A la une
Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
Voir ses parents se séparer lorsque l’on est enfant peut-il entraver notre réussite future ? Selon une étude récente menée par l’économiste Hélène Le Forner, un tel évènement aurait un effet sur le niveau d’études futur des enfants, en particulier lorsque la séparation survient lorsqu’ils sont jeunes. En revanche, leur position sociale semble peu affectée, excepté lorsque la rupture parentale se produit à des âges dits « charnières ».
Les séparations de couples mariés ou en concubinage sont de plus en plus fréquentes. De 2009 à 2012, le nombre de séparation chez les couples âgés de 25 à 45 ans dépasse les 155 000 par année soit plus de la moitié qu’entre 1993 et 1996. Par conséquence, les enfants mineurs impliqués dans ces séparations sont eux aussi de plus en plus nombreux. Entre ces deux périodes, leur nombre est passé de 145 000 à 191 0001.
Bien que cette configuration soit devenue courante, on peut s’interroger sur les conséquences durables de cette rupture familiale pour l’avenir de l’enfant. À ce jour, aucun consensus sur cette question ne ressort de la littérature économique, pourtant fournie sur le sujet. L’économiste Hélène Le Forner s’est demandée si la rupture parentale avait un effet sur la réussite des enfants. Et plus particulièrement, s’il y a un lien entre l’âge des enfants au moment de la séparation de leurs parents et leur niveau de réussite scolaire et professionnelle.
Moins de ressources pour les enfants
La vie à deux permet de mutualiser certaines dépenses, comme le financement du logement ou encore de l’électroménager. Les économistes parlent de complémentarité de consommation.
En entraînant la fin de cette mutualisation des dépenses, la séparation entraîne donc un appauvrissement relatif des parents. Cette perte s’opère également pour le temps alloué aux tâches du quotidien. Avant la séparation, quand l’un des deux parents faisait le ménage, l’autre pouvait cuisiner ou s’occuper des devoirs des enfants. Après une séparation, le parent gardien doit effectuer toutes ces tâches seul. Une autre étude d’Hélène Le Forner démontre que le temps passé avec l’enfant est réduit à la suite d’une séparation2.
Or, comme l’a théorisé l’économiste de la famille Gary Becker en développant le concept de capital humain3, plus les parents vont investir de ressources en temps et en argent pour l’éducation de leurs enfants, plus ils augmentent les chances de réussite sociale de ces derniers. L’arrivée d’un beau-parent dans l’équation peut permettre de récupérer une partie des pertes engendrées par une séparation. Néanmoins il est difficile, dans ce cas, de prévoir l’investissement du nouveau conjoint dans l’éducation de l’enfant.
Des conséquences psychologiques incertaines
Quant aux conséquences psychologiques de la rupture parentale, elles sont incertaines. Une rupture familiale peut entraîner un choc sur le plan psychologique, notamment en cas de séparation inattendue4. Mais cet événement peut, à l’inverse, mettre fin à une longue période de conflit parental, pouvant également bénéficier à l’enfant5.
L’adoption d’un mode de garde alternée, qui s’est considérablement développé pour les dernières générations, pourrait également minimiser le choc psychologique. Cependant, ce mode de garde était peu répandu pour les générations étudiées dans le cadre de ce travail.
Évaluer la réussite ?
Trois mesures de la réussite sociale et économique des enfants ont été considérées :
- Le nombre d’années d’études.
- Le rendement scolaire, soit le revenu moyen pour un niveau d’études donné. Cette dernière variable vise à tenir compte des disparités de situations économiques pour un même nombre d’années d’études. Par exemple, un diplôme de grande école générera des revenus futurs plus importants, en moyenne, qu’un diplôme universitaire.
- La position sociale sous la forme du salaire moyen pour un niveau d’études et une profession donnée.
Pour cette étude, les données utilisées viennent de la base transversale Formation et Qualification Professionnelle de l’Insee (vagues 2003 et 2014). L’un de ses intérêts est de fournir un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 à 65 ans. De plus, elle renseigne le niveau d’éducation, la profession, le salaire du répondant ainsi que des données sur ses parents et sur leur séparation potentielle. Enfin, des informations sur l’un de ses frères et sœurs, tiré au hasard, sont recueillies.
Comment réussir à mesurer l’effet de la séparation ?
Comparer la réussite des enfants dont les parents sont séparés, avec celle des enfants dont les parents ne le sont pas, n’est pas suffisant. En effet, il est possible que cette différence reflète en partie l’effet d’autres variables qui peuvent être associées à la séparation et qui auraient affecté la réussite de l’enfant, même en l’absence de séparation. C’est ce que l’on appelle le biais de sélection.
Afin de le contourner, on intègre, dans une première modélisation, des variables individuelles et familiales qui ont aussi un effet potentiel sur la réussite sociale. Il peut s’agir du milieu social d’origine ou du sexe de l’enfant par exemple. Cela permet ainsi de mesurer l’effet de la séparation, toutes choses égales par ailleurs.
Toutefois, d’autres variables non observées propres aux familles de divorcés peuvent avoir des conséquences négatives sur la réussite professionnelle et scolaire des enfants en l’absence de séparation. Dans une étude datant de 20036, Thomas Piketty interprète par exemple l’effet de la séparation sur la probabilité de redoublement et de décrochage scolaire des enfants comme une résultante du climat de conflit régnant dans le foyer avant la séparation, et non de la séparation en tant que telle. Pour corriger ce biais de sélection éventuel lié à l’effet de variables inobservées, un second modèle a donc été utilisé. Il porte, cette fois, sur la comparaison de la réussite entre les membres d’une même fratrie avec, comme hypothèse, le fait que l’environnement familial est le même pour chaque frère et sœur.
Les résultats observés dans ce modèle sont proches de ceux trouvés dans le premier modèle. La séparation des parents semble donc bien avoir un effet propre sur le niveau de réussite scolaire et professionnelle des individus, à environnement familial égal.
De l’importance de l’âge
Tout d’abord, on observe un effet négatif de la séparation sur le nombre d’années d’études des individus dont les parents se sont séparés avant 18 ans. La séparation parentale, lorsqu’elle survient pendant l’enfance ou l’adolescence, affecterait négativement le nombre d’années d’études. Toutefois cet effet est moins prononcé pour les 7-9 ans et les 16-18 ans. Quant à l’effet mesuré sur le rendement scolaire, il est plus faible mais il demeure négatif (non significatif pour les 0-3 ans et les 16-18 ans). Enfin, lorsque l’on considère l’effet sur le revenu moyen futur (pour un niveau d’études et une profession donnée), l’effet de la séparation tend à se dissiper. Mais il reste prononcé lorsque la séparation survient à des moments charnières tels que l’année du cours préparatoire (CP) ou la sixième.
Tous égaux devant la séparation ?
Par ailleurs, et c’est un autre apport majeur de cette étude, les effets observés de la séparation des parents diffèrent selon le sexe des enfants. Sur le plan de la réussite scolaire, les hommes semblent plus touchés que les femmes par une séparation parentale. Ce phénomène est plus marqué encore lorsque l’on considère le rendement scolaire. À l’inverse, la différence entre hommes et femmes serait moins importante pour la position sociale, et semble même jouer en faveur des hommes. Cette différence n’est néanmoins pas statistiquement significative.
Or, selon une étude de Lundberg datée de 20177, les garçons seraient moins touchés psychologiquement par la séparation de leurs parents que les filles. En revanche, elle pourrait avoir plus d’effet sur leurs résultats scolaires ou leur comportement. La socialisation genrée pourrait être à l’origine de différences de réactions face à une rupture parentale.
Un accompagnement insuffisant pour les familles monoparentales ?
Ces résultats soulignent la nécessité de revoir l’intervention des pouvoir publics auprès des deux millions de familles monoparentales vivant en France. Des mesures d’aide et d’accompagnement comme le versement d’une pension alimentaire ou d’une allocation de soutien familial pour les parents isolés (environ 115 euros par enfant) ont été mises en place. Toutefois, elles peinent à amortir l’effet du choc de la séparation pour les enfants. En 2018, 41% des enfants élevés par un seul parent étaient ainsi considérés comme pauvres, contre 21% pour l’ensemble des enfants, selon l’Insee.
La mauvaise application de ces dispositifs d’aide pourrait expliquer en partie ce constat. Une étude de Zakia Belmokhtar de 20168 montre que, deux ans après le divorce, seulement 80 % des parents divorcés concernés par la pension alimentaire rapportent son versement régulier et systématique. C’est donc l’accompagnement apporté à ces familles qui doit être interrogé, à commencer par le respect des décisions de justice.
Notes
1. « Parcours conjugaux et familiaux des hommes et des femmes selon les générations et les milieux sociaux », Vianney Costemalle, in « Couples et familles », coll. Références, Insee, décembre 2015
2. Parents’ separation : What is the effect on parents’ and children’s time investments? AMSE Working Papers
3. Dans son ouvrage Human Capital, Gary Becker définit le capital humain comme « l'ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. »
4. The effects of divorce and marital discord on adult’s children’s psychological well-being, American Sociological Review
5. Des effets du divorce et du non-divorce sur les enfants, Recherches et Prévisions
6. The impact of divorce on school performance: evidence from France, 1968-2002. Discussion paper for Centre for Economic Policy Research, 4146
7. Father Absence and the Educational Gender Gap. IZA Discussion Papers, 10814
8. La contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, deux ans après le divorce. Ministère de la justice. Infostat Justice
Référence
Le Forner, Hélène. 2020. “Age at Parents’ Separation and Achievement: Evidence from France Using a Sibling Approach.” Annals of Economics and Statistics, no. 138 (June): 107–63.
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS