Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Comment les cataclysmes sculptent-ils les paysages ?
16.05.2024, par Yvan Macais
Mis à jour le 16.05.2024

Un programme de recherche explore l’impact des événements extrêmes, météorologiques et tectoniques, sur la topographie.

Imaginez un paysage. Une rivière qui bouillonne dans un vallon rocheux, serpentant entre blocs et éboulis issus des pentes alentour, tandis que de hautes falaises proches suggèrent, par leurs strates torturées, une tectonique active. Que nous disent ces lieux de leur passé, des forces qui les ont façonnés, des tempêtes, séismes et autres cataclysmes qui les ont frappés ? Pourrait-on, à l’aide de leur seule topographie, autrement dit de leur forme, reconstituer leur histoire ? Et avec quel niveau de détail ? C’est, entre autres, à ces questions scientifiques qu’a visé à répondre le programme de recherche Topo-extrême, financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), qui prend fin en juin 2024. “Mais avec un prisme particulier, avertit son coordinateur Rodolphe Cattin, professeur au laboratoire Géosciences Montpellier1 : celui des événements extrêmes.”

C’est que l’actualité récente est marquée par les extrêmes météorologiques : crues inédites, records du mercure, sécheresses et mégafeux se multiplient à mesure que notre planète s’éloigne de son état d’équilibre climatique antérieur. Et cela suggère aux chercheurs de nouvelles questions. “Quelles vont être les écarts entre les paysages créés si les pluies et les mouvements du sol, au lieu de se produire de manière progressive, se manifestent sous forme d’extrêmes ?” demande Rodolphe Cattin. Par exemple, pour le même nombre de centimètres annuels de pluie, est-ce que la topographie induite sera identique, s’ils tombent en quelques tempêtes intenses ou de manière continue ? Et pour une faille qui coulisse de 1 mètre par siècle, quelles différences, selon qu’elle glisse peu à peu, ou bien en deux séismes brutaux ?

Pour tenter d’y voir plus clair, les chercheurs de Topo-extrême ont sélectionné deux zones d’étude. L’une est située dans les Cévennes, région connue pour ses pluies cataclysmiques, et par conséquent instrumentée et suivie scientifiquement de longue date, avec des archives précises. La zone a en outre l’avantage d’être relativement proche de Montpellier, où est basée la majorité des chercheurs de Topo-extrême, même si certains participants au projet sont aussi à Aix-en-Provence, à Rennes, et même en Suisse, au Canada, et… dans la région de l’Himalaya.
“Notre deuxième zone d’étude est située au Bhoutan, une région que j’étudie depuis deux décennies” commente Rodolphe Cattin. “Nous y avons des collègues que nous connaissons bien et avec lesquels nous collaborons de longue date”. L’avantage de l’Himalaya, explique le chercheur, est que les processus pluviométriques à l'œuvre sont en gros les mêmes qu’en métropole (des montagnes proches d’une mer chaude, source d’évaporation)... mais avec une intensité au moins 10 fois plus importante, autant dire de véritables déluges ! Et cerise sur le gâteau, l’Himalaya est le siège d’une des tectoniques parmi les plus actives du monde… alors que les Cévennes en sont dépourvues. 

Escarpement lié au glissement le long d’une faille dans l’est du BhoutanEscarpement lié au glissement le long d'une faille dans la région de l'est du Bhoutan. © Matthieu Ferry.

Pour comprendre l’impact des événements extrêmes sur ces paysages, les chercheurs croisent les résultats d’une large palette d’instruments. Ils s’appuient sur des données topographiques satellitaires qui au fil des décennies n’ont cessé de s’améliorer. “Nous disposons en gros aujourd’hui d’un point d’altitude tous les dix mètres à l’échelle du globe, indique Rodolphe Cattin, ce qui est déjà une couverture d’une grande précision, même si elle va probablement s’accroître encore.” 

Photographie prise par drone montrant l'installation d'une station GPS au Bhoutan. © Matthieu Ferry.

Sur leurs sites d’études, les scientifiques vont plus loin. Ils ont par exemple déployé, dans les Cévennes, des scanners 3D qui leur donnent une image millimétrique de dalles rocheuses exposées aux crues, afin de pouvoir mesurer précisément l’érosion induite, en fonction de la violence du courant. Au Bhoutan, ils ont analysé avec une grande précision leurs sites d’étude, également en 3D, grâce notamment à des séries de photographies à très haute définition prises par des drones. 

Pour avoir un historique des séismes locaux, ils ont creusé des tranchées afin de visualiser les strates du terrain, ce qui permet de caractériser les glissements induits par les tremblements de terre passés, et de dater ceux-ci avec des techniques isotopiques de type Carbone 14. “Nous sommes même allés jusqu’à nous rapprocher de spécialistes du vieux tibétain pour tenter de croiser ces résultats avec les archives des monastères de la région”, sourit Rodolphe Cattin, qui revendique de faire flèche de tout bois et d’être aussi interdisciplinaire que possible dans l’acquisition des données. L’équipe a découvert au passage -ce que les bhoutanais ignoraient- que des séismes de magnitude 7 ou 8 avaient eu lieu au cours du dernier millénaire, et que donc les règles de construction parasismique du pays devaient être durcies pour faire face à de tels événements…

Enfin, pour interpréter et exploiter les données collectées, les chercheurs de Topo-extrême ont mis en œuvre deux types de modèles. Les premiers, numériques, sont des programmes reconstituant le comportement des roches en fonction des forces subies. Les seconds, plus originaux, voire uniques au monde, sont dits analogiques : il s’agit de maquettes de un mètre carré environ dans lesquelles divers types de matériaux granulaires reproduisent le comportement de roches, avant de subir des secousses variées, ou bien différents régimes de pluie. 

Modélisation analogique. Formation d'une topographie liée au forçage interne (raccourcissement du dispositif) et externe (brumisation). Des appareils photographique permettent le suivi spatial et temporel de la topographie créée. © Stéphane Dominguez.

Les premiers résultats de ce travail confirment l’intuition des chercheurs : “oui, on a un signal morphologique différent quand les forçages sont continus ou discontinus”, peut désormais affirmer Rodolphe Cattin. “Mais, prévient-il, “la différence est très fine et pas facile à voir sur le terrain”. Pour les structures de petite taille, inférieures à 100 m, il a été possible de dégager des règles permettant de déterminer leur histoire ; en revanche à plus grande échelle, la même topographie s’est malheureusement avérée pouvoir provenir de processus différents, brouillant ainsi les pistes…  

Pour aller plus loin, les chercheurs envisagent désormais d’étudier les événements extrêmes un par un. “Certaines zones des Cévennes sont si proches de nous qu’en cas d’alerte Météo-France, on pourrait sans doute foncer et capter la topographie juste avant, puis juste après l’événement !”, espère Rodolphe Cattin. Il envisage également des collaborations plus poussées avec des mathématiciens, pour travailler davantage la mise en équation des phénomènes extrêmes. Voire pour tenter d’appliquer ces équations à d’autres objets d’études, pourquoi pas en sciences sociales ? Après tout, les événements extrêmes façonnent également l’évolution des sociétés humaines - l’actualité nous le rappelle aussi.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR TopoExtreme - AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. GM - Unité CNRS / Université de Montpellier

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS