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Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

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Quand les Vauclusiens font plus d’enfants que les Bucco-Rhodaniens
14.04.2021, par Paolo Melindi-Ghidi, Thomas Seegmuller, Aurore Basiuk
Mis à jour le 27.04.2021
En France, des départements ayant les mêmes conditions socio-économiques et historiques présentent des taux de natalité différents. Les économistes Paolo Melindi-Ghidi et Thomas Seegmuller explorent de nouvelles pistes pour expliquer ce résultat surprenant.

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Pourquoi faire des enfants ? Les religions scandent, chacune à leur manière, l’injonction divine : « Croissez, multipliez, transmettez1 ». Dans une perspective biologique, il s’agirait d’une nécessité pour la conservation de l’espèce. En psychologie, on considère que le désir d’enfant provient d’un désir de transmettre et de laisser une trace dans le monde. L’enfant serait une sorte de prolongation de soi-même, de continuité. La pression sociale est aussi souvent évoquée pour expliquer le désir d’enfant. Dans une perspective économique, faire des enfants s’explique par le choix des parents qui maximiseraient leur utilité et donc la recherche de leur bonheur. Ainsi, faire des enfants serait un moyen d’être heureux. Notons toutefois que ne pas en faire serait aussi un moyen d’être heureux si cela maximisait l’utilité d’un individu en particulier2.

La science économique relie aussi souvent le fait de faire des enfants à de « l’altruisme ». Par exemple, les individus peuvent vouloir des enfants pour ce qu’ils leur apportent en bien-être, cela revient à l’idée que les enfants augmentent le bonheur. Mais l’altruisme peut aussi désigner la volonté de léguer aux enfants un héritage monétaire, social, culturel, intellectuel ou émotionnel, c’est-à-dire tout ce que les parents transmettent a priori à leurs enfants. Les individus choisiraient donc de faire des enfants pour leur transmettre quelque chose.

Cela soulève de nouvelles questions comme : pourquoi les enfants nous rendent heureux, ou pas (si nous choisissons de ne pas en avoir) ? Qu’est-ce qui détermine combien d’enfants nous avons ? Pourquoi toutes les femmes n’ont-elles pas le même nombre d’enfants ? L’économie s’est beaucoup intéressée à cette dernière question à travers l’étude de la fécondité.

 © Photo by Ramin Talebi on Unsplash

Les enfants vus par les économistes

Le nombre d’enfants par femme varie selon les pays. Ainsi, au Nigeria, les femmes ont en moyenne 7,2 enfants, tandis qu’en Corée du Sud, la moyenne se situe à 1,2 enfant par femme. Cela peut s’expliquer par un environnement social, historique et culturel différent. Accès à la contraception, éducation des femmes, croyances populaires, accès au marché du travail pour les femmes, etc. sont tout autant de facteurs pouvant expliquer les différences des taux de fécondité.

L’économie s’intéresse depuis longtemps à la fécondité et à ses déterminants. Thomas Malthus (1766-1834), un économiste anglais connu pour sa théorie sur la croissance de la population liait, par exemple, le taux de fécondité et le revenu des parents : selon lui, plus le revenu augmentait, plus les individus avaient d’enfants. Des théories contraires sont apparues depuis, mais l’étude de la fécondité demeure un sujet important en économie. Dans leur article, les auteurs se penchent sur les taux de fécondité en France.

Le taux de fécondité national est stabilisé en France depuis deux décennies à environ 2 enfants par femme, ce qui assure un renouvellement de la population. Cependant, ce taux varie selon les départements (voir infographie).

Infographie montrant différents taux de fécondité selon les départements

Infographie montrant différents taux de fécondité selon les départements. Source : Insee.

On peut remarquer sur cette carte que ce taux varie entre 1,5 et 2,2 enfants par femme. Une partie de cette différence s’explique par des différences entre les départements eux-mêmes. Si ces différences culturelles ne sont pas aussi drastiques qu’entre le Nigeria et la Corée du Sud, elles existent tout de même. Il y a des chances que les Vendéens et les Corses n’aient pas exactement les mêmes habitudes ou structures familiales. Que les deux départements aient des taux de fécondité différents serait donc parfaitement explicable par la théorie économique classique. Cependant, en explorant ces données, Paolo Melindi-Ghidi et Thomas Seegmuller ont remarqué quelque chose d’étrange.

En effet, des départements avec une histoire et une culture similaires ont des taux de natalité différents. Ainsi, le Haut-Rhin a une moyenne de 1,46 enfant par femme et le Bas-Rhin de 1,75. De telles différences se retrouvent aussi entre le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône ou entre la Meuse et la Meurthe-et-Moselle. Comment expliquer ces différences ? L’environnement (culturel et sociétal) n’est pas la cause de ces disparités puisque qu’il est presque identique. C’est pour cela que les auteurs introduisent l’hypothèse de « l’amour pour les enfants ».

Photo d'un enfant avec un coeur (pas un vrai, un en papier) dans les mains

Photo d'un enfant avec un coeur en papier dans les mains.​ © Photo by Anna Kolosyuk on unsplash

Qu’est-ce que l’amour pour les enfants ?

L’hypothèse étudiée par Paolo Melindi-Ghidi et Thomas Seegmuller est basée sur l’idée que le nombre d’enfants nécessaire au bonheur des parents dépend, entre autres, de l’« amour pour les enfants ». Ainsi, dans le cas de parents ayant un fort amour pour les enfants le fait d’avoir déjà des enfants n’empêche pas les parents de continuer à en faire.  Cet « amour » serait composé des attentes sur la valeur des enfants et sur le bien-être dans le futur. Il pourrait donc expliquer l'apparition de différences de fécondité entre les ménages et les zones géographiques caractérisées par les mêmes fondamentaux culturels, historiques et socio-économiques.

Les chercheurs montrent qu'indépendamment du type d'altruisme, c’est-à-dire que les parents choisissent d’avoir des enfants pour augmenter leur bien-être ou pour leur transmettre quelque chose, si l’amour pour les enfants est grand, les taux de fécondité peuvent être très différents. Ce taux de fécondité est aussi déterminé par les attentes des parents sur la croissance dans le futur. En effet, les parents ont tendance à avoir plus d’enfants s’ils envisagent pour ces derniers un futur brillant et fastueux.

De tels résultats permettent d’affiner les modèles économiques, pour qu’ils reflètent au mieux la réalité. Ils rappellent aussi l’importance de notre libre arbitre. Si vous voulez des enfants, c’est peut-être en partie dû à votre environnement socio-économique ou culturel, mais à la fin le choix reste vôtre : aimez-vous les enfants, et si oui, combien en voulez-vous ?

Référence
Melindi-Ghidi P., Seegmuller T., 2019, "The love for children hypothesis and the multiplicity of fertility rates", Journal of Mathematical Economics, 83(C), 89-100.

Notes
  • 1. Genèse 1:28
  • 2. L’efficacité de cet argument lors de repas dominical en face de votre famille qui vous demande pourquoi vous n’avez pas encore d’enfants n’est pas garantie.

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