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Les chercheurs du projet « MathKinD - Mathématiques de la démographie de l’apparentement » ont mis au point une nouvelle méthode permettant de relier la généalogie aux dynamiques des populations. Ces travaux, à la frontière entre écologie et démographie, ont des retombées sur la prévision de la viabilité d’espèces, le suivi de leurs dynamiques dans le temps et l’espace ou encore l’impact des liens de parenté en génétique.
L’an passé, les Nations unies ont prédit que 9,7 milliards d’habitants peupleront notre planète en 2050. L’Union internationale pour la conservation de la nature a également déclaré que 42 108 espèces étaient menacées d’extinction en 2022. Dans les deux cas, ces données reposent sur des projections de dynamique des populations. C'est-à-dire ? Quelle que soit leur espèce, les individus naissent, grandissent, se reproduisent, migrent et meurent. C’est leur cycle de vie. Lorsque l’ensemble des cycles des individus d’une population sont pris en compte, il est possible d’évaluer si une population stagne, croit ou décroît au cours du temps. Autrement dit, de prédire sa dynamique.
En parallèle, la généalogie est déterminée par les mêmes indicateurs de survie et de reproduction, mais s’intéresse, quant à elle, aux liens de parenté entre les individus. Une question anime alors la recherche depuis de nombreuses années : comme la dynamique en temps continu des populations et la généalogie des individus par génération utilisent des informations communes, comment les relier l’une à l’autre ? Bien que l’existence d’une connexion mathématique soit indéniable, elle est très complexe à établir. « La généalogie ne prend pas en compte les âges des individus, alors qu’en dynamique des populations, tout est une question de temps. Pour les relier mathématiquement, cette notion de temporalité est essentielle », explique Samuel Pavard, biodémographe au Muséum national d’Histoire naturelle.
C’est là qu’intervient le projet ANR MathKinD, codirigé par Samuel Pavard1 et l’écologue Sarah Cubaynes2. L’objectif : développer un nouvel outil mathématique facile d’usage reliant ces deux objets de recherche. Un tel modèle peut bénéficier à de nombreux domaines allant de l’écologie, à la démographie, en passant par la sociologie ou encore la génétique.
Une avancée méthodologique majeure
La méthode utilisée jusqu’à présent pour relier la dynamique des populations et la généalogie est la première jamais réalisée et date de 1974. « Celle-ci calcule la probabilité qu’une personne apparentée à un individu aléatoire et à un âge donné soit encore en vie », décrit Samuel Pavard. L’intérêt de ces équations complexes est néanmoins limité. Le modèle est unisexe. Les liens de parenté au-delà des grands-mères et des nièces d’un individu sont difficiles à calculer. Enfin, le modèle n’est valable que dans un environnement constant où tout le monde se reproduit et survit de la même manière.
C’est donc dans une épopée mathématique ardue que se sont lancés les chercheurs de MathKinD pour lever des verrous vieux de 45 ans ! Mais trois ans et demi plus tard, le défi a été relevé avec succès. Un nouveau modèle mathématique, mis au point par l’écologue et mathématicien Christophe Coste, améliore ces travaux fondateurs. « Il s’agit de la première méthode reposant sur une formule unique. Nous utilisons des mathématiques matricielles qui utilisent des tables d’informations sur les taux de reproduction et de survie d’individus », explique le chercheur. Mais concrètement, à quoi peut bien servir cet outil ?
© Dick Hoskins / Pexels
De l’humain à l’ours, prévoir les dynamiques d’espèces sociales
La méthode a été développée en parallèle de l’analyse de deux cas d’étude. Le premier visait à mieux comprendre les maladies génétiques du vieillissement chez l’humain tel que certains cancers ou des pathologies neurodégénératives. Celles-ci sont engendrées par une multitude de mutations génétiques qui, sous l’effet de la sélection naturelle, sont peu fréquentes dans les populations.
Mais comment des mutations entraînant le décès à des âges élevés des individus qui les portent – notamment après qu’ils ont mis tous leurs enfants au monde – peuvent-elles encore être impactées par la sélection naturelle ? C’est à cause des liens de parenté entre individus. « Dans un modèle de génétique prenant en compte ces informations – à savoir que les mères, les pères et les grands-parents contribuent à amener leurs enfants et petits-enfants à l’âge adulte – mourir d’un cancer à 50 ou 60 ans peut encore diminuer le nombre de descendants vivants et portants nos gènes », explique le chercheur. Plus généralement, l’étude souligne l’importance de prendre en compte les comportements sociodémographiques des populations afin de mieux comprendre la prévalence des maladies du vieillissement.
Un autre résultat du projet portait sur la dynamique des populations d’ours polaires. Les études en écologie consistent généralement à capturer des individus, les identifier et les relâcher pour suivre leur évolution. « Chez cette espèce, plusieurs générations peuvent être dépendantes d’une mère, de sorte que sa survie impacte celle de ses petits. Sarah Cubaynes a donc eu l’idée de ne plus suivre un individu, mais des familles entières dans les modèles démographiques », explique Samuel Pavard. Ce nouveau point de vue améliore les projections de populations pour la conservation animale. Il apporte ainsi de meilleures prédictions sur le sort de cette espèce menacée.
Et après ?
« Tous ceux qui étudient des espèces sociales dont la démographie dépend de la parenté vont être intéressés, car cela va simplifier leur tâche. Nous avons par exemple déjà reçu des demandes sur les hyènes dont l’organisation matriarcale conditionne la reproduction, la chasse, etc. Il est alors intéressant de creuser le lien entre la généalogie et les relations de dominance, trop complexe à traiter avec les anciens modèles », note Samuel Pavard.
Les chercheurs vont également poursuivre la simplification et l’amélioration de leur formule afin d’en démocratiser les usages. Finalement, vous êtes-vous déjà demandé si les rongeurs, à la durée de vie relativement courte, créent les mêmes liens sociaux avec leurs parents que les éléphants, dont la vie est bien plus longue ? Les premiers travaux appliquant la méthode MathKinD à une vaste diversité de mammifères répondront prochainement à cette question et à bien d’autres !
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-MathKinD-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).
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du journal CNRS