement en rachetant des titres de dettes publiques sur les marchés secondaires. Ils craignent en effet que cette aide ne le conduise à se « reposer sur ses lauriers ». Il pourrait alors dépenser sans compter car il sait qu’à tout moment, il peut compter sur sa Banque centrale.  Historiquement, ce type de comportement s’est traduit par des situations d’hyperinflation. Pour satisfaire leur population ou se voir réélire, les gouvernements ont alors fait marcher « la planche à billet » sans être inquiétés. 

Faut-il craindre la dominance budgétaire ? 

Selon Gilles Dufrénot, la « dominance budgétaire » s’avère pourtant bénéfique dans la majeure partie des pays démocratiques et industrialisés, du moins, à l’heure actuelle. Dans ces pays, le risque d’abus est relativement faible car la dette est considérée comme un bien commun dont les générations futures héritent. D’autant que des règles institutionnelles ont été mises en place comme c’est le cas dans la zone euro, où les États membres sont contraints à respecter un niveau de dettes et de déficit budgétaire à ne pas dépasser (60% du PIB pour la dette et 3% pour le déficit public de l’État). Autrement dit, ils ne peuvent pas dilapider à tout va. 

Dans leur article, les auteurs proposent un modèle de dominance budgétaire dans le cadre d’une inflation régulée. En règle générale, l’inflation n’est pas un mal absolu, elle est même recherchée par les gouvernements. En Europe par exemple, les États membres établissent un objectif minimum fixé à 2% d’inflation par an. Une déflation alourdit le fadeau de l’endettement. Elle déprécie la valeur monétaire. Un euro demain vaut moins qu’un euro aujourd’hui ce qui rend d’autant plus difficile le remboursement de la dette. 

A l’inverse, l’excès de masse monétaire en circulation engendre une hausse considérable des prix si elle n’est pas contrôlée. La situation actuelle est toutefois loin de susciter l’inquiétude des économistes. « À moins que ne survienne une catastrophe imprévue, tout indique qu’il n’y aura pas d’inflation pour les 3 à 4 décennies qui arrivent. C’est même plutôt le contraire : la tendance est à la déflation aujourd’hui » explique Gilles Dufrénot. Dans la conjoncture actuelle, l’hyperinflation a donc de très faibles chances de se produire. Les Banques centrales cherchent même à générer de l’inflation pour résorber la crise.

Photo de l'évolution de cours boursiers

Inflation sous contrôle

Pourquoi n’y arrivent-elles pas ? L’inflation est liée à la demande : en augmentant l’offre de crédits, les banques assurent aux ménages et entreprises la possibilité de consommer, ce qui devrait faire augmenter les prix. Mais c’est sans compter la compétition internationale qui a tendance à réduire les prix en jouant sur la concurrence. Il faut ajouter à cela l’impact de la mondialisation sur la transformation de la nature du travail. La tendance à la flexibilisation modifie les contrats de travail, pour passer du salariat à l’ubérisation, l’intermittence ou encore l’enchaînement des contratscourts. En émiettant le salariat, les ménages ont des revenus plus faibles qui peuvent ralentir la consommation. 

Tout autant de raisons qui poussent à soutenir les politiques monétaires des Banques centrales dans les pays industrialisés qui s’efforcent d’assurer un minimum d’inflation. Pour les auteurs de l’article, la dominance budgétaire est une réponse possible pour résorber la dette publique à la condition que cet objectif s’inscrive dans un « pacte social ». La dette est un bien commun que les États doivent manier avec prudence car, à long terme, le surendettement n’est bénéfique pour personne. 

Référence
Dufrénot G., Jawadi F., Khayat G.A., 2018, "A model of fiscal dominance under the “Reinhart Conjecture”," Journal of Economic Dynamics and Control, 93(C), 332-345

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