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C'est une anomalie scientifique enfin réparée. Alors que le séquençage des chromosomes sexuels humains date de vingt ans, il aura fallu attendre 2025 pour percer les secrets des chromosomes X et Y du compagnon blanc (Silene latifolia), une modeste plante européenne aux attributs génétiques démesurés. Un consortium international vient de réussir ce tour de force, dévoilant bien plus qu'une simple curiosité botanique : leur publication ouvre des perspectives prometteuses pour l'agriculture. Retour sur une avancée qui a permis d'identifier les gènes responsables du déterminisme sexuel et de retracer l'évolution de ces chromosomes dans le temps.
Compagnon blanc : fleur et bouton sur une plante
© Didier Descouens CC BY-SA 4.0 / coll. Muséum de Toulouse
Une question fondamentale de biologie évolutive
Pourquoi existe-t-il des sexes ? Et comment leur détermination est-elle contrôlée chez les plantes ? Ces interrogations ont toujours fasciné les biologistes, à commencer par Gabriel Marais, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Biométrie et biologie évolutive1 (LBBE) : « Les systèmes sexuels et l'existence des sexes représentent l'une des grandes questions de la biologie évolutive. Depuis le début de ma carrière, c'est un sujet qui m'intéresse tout particulièrement », explique-t-il. Si les bases du déterminisme sexuel sont bien connues chez les animaux – le gène SRY, maître du développement masculin chez l’humain, a été découvert dans les années 1980 – les plantes, elles, demeurent un terrain largement inexploré. Ce n’est qu’en 2014 que le premier gène maître du sexe a été identifié une plante, rappelle Gabriel Marais, « sur le plaqueminier , par une équipe japonaise ».
Chez les plantes à fleurs, la situation est plus intrigante : la grande majorité des espèces sont hermaphrodites, c'est-à-dire qu'elles possèdent à la fois des organes mâles et femelles. Cependant, une minorité – environ 15 000 espèces, soit « l'équivalent du nombre de mammifères et d’oiseaux combinés », tout de même ! – sont dioïques, avec des individus distinctement mâles ou femelles. Dans le détail, « parmi les plantes cultivées, 13 % sont dioïques ou dérivent d’espèces dioïques sauvages, comme la vigne, le houblon ou le palmier-dattier », explique le chercheur, pointant le nombre important d’espèces directement concernées par ses recherches.
Silene latifolia, une plante modèle « iconique »
Quels sont les mécanismes génétiques sous-jacents à la détermination d’une plante en mâle ou en femelle ? Pour répondre à cette question, l’équipe s’est concentrée sur Silene latifolia (S. latifolia), une plante européenne historique dans l’étude des systèmes sexuels : « Les chromosomes sexuels ont été découverts pour la première fois chez cette plante en 1923, rappelle Gabriel Marais. Elle est iconique en biologie évolutive et écologique, étudiée même par Darwin ».
Mais ce choix repose aussi sur des caractéristiques techniques. S. latifolia possède des chromosomes sexuels particulièrement grands, « visibles au microscope », ce qui a permis leur étude dès les premières avancées en cytogénétique (l'étude des mécanismes génétiques au niveau cellulaire). Le chromosome Y de cette plante atteint 550 mégabases, soit dix fois la taille du chromosome Y humain. « C’est un véritable Everest génomique », commente le scientifique, qui explique que la richesse en séquences répétées de ces chromosomes a longtemps rendu leur séquençage impossible.
Une prouesse technique
La percée a été rendue possible grâce aux avancées technologiques en séquençage génomique, notamment les plateformes Oxford Nanopore et PacBio Hi-Fi. Dès 2014, l’équipe s’est engagée dans ce domaine en participant au programme Mini-ION Access Program d’Oxford Nanopore, qui « permet des lectures longues », essentielles pour assembler des génomes riches en séquences répétées. « Le tournant a été l'acquisition par le Génoscope de la machine PromethION, développée par Oxford Nanopore, capable de produire une immense quantité de données de séquences », précise le biologiste.
En parallèle, son équipe et les nombreux partenaires du projet ont bénéficié d’une ressource unique : une collection de mutants de S. latifolia. Ces plantes, obtenues par mutagénèse, présentent des anomalies sexuelles : certaines sont hermaphrodites, d'autres asexuées. Et Gabriel Marais d’insister : « ces mutants, dont les chromosomes Y ont subi des délétions, nous ont permis de cibler les gènes impliqués dans le déterminisme sexuel. Sans eux, identifier ces gènes aurait été comme chercher une aiguille dans une botte de foin ». L’équipe a pu comparer les chromosomes Y et repérer les gènes manquants chez les plantes mutantes.
Représentation circulaire du génome mâle de Silene latifolia séquencé.
Les cercles indiquent, de l’extérieur vers l’intérieur : 1. Les chromosomes. 2. Le ratio de couverture de lectures courtes du mâle séquencé et d’une femelle (des valeurs différentes sont attendues pour les autosomes, le X et le Y). 3. La densité en gènes, les régions très denses sont indiquées en vert foncé. 4. La densité de séquences répétées : répétitions satellites associées aux régions télomériques et centromériques (noir), éléments transposables à LTR: Ty3/Gypsy (orange), Ty1/Copia (jaune), LINE (violet), et Helitron (gris). 5. Densité en polymorphisme génétique chez le mâle séquencé (orange) et la femelle (violet), indiquant que le mâle séquencé est fortement homozygote, bien que certaines régions soient hétérozygotes, ce qui est attendu puisque le male et la femelle sont frère et sœur issus d’une population à forte consanguinité.
Crédit pour les photos de fleurs: Paris Veltsos et Lynda Delph. Issu de Moraga et al.,The Silene latifolia genome and its giant Y chromosome. Science 387, 630-636 (2025).
Deux résultats : plusieurs gènes candidats du déterminisme sexuel ont été identifiés et de précieux éclairages ont été apportés sur l’évolution des chromosomes sexuels des plantes. Les scientifiques ont en effet détecté dans l’historique génétique de la plante ce que Gabriel Marais décrit comme « une inversion génétique entre les chromosomes X et Y, qui a bloqué les échanges génétiques entre eux. » Ce processus, qui a débuté il y a 11 millions d’années, s’est poursuivi par étapes successives, avec une accumulation de séquences répétées qui a fait « gonfler » les chromosomes sexuels, expliquant leur gigantisme actuel.
Des applications prometteuses pour l’agriculture
Si S. latifolia elle-même n’a pas d’intérêt économique direct, les méthodes développées dans cette étude pourraient révolutionner la gestion des plantes dioïques cultivées. « Le contrôle des systèmes sexuels est la clé du contrôle de la reproduction. C’est le Graal pour les agriculteurs et les semenciers », affirme le chercheur. En identifiant les gènes du déterminisme sexuel, il devient possible de manipuler les systèmes sexuels des plantes pour répondre à des besoins spécifiques.
Imagerie microscopique immunofluorescence), faisant figurer, en rouge, aux extrémités des chromosomes, les marqueurs permettant d’identifier les chromosomes sexuels (X et Y). Échelle : 10µm – 10 micromètres © Vaclav Bacovsky and Roman Hobza
Par exemple, chez les palmiers-dattiers, où seules les femelles produisent des fruits, il est aujourd’hui nécessaire de « cultiver les deux sexes jusqu’à maturité avant d’éliminer les mâles inutiles », un processus coûteux. « Avec les gènes du déterminisme, on pourrait obtenir des hermaphrodites capables de s’autoféconder et donc 100 % de plantes productives », anticipe-t-il. À l’inverse, pour des besoins de croisements contrôlés, il pourrait être utile de convertir des plantes hermaphrodites en espèces dioïques. Pour Gabriel Marais, « cette flexibilité ouvre des perspectives intéressantes pour l’amélioration des plantes cultivées ».
Le succès de cette étude repose sur une collaboration internationale, rassemblant des experts en génomique, biologie évolutive et bioinformatique. « C’est un travail d’équipe, où chacun a apporté sa pierre à l’édifice », insiste le chercheur. Les prochaines étapes pour la communauté scientifique passent par la validation fonctionnelle des gènes candidats par des techniques comme CRISPR-Cas9 (qui permet la correction ou la modification de l’expression de gènes), ainsi que l’application de cette méthode à d’autres espèces dioïques, notamment celles d’intérêt agricole.
Une chose est sûre : le séquençage du génome de ce Compagnon blanc marque une avancée majeure, tant pour la compréhension fondamentale des systèmes sexuels que pour la viabilité de l’agronomie de demain.
Retrouvez l'actualité scientifique Le séquençage du génome de Silene latifolia éclaire le déterminisme du sexe chez les plantes sur le site internet de CNRS Écologie & Environnement.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-PlantGenomYX. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 2020).
- 1. Unité CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, Vétagro Sup