Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Bolzano, un retour logique au XIXᵉ siècle
28.03.2024, par Anaïs Culot

Bernard Bolzano (1781-1848) est un mathématicien et philosophe dont les travaux en logique ont été sous-estimés par la recherche du XXe siècle. Ses idées ont pourtant contribué de manière exemplaire au domaine de la logique. Afin de redécouvrir cette personnalité scientifique et ses intuitions, des chercheurs en philosophie de la logique ont reformulé et testé ses idées à travers des outils de la logique moderne.
 
En sciences, les preuves sont indispensables pour établir la véracité de connaissances, garantir la fiabilité de résultats ou encore prévenir les erreurs. Pierres angulaires des mathématiques, elles permettent aussi de confirmer la validité d'une théorie. Toutefois, les mathématiciens ne sont pas les seuls à s’intéresser aux preuves, les logiciens aussi. Mais qui, me direz-vous ?

Commençons par une petite analogie. Il est évident qu’avant de construire une maison, il faut s'assurer de la stabilité du sol. De même, avant de bâtir des théories mathématiques, il est important de s'assurer de la solidité des fondements sur lesquels elles reposent. C’est le travail des logiciens. Ils examinent les règles logiques au cœur des mathématiques complexes. Ainsi, si certains théorèmes peuvent nous sembler évidents aujourd’hui car nous les avons appris à l’école, il existe derrière eux des règles précises et des systèmes de preuve qui garantissent qu’ils sont bien vrais.

De multiples personnalités au cours de l’histoire des sciences se sont creusé la tête sur la notion de preuve. Et c’est autour de Bernard Bolzano - figure historique méconnue de la logique - que s’est construit le projet Intuitions bolzaniennes1 porté par Francesca Poggiolesi, philosophe de la logique à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques2. « Depuis Aristote, nous distinguons deux types de preuves. Il y a des preuves qui nous montrent que quelque chose est vrai et celles qui nous montrent pourquoi quelque chose est vrai. Ces dernières ont souvent été négligées et elles étaient au cœur de l’analyse de Bolzano », explique la chercheuse. L’idée du projet est alors de redécouvrir le mathématicien et sa vision à travers les lunettes de la contemporanéité.

© Christophe HARGOUES / LMGC / CNRS ImagesAnalyse théorique de problème de biomécanique © Christophe HARGOUES / LMGC / CNRS Images

Déterrer les racines bolzaniennes

Bernard Bolzano est un philosophe et mathématicien du XIXe siècle originaire du royaume de Bohême3. « Quand on parle des grands philosophes et logiciens, on cite souvent Aristote, Alfred Tarski ou encore David Hilbert, mais Bolzano n’apparaît qu’à la marge. Il a pourtant anticipé les découvertes de Tarski d’une centaine d’années et il est à l’origine de théories mathématiques que nous étudions encore aujourd'hui », souligne Francesca Poggiolesi.

Au cœur de ses travaux, figure le concept de fondation. Celui-ci est étroitement lié à sa théorie de la science et à sa philosophie de la logique. Pour Bolzano, toute vérité ou proposition (notamment mathématique) doit reposer sur des fondations solides et claires. Elles doivent donc être justifiées par des fondements indubitables et irréfutables, afin d'éviter le scepticisme. Les vérités sont ainsi fondées les unes sur les autres grâce à un ordre objectif que le logicien et le philosophe doivent dévoiler. Ce sont les fameuses preuves explicatives qui justifient pourquoi un théorème est vrai.

Les intuitions de Bolzano en version 2.0

La logique à l’époque de Bolzano n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Pour démontrer l’importance de ses travaux, les chercheurs ont donc dû traduire les intuitions présentées dans ses écrits en les reformulant suivant les outils de la logique contemporaine. « Autrement dit, ce travail a permis de garder ses intuitions et de les formaliser afin de faciliter leur adoption et leur exploration par la recherche actuelle », explique Francesca Poggiolesi. Les chercheurs ont ensuite testé et démontré l’applicabilité des intuitions de Bolzano sur une grande quantité de preuves explicatives des mathématiques. Défi réussi pour la version modernisée des intuitions de Bolzano qui est déjà reprise par la communauté des logiciens et des philosophes.

En remettant le mathématicien sur le devant de la scène et en soulignant l’importance de ses travaux pour notre société moderne, les chercheurs espèrent lui redonner la place qu'il mérite dans l’histoire de la logique. Et pourquoi pas, attirer l’attention d’autres spécialistes. « Ce serait intéressant de comprendre pourquoi Bolzano a été tellement négligé. Au-delà des raisons philosophiques, il y a sûrement eu des raisons politiques qui ont controversé Bolzano », remarque la chercheuse.

D’Aristote à l’intelligence artificielle

Les méthodes de preuve développées en mathématiques sont souvent utilisées dans d'autres domaines scientifiques et technologiques pour établir la validité des théories et des modèles. Par exemple, les preuves formelles aident à garantir la correction des programmes informatiques. Ce n’est donc pas surprenant de voir ces travaux s’ouvrir désormais à une nouvelle piste de réflexion. L’idée : faire le lien, à travers de nouvelles recherches, entre les intuitions de Bolzano et le concept d’intelligence artificielle (IA) explicable.

Francesca Poggiolesi souhaite ainsi s’attaquer à un enjeu émergent : faire en sorte que des systèmes d’IA puissent expliquer de manière compréhensible leurs décisions ou leur fonctionnement plutôt que d’œuvrer comme une boîte noire. « C’est une question que je trouve fascinante quand on pense que Bolzano prend ses idées d'Aristote et qu’il pourrait y avoir un fil rouge entre ce grand philosophe de la Grèce antique, Bolzano et l’IA explicable », s’enthousiasme la chercheuse.

Notes
  • 1. Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-IBS-AAPG18. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.
  • 2. IHPST - unité CNRS/Université Panthéon-Sorbonne
  • 3. Ancien royaume d'Europe centrale dont le territoire fait désormais partie de la République tchèque.

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