Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Détecter les molécules provenant d’environnements extraterrestres
17.06.2024, par Nolane Langlois
Mis à jour le 17.06.2024

Les processus physico-chimiques qui se produisent dans les environnements extraterrestres passionnent et interrogent les scientifiques. Mais pour les étudier, il faut parvenir à détecter les molécules qui se forment dans ces milieux et suivre leur évolution, parfois à des températures très basses. Derrière les portes de l’Institut de physique de Rennes, une équipe développe un spectromètre de pointe pour détecter ces molécules dans des conditions extrêmes de température.

Les astronomes peuvent identifier de nouvelles molécules en étudiant le spectre de la lumière émise par une étoile, qui traverse le milieu interstellaire et parfois l’atmosphère d’une planète avant d’arriver jusqu’au télescope qui la mesure. À partir du spectre obtenu, il est possible de connaître la densité de certaines molécules, que ce soit par exemple de l’eau ou du méthane.
Certains composés retrouvés dans ces milieux lointains se forment cependant via des processus encore peu connus.

C’est dans ce contexte que Lucile Rutkowski, chercheuse du CNRS à l’Institut de physique de Rennes (IPR)1, a mis ses compétences en instrumentation optique au service du projet CECoSA, financé par l'ANR2. Le but ? Développer des méthodes de détection adaptées au diagnostic rapide en environnements extrêmes, afin de détecter et de suivre les traces d’espèces très réactives.


Spectromètre à transformée de Fourier développé pendant CECoSA ©Lucile Rutkowski / IPR

Un instrument ambitieux
Au sein de l’Institut de Physique de Rennes, le département de physique moléculaire développe depuis plusieurs décennies un savoir-faire unique reposant sur des jets moléculaires froids pour étudier des processus moléculaires intéressants pour les astronomes. Cependant, il est encore aujourd’hui très difficile de suivre l’évolution de plusieurs molécules, comme les réactants et les produits d’une réaction chimique, de manière simultanée. L’objectif du projet CECoSA est le développement d’un instrument capable de détecter une multitude de composants chimiques. « Sur un spectre, on va chercher des raies d’absorption spécifiques à une molécule pour l’identifier, il s’agit de sa signature spectrale », décrit Lucile Rutkowski.
Avec son équipe, elle a entrepris le développement d’un spectromètre qui allie un laser à impulsions femtosecondes3, qui génère un spectre comprenant des modes fins et équidistants, rappelant les dents d’un peigne. Très précis et fonctionnant dans le moyen infrarouge (de 2,5 à 10 µm), cet outil haute sensibilité peut détecter des composés chimiques à l’état de trace. « Grâce à ce spectromètre, on bénéficie à la fois d’une large gamme spectrale dans le moyen infrarouge et d’une haute résolution », résume la chercheuse.

Mais ce n’est pas tout. L’étude des réactions chimiques nécessite de suivre à des échelles de temps courtes l’évolution des quantités des réactifs et produits. Pour faire des détections résolues dans le temps, la chercheuse a choisi d’utiliser une nouvelle approche qu’elle a testée puis publiée avec son doctorant.

Les scientifiques du département de physique moléculaire de l’IPR, auquel appartient Lucile Rutkowski, s’intéressent notamment aux molécules présentes en phase gazeuse dans le milieu interstellaire, comme l’hydrogène et le méthanol. Reproduire les conditions spécifiques de ce type d’environnement, où les températures se situent entre -271 à -123°C, n’est pas chose aisée. « Nous avons adopté la technique des jets supersoniques pour refroidir les molécules et ainsi obtenir des conditions en laboratoire qui sont proches de celles du milieu interstellaire », précise Lucile Rutkowski.  Ce procédé nécessite l’usage d’un caisson supersonique, ce qui amène aussi son lot de difficultés. « Son utilisation génère énormément de vibrations. Il faut donc réussir à régler le spectromètre optique avec suffisamment de précision pour détecter des gaz à l’état de trace malgré ces conditions », remarque la chercheuse.

Vers le milieu interstellaire
La première étape de ce projet, débuté en mars 2020, fut de rassembler les différents éléments nécessaires à la construction du spectromètre résolu dans le temps. Cependant, la crise du COVID-19 a compromis cette ambition. « Les six premiers mois ont été chaotiques car nous n’étions pas présents au laboratoire et pas certains de pouvoir commander le matériel dont nous avions besoin. La plus grande difficulté pour nous était de gérer cette frustration », raconte Lucile Rutkowski. Le doctorant qui débutait sa thèse en octobre a donc dû patienter jusqu’en mars 2021 pour voir arriver le précieux laser.

Une fois construit, le système laser a été testé avec une cavité optique, une sorte de résonnateur pour le flux de photons qui permet d’amplifier la sensibilité de détection. « On place deux miroirs de part et d’autre du milieu gazeux, ce qui permet à la lumière d’être réfléchie de nombreuses fois. Le faisceau lumineux traverse ainsi des centaines de fois l’échantillon moléculaire, et on détecte beaucoup plus facilement sa trace dans nos spectres », explique la chercheuse. Ce premier essai s’est fait à température ambiante, et visait à détecter les molécules d’eau et de dioxyde de carbone présentes à l’air libre dans le laboratoire. « Nous avons retrouvé sur le spectre les signatures chimiques de ces éléments », confirme cette dernière.

Après cette expérience concluante, l’équipe a voulu montrer que le spectromètre pouvait aussi être utilisé pour des détections à basse température. « Pour cette dernière phase du projet, on a installé la cavité autour du caisson supersonique. L’enjeu était de régler la cavité avec une précision de l’ordre du picomètre pour faire en sorte que sa longueur absolue reste stable, sachant que le caisson vibrait beaucoup », note Lucile Rutkowski.
De premiers tests ont été réalisés en octobre 2022 avec l’ambition de détecter de l’acétylène en utilisant ce montage instrumental. Ce fut une réussite. « C’était la première fois qu’on était capable de mesurer le spectre de l’acétylène à 5K », commente la chercheuse. L’équipe travaille désormais sur la robustesse de ces résultats en vue d’une publication dans une revue. « Jusqu’à la fin du projet, je vais refaire des manipulations. Quant au doctorant qui travaillait avec moi, il a soutenu sa thèse en décembre 2023 et poursuit sa carrière de chercheur ailleurs », raconte-t-elle.

Caisson supersonique développé par Robert Georges, fabriqué au pôle mécanique de l'IPR, sur lequel les premiers tests de spectroscopie froide ont été réalisés  ©Lucile Rutkowski

Des applications infinies
Le développement de ce spectromètre ouvre de nombreuses perspectives d’utilisation, ce qui était un des objectifs du projet. « Nous avons par exemple travaillé avec des collègues en chimie pour optimiser des processus de combustion », évoque Lucile Rutkowski. Elle est maintenant partenaire d’un nouveau projet ANR, RADICALS, qui a démarré en Janvier 2024, au sein duquel elle collabore avec le Laboratoire interdisciplinaire de physique4 et l’Institut des géosciences et de l’Environnement5 , à Grenoble. Cette fois-ci, l’instrument devra pouvoir être transporté directement sur le terrain. « L’idée est de faire des détections in-situ dans l’atmosphère », résume la chercheuse. « L’objectif est de rendre ce système modulable pour qu’il ne soit pas utilisé seulement en astrophysique, mais dans différentes disciplines pour étudier divers environnements », conclut-elle.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Spectroscopie en cavité par peigne de fréquence pour l'astrophysique – CECOSa ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle.

Notes
  • 1. Unité CNRS / Université de Rennes
  • 2. Romain Dubroeucq and Lucile Rutkowski, "Optical frequency comb Fourier transform cavity ring-down spectroscopy," Opt. Express 30, 13594-13602 (2022)
  • 3. Une femtoseconde correspond à 0.000000000000001 soit 10-15 secondes, c'est-à-dire un millionième de milliardième de seconde
  • 4. Unité CNRS / Université Grenoble Alpes
  • 5. Unité CNRS / IRD / INRAE / Université Grenoble Alpes

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS