Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Des plastiques bioactifs produits à partir de microalgues
12.11.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 12.11.2025

La microalgue Euglena gracilis contient un biopolymère servant de base à des plastiques biosourcés et bioactifs. Un programme de recherche coordonné par un chercheur CNRS de Saint-Nazaire étudie et optimise toutes les étapes du processus.

La culture de microalgues est de plus en plus populaire grâce à ses rendements élevés par unité de surface et à la grande variété de molécules d’intérêt qu’elles synthétisent. Les chercheurs et chercheuses étudient ainsi toujours davantage d’espèces aux propriétés surprenantes.

« Depuis une quinzaine d’années, je cherche à produire des plastiques à partir de la biomasse, se présente Éric Leroy, directeur de recherche CNRS au laboratoire Génie des procédés-environnement-agroalimentaire1. « Je me suis donc d’abord intéressé aux biopolymères produits par les plantes et aux procédés qui permettent de les transformer en matériaux. » Éric Leroy travaille aujourd’hui avec tous types de biomasse végétale comme celle issue des microalgues.

Le chercheur compare cela aux biocarburants, dont on distingue trois générations. La première provient d’une biomasse qui est en compétition avec la production alimentaire, comme le colza ou le tournesol ; la seconde emploie une biomasse végétale sans utilisation alimentaire ; enfin, la troisième est basée sur des microorganismes, qui se cultivent dans des réacteurs compacts et non en plein champ. Ils offrent ainsi la possibilité d’être cultivés sur des terres non arables, avec des productivités élevées par unité de surface. « C’est la même chose pour les matériaux polymères, que nous essayons actuellement de produire à partir de la biomasse microalgale », poursuit Éric Leroy.

Les trésors d’Euglena gracilis

Le chercheur et ses collaborateurs se sont particulièrement intéressés à la microalgue Euglena gracilis. Pour stocker de l’énergie, elle produit à partir du glucose un polysaccharide appelé le paramylon. Il s’agit d’un biopolymère cousin de la cellulose et de l’amidon que l’on trouve dans les plantes, mais sa structure de formule β(1,3)glucane lui confère des propriétés bioactives uniques. Concrètement, Euglena gracilis le produit et l’accumule sous la forme de granules, qui représentent jusqu’à 80 % de sa masse sèche. 

« Nous nous sommes demandé si l’on pouvait utiliser les granules de paramylon pour obtenir des bioplastiques, comme c’est déjà le cas avec l’amidon, explique Éric Leroy. Nous avons pour cela développé une démarche interdisciplinaire avec une approche globale inspirée de la bioéconomie : nous regardons d’abord comment cultiver Euglena gracilis, puis comment en tirer un bioplastique et étudier tout son cycle de vie. »

Outre sa production de paramylon, Euglena gracilis a un second intérêt : elle peut pousser dans des conditions très différentes. Dans la première, appelée photoautotrophie, elle reçoit de la lumière et du carbone inorganique sous forme de CO2. Elle peut également être cultivée en absence de lumière si on lui fournit du carbone organique, par exemple du glucose ou des effluents riches en matières organiques. Enfin, elle peut croître dans des conditions intermédiaires.

Des liquides ioniques

Cette étude amont parachevée, Éric Leroy et ses collaborateurs se sont intéressés à la valorisation du paramylon. Brut, il possède déjà ses propriétés bioactives de modulation du système immunitaire. Il est ainsi vendu sous forme de complément alimentaire au Japon et aux États-Unis. Mais les chercheurs étudient surtout la fabrication de biomatériaux, par exemple sous forme de films, obtenus à partir des granules de paramylon. 

Cela nécessite de le plastifier. Pour cela le paramylon est mélangé à des liquides ioniques, c’est-à-dire des liquides composés uniquement d’ions. Pour que le tout reste biosourcé, ces derniers doivent l’être eux-mêmes, ainsi que rester biocompatibles. Ils peuvent donc être qualifiés de solvants « verts ». Les chercheurs ont ainsi surtout employé des liquides ioniques à base de choline – plus connue sous le nom de vitamine B4 –, et de divers acides aminés naturels. Le paramylon peut alors être mis en forme comme n’importe quel plastique, en le chauffant et lui appliquant un cisaillement.

Un travail d’équipe

« L’idée est d’optimiser la culture de la microalgue afin de produire un maximum de paramylon, puis de contrôler sa plastification grâce aux liquides ioniques, synthétise Éric Leroy. Maintenant, il faut établir les propriétés mécaniques et bioactives du plastique ainsi obtenu. Ensuite il faudra compléter l’analyse du cycle de vie de ces nouveaux matériaux, en prenant en compte l’ensemble de la chaîne de valeur et des éventuels impacts environnementaux. »

Dans ce travail d’équipe, Éric Leroy apporte ses compétences en formulation et en transformation des matériaux. Il a travaillé en collaboration avec l’unité Biopolymères, Interactions, Assemblages2, spécialisée dans l’élaboration et l’étude de matériaux biosourcés, ainsi qu’avec l’Institut de chimie moléculaire de Reims3, expert en synthèse de liquides ioniques. D’autres chercheurs du GEPEA s’occupent de la culture en amont et en aval, ainsi que des analyses de cycle de vie.

« Nous avons encore deux ans à travailler sur le sujet, puis nous avons plusieurs pistes pour aller plus loin, conclut Éric Leroy. Notamment, nous voudrions valoriser les coproduits de l’extraction du paramylon, qui s’avèrent être riches en protéines. Nous souhaitons également étudier la fabrication de gels de paramylon, qui pourraient peut-être servir pour de l’impression 3D biosourcée. » Euglena gracilis n’a ainsi pas fini d’offrir des débouchés aussi utiles que fascinants à son paramylon.


Euglena gracilis © Catherine Dupré, Ingénieure de recherche CNRS au laboratoire GEPEA (CNRS/Nantes Université/Oniris Nantes)

*********

Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Matières plastiques biosourcées issues de la culture d’Euglena gracilis. – EG4BIOPLAST ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2022 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2022).

Notes
  • 1. (GEPEA, CNRS/Nantes Université/Oniris Nantes)
  • 2. (BIA, INRAE)
  • 3. (ICMR, CNRS/Univ Reims Champagne-Ardenne)