Donner du sens à la science

A propos

Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

Les auteurs du blog

Plus d'informations sur l'équipe de rédaction et le comité éditorial : www.dialogueseconomiques.fr/a-propos

A la une

Les États-Unis ont-ils exporté leur taux d’obésité au Mexique ?
16.03.2022, par Claire Lapique, Lorenzo Rotunno
Mis à jour le 21.03.2022
Au Mexique, près de 75 % de la population adulte présente des signes d’obésité ou de surpoids. Un problème de santé publique qui, selon trois économistes, serait lié à l’afflux de produits transformés issus de l’industrie agroalimentaire des États-Unis.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

De 1988 à 2012, le taux d’obésité chez les femmes mexicaines est passé de 10 à 35 %. Dans le même temps, le Mexique est entré dans une phase de libéralisation économique accrue en concluant l’ALENA, un accord commercial avec les États-Unis et le Canada. La pénétration des produits états-uniens sur le marché mexicain explique jusqu’à 20 % de l’augmentation de l’obésité observée chez les femmes mexicaines, selon les économistes Osea Giuntella, Matthias Rieger et Lorenzo Rotunno.

Au pays du maïs, il est devenu plus difficile de trouver des produits locaux, frais et bon marché que des aliments transformés. Pourtant, le pays compte près de soixante-quatre variétés de maïs différentes ; des bleus, des rouges, des blancs, des jaunes, il y en a pour tous les goûts et les couleurs. Traditionnellement, le maïs se cultive à travers la « milpa », aussi connu sous le nom des trois sœurs, un système de permaculture qui associe maïs, haricot noir et courgette. Ce modèle d’agriculture forme un des écosystèmes les plus riches et complexes sur le plan de la biodiversité, et il offre aussi un apport nutritionnel équilibré. Malgré ses atouts, il fait aujourd’hui face à une concurrence de taille : l’industrie agroalimentaire et ses aliments transformés, ainsi que la multiplication de l’utilisation d’OGM. L’inondation de ces nouveaux produits sur le marché a conduit à un changement d’habitudes alimentaires considérable, ce qui n’a pas tardé à avoir des répercussions néfastes sur la santé de la population. Le Mexique compte près de 75 % d’obésité ou surpoids au sein de sa population adulte1 , ce qui le place au premier rang mondial de l’obésité chez l’enfant, et au second chez l’adulte. Une urgence sanitaire qui pèse gros sur la balance2.

galerie d'épis de mais de couleurs variées illustrant la diversité des variétés de cette espèce

Galerie d'épis de maïs de couleurs variées illustrant la diversité des variétés de cette espèce. © Feria de Productores CC-BY-2.0

En quelques décennies, l’obésité est devenue un ennemi public, non seulement pour les pays riches, mais aussi pour les pays en développement. Ces derniers ont vu leur taux de surpoids tripler depuis les années 1980 alors qu’au même moment, leur intégration au sein du commerce international ne faisait que croître. Beaucoup d’experts se sont alors penchés sur le lien existant entre globalisation et problèmes de santé alimentaires.

Les économistes Osea Giuntella, Matthias Rieger et Lorenzo Rotunno se sont intéressés aux relations commerciales entre le Mexique et les États-Unis. En effet, depuis les années 1990, les exportations états-uniennes au Mexique ont explosé, surtout en ce qui concerne les biens alimentaires : une conséquence de l’Accord de libre-échange nord-américain, ALENA, signé en 1994. En 2012, les produits alimentaires (nourritures et boissons) états-uniens représentaient 75 % du total des importations mexicaines. Ils occupaient alors 8 % du total des dépenses des ménages mexicains, contre 2 % en 1989 ! Ces chiffres font des États-Unis le premier fournisseur de produits alimentaires au Mexique avec une place prépondérante dans la balance des ménages.

Le souci c’est que la plupart des produits états-uniens sont « transformés » et par conséquence de leur fabrication industrielle riches en sucre, graisse et en sel, les rendant particulièrement mauvais pour la santé. Cela peut d’ailleurs se refléter au sein de la population états-unienne, puisqu’elle détient le taux de prévalence de l’obésité le plus élevé parmi les membres de l’OCDE (2017). Alors, en même temps que les produits alimentaires, les États-Unis ont-ils aussi exporté leur taux d’obésité ?

Rayon de supermarché remplis d'aliments transformés

Rayons de supermarché remplis d'aliments transformés​. © Nathália Rosa sur Unsplash

L’American weight of life

Pour observer la relation existante entre commerce international et obésité, les économistes se sont basés sur les données d’un échantillon de femmes mexicaines âgées de 20 à 49 ans. En l’espace de 24 ans, de 1988 à 2012, le taux d’obésité a augmenté de 10 à 35 % ! En parallèle, les économistes ont observé une croissance constante des exportations de biens alimentaires en provenance des États-Unis dans chaque état mexicain. Les auteurs ont constaté que cette évolution peut expliquer 20 % de l’augmentation de l’obésité des femmes adultes sur la même période. Autrement dit, si les exportations des États-Unis n’avaient pas augmenté, l’augmentation de l’obésité aurait été 20 % moins importante.

L’offre états-unienne est-elle réellement à l’origine de l’augmentation de l’obésité ? Ou est-ce la demande mexicaine qui pèse sur la balance ? La population, déjà en surpoids, aurait pu en effet privilégier les produits transformés, conduisant à l’augmentation des exportations états-uniennes. Toutefois, les économistes montrent que celles-ci augmentent aussi dans les autres pays. Il ne s’agit donc pas d’une réponse des États-Unis face à une hausse de la demande mexicaine, mais bien d’un mouvement de libéralisation commerciale. L’ouverture des frontières économiques entre les deux pays voisins à partir des années 90 a conduit à une pénétration de produits malsains sur le marché mexicain, et par ricochet, à une augmentation plus accrue du taux d’obésité.

Il suffit de se promener dans les rues des grandes villes, pour voir fleurir dans les supermarchés, des centaines d’emballages colorés. La variété des maïs a laissé place à une variété incontestable de chips en tout genre, de sucreries et de soda. Non seulement ils occupent une place prépondérante sur les étalages, mais en plus, ils se vendent à un prix compétitif, inférieur à celui des autres biens alimentaires. Ce sont des produits accessibles rapidement et à bas coûts, ce qui explique l’engouement qu’ils génèrent chez la majeure partie des Mexicains.

Au pays de Coca-Cola, l’eau devient un luxe

Au Mexique, l’emblème phare de cette pénétration est celui de la fameuse marque Coca-Cola, qui s’est implantée sur le territoire, à la faveur du traité de libre-échange ainsi que de la libéralisation du marché de l’eau en 1992 (rendant possible la vente des eaux nationales à des entreprises privées). Dans un documentaire intitulé « Coca-Cola, la formule secrète du succès », la journaliste Olivia Mokiejewski montrait que le prix d’une bouteille de coca de 3 litres (21 pesos) était moins cher que son équivalent en eau. On sait pourtant qu’il faut bien plus d’un litre d’eau pour produire un litre de Coca. Cette différence de prix favorise d’une part la surconsommation de Coca-Cola, mais aussi la surexploitation des nappes phréatiques. Ainsi, depuis une importante réforme agraire établie en 1992, facilitant l’octroi de terres aux entreprises privées, Coca-Cola a pu négocier 27 concessions dès les années 2000, dont 19 seulement pour extraire l’eau des nappes et rivières.

De transition nutritionnelle… à transition épidémiologique

L’analyse des auteurs dépasse le cas mexicain. Les résultats des auteurs soulignent un lien causal entre commerce et obésité, et offre des pistes de réflexion pour comprendre comment la mondialisation peut affecter négativement la santé. Comme d’autres pays qui suivent la voie du développement économique, le Mexique est entré en pleine transition nutritionnelle. Avec la mondialisation et la libéralisation économique viennent les effets secondaires. L’enrichissement de la population entraîne de nouveaux modes de vie plus sédentaires. En plus des nouvelles habitudes alimentaires, la réduction des travaux physiques et les emplois de bureau favorisent la prise de poids et le manque d’exercice. Toutefois, la relation entre richesse et obésité est ambiguë : elle peut s’inverser lorsque le pays a atteint un certain niveau de développement. À ce stade, les habitants accordent une plus grande attention à leur santé physique et le taux d’obésité stagne voire diminue, comme on peut le voir notamment en Europe. Les États-Unis, quant à eux, font figure d’exceptions, avec un taux d’obésité très élevé malgré leur richesse nationale.

L’obésité représente donc un défi de taille pour les pouvoirs publics. Après une période de transition nutritionnelle qui affecte la santé des habitants, le Mexique et les États-Unis font maintenant face à une transition épidémiologique. Une nouvelle phase où la population ne souffre plus de dénutrition ou de maladies infectieuses comme autrefois, mais de maladies cardiovasculaires ou de diabètes, liés aux modes de vie. Dans ce contexte, les politiques commerciales peuvent influencer la qualité de l’alimentation de la population, transformer ses habitudes et, enfin, influencer sa santé. Est-il alors possible de conjuguer insertion dans le commerce international tout en préservant la santé des habitants, ainsi que l’environnement ?

vue plongeante sur une balance de pesage

Vue plongeante sur une balance de pesage​. © i yunmai sur Unsplash

Comment mettre sa population au régime ?

L’obésité est un défi sanitaire, mais aussi économique. Pour l’année 2023, le ministère de la Santé mexicain prévoit une hausse du coût total de l’obésité, atteignant 11,2 milliards d’euros. Faut-il alors rompre toute relation commerciale avec les États-Unis ? Il est peu probable que le gouvernement décide de fermer ses frontières économiques pour préserver la santé de ses habitants, étant donné les conséquences négatives du protectionnisme, tant sur le plan économique que diplomatique. Toutefois, des solutions intermédiaires peuvent limiter les effets secondaires du libéralisme.

Les pouvoirs publics peuvent par exemple agir sur les prix de vente, afin de casser la concurrence des produits malsains sur le marché. Une première possibilité est de subventionner la production locale, de saison ou biologique afin de soutenir et permettre l’accès au marché des petites entreprises. Une autre solution réside dans l’imposition des produits malsains. Certains pays ont par exemple instauré une « taxe soda » afin de réduire la consommation de boissons sucrées. Au Mexique, cette taxe était très attendue par l’Alliance pour la santé mexicaine, puisque le pays est le principal consommateur de boissons gazeuses dans le monde avec le triste record de 163 litres par an et par personne. La taxe, mise en place en 2014, élève de 10 % le prix des boissons sucrées et de 8 % les aliments trop riches en calories. À l’issue de la même année, les chiffres étaient plutôt positifs, avec une baisse de 1,9 % des ventes de sodas et de 3,7 % de biscuits apéritif selon l’Institut national des statistiques. Toutefois, l’évolution au cours des années suivantes montre une recrudescence de leur consommation. Agir sur le prix n’est donc pas efficace à 100 % et il reste encore du chemin à parcourir. Heureusement, ce n’est pas l’unique levier à disposition du gouvernement.

Rayon de supermarché remplis de soda en canette.
Rayons de supermarché remplis de soda en canette. © Alexandra Nosova sur Unsplash

Il est aussi possible d’agir sur la demande, en informant le public et en sensibilisant le consommateur sur les bienfaits d’une alimentation saine, ainsi que les conséquences à long terme d’une consommation de produits transformés. En octobre 2019, une nouvelle loi mexicaine a été votée afin de mettre en place un étiquetage clair des emballages alimentaires, incluant des systèmes de mise en garde contre les produits fortement dosés en sel, graisses, acides gras trans, sucres et calories. Les symboles devront aussi mentionner clairement si le produit contient des édulcorants, de la caféine ou s’ils ne sont pas recommandés pour les enfants. Si les entreprises décident de modifier leurs produits en conséquence, ces normes leur confèrent un cadre légal à respecter. Il s’agit d’éviter la stratégie consistant à remplacer le sucre par des édulcorants, par exemple.

Au-delà d’une législation nationale, Lorenzo Rotunno note qu’il est aussi possible d’intégrer de nouvelles normes ou critères sanitaires lors de la négociation des traités transnationaux. Lors de la signature de l’ALENA par exemple, le Canada, le Mexique et les États-Unis auraient pu s’entendre sur l’interdiction de certains produits alimentaires afin d’enrayer le fléau de l’obésité. Ce n’est qu’après-coup qu’ils se sont réunis pour la première fois autour d’une « Initiative de Coopération Trilatérale pour Réduire l’Obésité de l’Enfant » en 20143. Ce programme réunit des experts techniques, soutenus par les secrétaires et ministres de santé nationaux. L’objectif est d’accroître l’activité physique et de réduire les comportements sédentaires en augmentant la mobilisation sociale, en sensibilisant les citoyens et en modifiant l’environnement urbain et bâti. Il existe donc une série d’actions positives à mettre en place. En tous les cas, ces résultats ouvrent une réflexion sur les modes de vie alternatifs à la surconsommation et à la surproduction alimentaire et industrielle, qui finissent par ateindre la santé physique des populations.

 

Notes

1. D’après les données mexicaines de l’ENSANUT (Enquête nationale de santé et nutrition), 2018
2. En France, la propriété immobilière représente 75 % du total de la richesse des ménages français (si l’on excepte 10 % des Français les plus riches).
3. Pour ces métiers, l’employeur n’a pas besoin de prouver qu’il n’a pas réussi à pourvoir le poste à un national.

Référence

Giuntella, Osea, Matthias Rieger, and Lorenzo Rotunno. 2020. “Weight Gains from Trade in Foods: Evidence from Mexico.” Journal of International Economics 122 (January): 103277.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS