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Face au stress, certaines bactéries, comme celle du choléra, cessent de proliférer pour mieux survivre. En étudiant ce curieux état de dormance, une équipe a levé le voile sur la chorégraphie cellulaire qui permet à Vibrio cholerae de s’endormir pour mieux revenir à la vie. Cette compréhension pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies en santé comme en sécurité alimentaire.
Dans les pays occidentaux, le choléra semble n’être qu’un vestige du passé. Pourtant, cette maladie tue encore des dizaines de milliers de personnes chaque année, surtout là où l’eau potable manque. En cause : Vibrio cholerae, une bactérie aquatique capable de disparaître des radars en cessant de se multiplier. Cet état, appelé dormance, la rend insensible aux traitements et prête à revenir à la vie quand on s’y attend le moins.
C’est ce mécanisme qu’a voulu percer le projet SurVi, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui soutient l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international. À sa tête, Elisa Galli, chercheuse CNRS à l’Institut de biologie intégrative de la cellule[1], s’intéresse à ce moment de bascule, à la chorégraphie moléculaire qui permet à la bactérie de « se mettre en veille »… puis de se réactiver. Une connaissance précieuse pour mieux comprendre les échecs thérapeutiques et les risques de contamination alimentaire.
Quand la bactérie s’endort
La dormance bactérienne est une stratégie de survie face à un stress : froid, manque de nutriments, antibiotiques, etc. Chez V. cholerae, ce repli s’accompagne d’un changement radical de forme : de bâtonnet proliférant, la cellule devient sphérique, perd sa paroi, cesse toute activité, et peut rester dans cet état pendant des mois. Mais ce processus est difficile à étudier, car lent et peu fréquent. Dans des conditions naturelles ou au froid, il faut compter plusieurs semaines pour que les bactéries entrent en dormance.
Pour contourner cette difficulté, Elisa Galli et son équipe ont mis au point une méthode chimique simple et rapide, en cultivant les bactéries dans le sucre arabinose. Résultat : les bactéries deviennent dormantes en quelques heures et peuvent ensuite être réactivées. « C’est un modèle expérimental puissant sans lequel nous n’aurions pas pu explorer ce qui se joue dans ces transitions invisibles », explique la chercheuse.
Observer la renaissance
Grâce à la microscopie à fluorescence, les scientifiques ont suivi la métamorphose cellulaire de la bactérie. Lors du réveil, la cellule ronde forme des excroissances, comparable à un petit arbre. Dans chacune de ses branches figure une copie du génome bactérien, soigneusement répliqué en amont.
« Dans les cellules dormantes, j’ai observé jusqu’à dix copies du génome, là où il n’y en a généralement que deux au maximum en état normal », souligne Elisa Galli. Autrement dit, la bactérie ne fait pas que se réveiller, elle prépare déjà ses futures divisions. Peu à peu, les protéines impliquées dans la réplication, la transcription, la division et la reconstruction de la paroi se réinstallent. Chaque élément retrouve sa place dans la cellule : un ballet millimétré, alors que tout semblait figé.
Un laboratoire vivant pour étudier les protéines
Ce retour à la vie agit aussi comme une loupe sur les fonctions cellulaires. Dans un état normal de prolifération, les protéines s’activent souvent en parallèle, rendant difficile l’analyse de leurs rôles respectifs. La dormance suspend cette cacophonie. « Cela nous a permis d’observer des fonctions cachées, habituellement masquées par la redondance des mécanismes », indique la chercheuse.
Ce travail a ainsi mis en lumière plusieurs protéines clés, notamment dans la structuration des chromosomes et de la paroi. Le sucre arabinose lui-même fait désormais l’objet d’un brevet, comme agent de blocage de la prolifération bactérienne. Une piste encore exploratoire, mais prometteuse.
Un enjeu sanitaire bien plus large
Les travaux de SurVi rappellent que la dormance bactérienne n’est pas qu’un phénomène de laboratoire. En se mettant en veille, Vibrio cholerae échappe aux traitements, rendant certaines infections chroniques difficiles à éradiquer. Elle peut persister également dans l’environnement, notamment dans des produits de la mer et revenir à la vie à un moment critique. Comprendre ce retour à la prolifération pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies, en santé comme en sécurité alimentaire. Une raison de plus pour continuer à surveiller de près une bactérie qui, même invisible, n’a rien perdu de sa dangerosité.