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300 millions de personnes dans le monde sont porteuses ou vivent avec une maladie rare, c’est-à-dire qui touche 1 personne sur 2000. On en recense près de 7000, et pour plus de 80% d’entre elles, c’est une mutation génétique qui en est à l’origine. Ces mutations génétiques étant rares, elles ne se retrouvent que dans de petits groupes de personnes et les diagnostiquer est souvent difficile. Ceci entraine des errances diagnostiques et des retards de prise en charge difficiles à vivre pour les patients, déjà sous le joug d’une maladie sévère. C’est là que Thomas Boulin, chercheur CNRS en neurosciences moléculaires et cellulaires au laboratoire Mécanismes en sciences intégratives du vivant (MeLiS)1, apporte sa pierre à l’édifice, avec ses travaux sur les canaux potassiques et Caenorhabditis elegans (C. elegans), un organisme modèle majeur dans l’univers de la génétique !
Nématode adulte (Caenorhabditis elegans) visualisé au microscope plein champ à lumière transmise © Jorge Merlet / Institut Jacques Monod / CNRS Images
La fin de l’errance diagnostique avec la validation fonctionnelle des variants ?
Le diagnostic des maladies rares est basé sur l’analyse de tests génétiques selon les critères ACMG (American College of Medical Genetics) permettant de classifier les mutations en 5 groupes : bénin, probablement bénin, pathogène, probablement pathogène et inconnu. Sur la base de cette classification, les cliniciens peuvent alors orienter le diagnostic et définir la prise en charge. Malheureusement, l’écrasante majorité des patients se retrouve dans la catégorie inconnue. Toute donnée permettant de faire basculer un variant (c’est-à-dire le gène muté) de la catégorie inconnue à une catégorie définie est donc capitale. Et un des critères qui nous intéresse ici concerne la validation fonctionnelle des variants. L’idée est de pouvoir tester l’effet des mutations de chaque patient sur des modèles animaux et d’observer l’impact aux niveaux moléculaire et cellulaire, sur la vie de la protéine codée par le gène muté : son activité, sa stabilité, sa localisation etc. C’est là que Thomas Boulin et son équipe entrent en scène.
Thomas est un spécialiste des canaux potassiques, des sortes de petits tunnels à la surface des cellules, qui s’ouvrent et se ferment pour laisser passer le potassium. Ce flux de potassium est essentiel dans de nombreuses fonctions physiologiques mais tout particulièrement au niveau du système nerveux car le flux d’ion potassium contribue à réguler l’activité électrique des neurones. Et pour les étudier, Thomas travaille sur le modèle du ver nématode C. elegans en combinant des approches de génétique, d’imagerie cellulaire et d’électrophysiologie.
Le ver C. elegans, un modèle animal idéal pour les maladies rares
C. elegans, c’est un petit ver transparent qui mesure à peu près 1mm à l’âge adulte. À première vue, pas grand-chose à voir avec l’humain… mais alors pourquoi est-il si intéressant comme modèle en génétique ? Tout simplement, parce qu’il présente plus de la moitié de gènes en commun avec les humains. Et si on parle des gènes impliqués dans les maladies humaines, on monte à 70% ! Mais ce n’est pas tout : il est transparent, on peut donc facilement suivre des traceurs fluorescents à l’intérieur. De plus, il est facile à manipuler et a un cycle de reproduction court. Ce qui en fait un modèle plus rapide, moins cher et plus éthique que les autres modèles animaux. L’objectif pour Thomas : fabriquer des modèles sur mesure pour chaque patient, c’est-à-dire reproduire chez C. elegans la mutation génétique des patients et observer ses effets. Il utilise pour cela une technique bien rodée, l’édition du génome par CRISPR-Cas92, qui vaudra le prix Nobel de Chimie 2020 au duo de chercheuses l’ayant mis au point. Il s’agit de ciseaux moléculaires permettant d’introduire des modifications ciblées dans le génome du ver en découpant un petit bout de gène et en le remplaçant par un morceau comportant la mutation des patients.
Imagerie en microscopie confocale de neurones (cyan) et de canaux potassiques (magenta) dans la tête de C. elegans © Sonia El Mouridi 3.
La preuve de concept du système : une belle histoire !
Thomas s’en souviendra longtemps ! Tout démarre en 2018. Au détour d’une expérimentation sur les canaux potassiques chez C. elegans, Sonia El Mouridi, alors doctorante dans l’équipe, identifie un lien surprenant entre la localisation des canaux et la protéine neurobeachin, qui était plus connue pour son rôle dans l’organisation et la fonction des synapses. Les travaux de recherche ayant une toute autre finalité, l’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais de l’autre côté de l’Atlantique, le réseau UDN, Undiagnosed Diseases Network, est à pied d’œuvre. Composé de centres cliniques et de recherche à travers les États-Unis et financé par les National Institutes of Health, il reçoit régulièrement les dossiers de patients en errance diagnostique et diligente ces fameux tests fonctionnels des variants auprès de la communauté internationale. Ce jour-là, les équipes espèrent une réponse pour une jeune fille qui présente des troubles du neurodéveloppement et une épilepsie généralisée précoce, dont elles soupçonnent le gène de la neurobeachin d’en être la cause.
Thomas fait alors le lien avec leurs propres observations, et se propose de tester la mutation sur leur modèle de ver. La conclusion tombe : la mutation rare de cette jeune fille inactive effectivement la protéine neurobeachin, confirmant ainsi le diagnostic ! Et la preuve de l’utilité de C. elegans dans ces tests fonctionnels de variants est faite une fois de plus.
Transformer l’essai au bénéfice des patients
Il s’agit maintenant pour Thomas de construire un réseau de cliniciens en lien direct avec les patients, qui alimentent les bases de données et collectent tout l’historique médical, afin de proposer des tests de validation fonctionnelle pour chaque patient le nécessitant.
En parallèle, Thomas poursuit les travaux sur la neurobeachin : identifier les molécules qui interagissent avec elle, faire le lien avec d’éventuelles mutations de patients, en espérant identifier des partenaires absents et pouvoir les caractériser en détails. Il s’intéresse également aux effets comportementaux de la mutation de la neurobeachin, sur la locomotion du ver par exemple, une nouvelle façon, plus fine, d’analyser l’impact des mutations.
Thomas Boulin a à cœur de consolider le dialogue entre recherche fondamentale et cliniciens, au bénéfice des patients atteints de maladies rares. En parallèle, il s’est donné pour mission d’aider la recherche française et propose à travers la plateforme CNRS SEGiCel des services de développement de modèle C. elegans à façon. Bien que tout petit, ce ver nobélisé n’a pas fini de faire parler de lui !
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR- NBElegAns -AAPG20. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 20 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 20).
- 1. Unité CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1/ INSERM
- 2. Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, en français Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées.
- 3. Images issues de Boulin et al., Functional analysis of a de novo variant in the neurodevelopment and generalized epilepsy disease gene NBEA, Molecular Genetics and Metabolism, Volume 134, Issues 1–2, 2021, Pages 195-202, ISSN 1096-7192, https://doi.org/10.1016/j.ymgme.2021.07.013
