Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

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Par le réseau de communicants du CNRS

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Déchets du bois : valoriser la lignine en la solubilisant
17.02.2025, par Martin Koppe, Délégation Aquitaine
Mis à jour le 17.02.2025

Un nouveau procédé vert permet de solubiliser la lignine dans l’eau. Cette approche ouvre la voie à plusieurs pistes de valorisation : comme surfactant, produit anti-UV et en fibres pour fabriquer des matériaux composites. 
Le bois aussi a ses déchets. En plus de la cellulose, il est également fait de lignine. Cette biomolécule est, chaque année, extraite par l’industrie papetière à hauteur d’une soixantaine de millions de tonnes, dont seule une fraction est valorisée. Nicolas Mano, directeur de recherche CNRS au Centre de recherche Paul Pascal1, veut changer les choses avec son équipe. 

« Le devenir des déchets de bois est un enjeu important pour la Nouvelle-Aquitaine et son imposant massif forestier, avance Nicolas Mano. D’autant que la littérature scientifique nous informe que la biomasse, comme le bois, représente presque 60 % des sources disponibles d’énergie renouvelable. Il y a donc beaucoup à faire avec la lignine. » 

Lagune du parc régional des Landes de Gascogne © Cyril Frésillon / Fire-landes / CNRS ImagesLagune du parc régional des Landes de Gascogne © Cyril Frésillon / Fire-landes / CNRS Images

L’eau et la lignine 

Le manque actuel de débouchés ne doit rien au hasard, cette molécule souffre d’un défaut bien identifié qui freine sa valorisation : la lignine n’est pas soluble dans l’eau. Certaines solutions existent, mais elles passent par des traitements chimiques et thermiques lourds qui en dénaturent les propriétés, en plus d’être trop chers et potentiellement polluants. La lignine est parfois brûlée pour alimenter des turbines produisant de l’électricité, mais cela ne concerne qu’une faible partie des stocks. 

Nicolas Mano et son équipe ont donc suivi une autre piste pour valoriser la lignine : celle des enzymes. Laissée toute la nuit au contact de bilirubines oxydases, la lignine devient soluble et peut être mise en poudre, sans demander davantage d’étapes. Les enzymes étant naturelles, le produit reste biosourcé tout au long du processus. 

Des enzymes naturelles 

Les bilirubines oxydases solubilisent la lignine selon un procédé dont le fonctionnement exact demeure méconnu, si bien que les chercheurs travaillent encore à le comprendre. La lignine se retrouve en tout cas avec un poids moléculaire augmenté, ce qui devrait la pousser à se précipiter, et pourtant elle se dissout bien dans l’eau. Ce poids moléculaire reste cependant intéressant si l’on souhaite filer la lignine recyclée, car cela confère aux fils de lignine de meilleures propriétés mécaniques. 

Maintenant que la solubilisation est acquise, l’équipe de Nicolas Mano collabore avec des collègues du Laboratoire de chimie des polymères organiques2, implanté juste à côté, afin de trouver des voies de valorisation pour la lignine. La première solution serait de s’en servir pour concevoir des résines époxy biosourcées. Les chercheurs se sont ensuite aperçus que la poudre de lignine avait des propriétés surfactantes, qui pourraient permettre de fabriquer des émulsions pour le domaine des cosmétiques. 

Un déchet de bois anti-UV 

Dans le même secteur d’applications, la lignine était déjà connue pour ses vertus anti-UV, mais elle était jusqu’à présent trop difficile à formuler de façon pratique, comme dans une crème ou une poudre, ou provenait de méthodes qui la chargeaient en soufre. Maintenant qu’il est soluble sans traitement lourd, le biopolymère pourrait être formulé en crème. 

« Nous avons prioritairement travaillé sur la fabrication de fibres de lignine, avec un filage par voie humide et par voie sèche », complète Nicolas Mano. Trois brevets ont ainsi été déposés : sur la solubilisation enzymatique et la mise en fibre, sur les propriétés surfactantes et sur la partie anti-UV. Leur valorisation est en attente de tests qui s’assureront de la non-toxicité de la lignine ainsi transformée, puis les chercheurs entameront les démarches auprès des industriels. 

Un futur PEPR 

Ces travaux vont connaître un second souffle avec l’inauguration, en mars 2025, de Maligne, un projet du Programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) Biomasses, biotechnologies et technologies durables pour la chimie et les carburants (B-BEST). Avec un budget de 1,4 million d’euros, Maligne rassemblera quatre laboratoires bordelais, trois toulousains et une plateforme technique industrielle, CANOE. « Nos collègues de la ville Rose nous aideront sur la montée en échelle de la production enzymatique, afin d’atteindre des quantités industrielles, précise Nicolas Mano. Les chercheurs bordelais qui ne travaillent pas déjà avec nous apporteront des outils microfluidiques afin d’établir une véritable banque de variants enzymatiques et des analyses de cycle de vie. » 

Les fibres seront en effet à l’honneur dans Maligne, avec des tests de différentes méthodes de filage et l’analyse de leur cycle de vie complet. La microfluidique permettra d’identifier de nouvelles enzymes plus actives, tout en vérifiant que le produit reste durable et biosourcé tout au long d’un processus de fabrication voué à passer à l’échelle industrielle. 

« Des collègues de la Bordeaux school of economics3 nous aideront également à nous assurer de la viabilité économique, à différents termes, de ces voies de valorisation, poursuit Nicolas Mano. Le site pilote du filage est quant à lui hébergé par le centre de R&D CANOE, situé à côté de notre labo. Nous y vérifierons s’il est possible de carboniser les fibres de lignine pour en faire des fibres de carbone bon marché, à destination de l’industrie automobile ou des pâles d’éoliennes. » Les pistes de valorisation de la lignine ne manquent donc pas, touchons du bois. 

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Solubilisation enzymatique de lignine à pH neutre et utilisations – LIGNIN ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle. 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Bordeaux
  • 2. Unité CNRS, Bordeaux INP, Université de Bordeaux
  • 3. Unité BSE, CNRS, Université de Bordeaux