Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour en savoir plus, lire l'édito.

Les auteurs du blog

Par le réseau de communicants du CNRS

A la une

Les stupéfiantes propriétés des bactéries magnétotactiques
27.05.2024, par Samuel Belaud, Délégation Rhône Auvergne
Mis à jour le 27.05.2024

Si les ballets aériens des nuées d'oiseaux vous fascinent, vous serez certainement captivés par les comportements collectifs d’autres organismes, bien plus petits, mais non moins surprenants : les bactéries magnétotactiques (BMT). Récemment découvertes, les physiciens s’intéressent de près à leurs propriétés, notamment leur capacité à se déplacer en suivant les lignes du champ magnétique terrestre. 

Les bactéries magnétotactiques (BMT) sont « des organismes que l’on rencontre dans les sédiments océaniques, marins ou lacustres sur toute la planète », décrit Cécile Cottin-Bizonne, physicienne à l'institut Lumière Matière1. Découvertes dans les années 1970, ces étonnantes bactéries comptent parmi les premiers éléments de vie sur Terre. Leur particularité ? « Elles synthétisent de petits aimants en leur sein, les magnétosomes », qui guident leur déplacement le long des lignes de champs magnétiques terrestres. Les BMT sont « comme des boussoles vivantes capable de s'autopropulser » précise la chercheuse.

Des comportements collectifs fascinants

À l’instar des « nuées d'oiseaux ou des troupeaux de moutons chez lesquels on observe des effets collectifs fascinants », les BMT présentent également des comportement collectifs que Cécile Cottin-Bizone et ses collègues souhaitent modéliser et décrypter. « Si un mouton tire son énergie de l’herbe qu’il mange, une BMT est capable d’activer son petit moteur embarqué, un flagelle, et de se mouvoir en convertissant de l’énergie chimique en énergie mécanique ». 

Bactérie magnétotactique. © Emilie Josse
Les bactéries magnétotactiques synthétisent des magnétosomes qui agissent comme des aimants et leur permettent de se déplacer le long des lignes de champ magnétique terrestre. © Emilie Josse

Les scientifiques ne savent pas encore s’il existe des phénomènes universels entre les troupeaux d’herbivores, le vol d’oiseaux et ces bactéries ; ou bien si ces phénomènes ont des spécificités selon l’espèce. Pour éclairer le sujet, ils étudient les propriétés uniques des BMT lorsqu'elles sont organisées en groupes. L'objectif à long terme ? Obtenir des fluides originaux (composés de ces BMT), dont le mouvement et l'organisation pourraient être contrôlés à distance par des champs externes notamment magnétiques.

Notons que si les bactéries magnétotactiques se déplacent dans les sédiments, c’est pour rejoindre « une zone de concentration optimale en dioxygène » qui leur permet de survivre. Une des hypothèses initiales sur les BMT consistait à dire qu’elles suivaient des champs magnétiques verticaux pour trouver leur place et rejoindre cette zone de confort. Or, « on a aussi retrouvé des bactéries magnétotactiques au niveau de l’équateur... Là où les lignes du champ magnétique terrestre sont horizontales ! », souligne-t-elle. Les propriétés de ces organismes sont donc plus complexes qu’on pourrait le croire et les physiciens se donnent pour mission d’investiguer leurs comportements et leurs propriétés plus en détail. 

pour mission d’investiguer leurs comportements et leurs propriétés plus en détail.  Les BMT adoptent des comportements collectifs pour rejoindre « une zone de concentration optimale en dioxygène » dans les sédiments océaniques, marins ou lacustres de toute la planète. © Emilie Josse
Pour mission d’investiguer leurs comportements et leurs propriétés plus en détail.  Les BMT adoptent des comportements collectifs pour rejoindre « une zone de concentration optimale en dioxygène » dans les sédiments océaniques, marins ou lacustres de toute la planète. © Emilie Josse 

Un panel d’expériences en micro-fluidique

Le mouvement des BMT peut-être contrôlé « en jouant à la fois sur l’orientation du champ magnétique (et) sur la concentration en dioxygène du milieu », détaille la physicienne lyonnaise. Avec son équipe et ses partenaires, ils ont mis en œuvre un panel d’expériences physiques différentes, qui visent à caractériser l'organisation des BMT selon plusieurs conditions. Il s’agit, en outre, de comprendre leurs propriétés rhéologiques (les déformations et écoulements sous l'influence d'une contrainte ou d'une force) et notamment le comportement de nage des BMT dans des milieux confinés et géométriquement complexes, comme ceux rencontrés dans les sédiments.

Pour ce faire, explique-t-elle, « nous conduisons des expériences en micro fluidique à partir de souches de BMT que nous fournissent des collègues biologistes du CEA2  ». Dans le détail, les scientifiques commencent par moduler le champ magnétique autour des bactéries, à l’aide de bobines de Helmholtz. Ce dispositif mobilise deux bobines circulaires identiques qui, placées de part et d’autre des bactéries, produisent un champ magnétique uniforme et constant entre elles. 

Bactéries magnétotactiques au laboratoire. © Emilie JosseBactéries magnétotactiques au laboratoire. © Emilie Josse

Ils utilisent ensuite la microscopie optique pour observer le comportement des bactéries dans le milieu. Le travail fourni par les partenaires du Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes3 permet de compléter ces travaux en suivant ces bactéries en 3 dimensions, afin de caractériser les statistiques de comportement individuel sur une longue durée.

Un "matériau intelligent" ?

À l’issu du projet, les scientifiques espèrent développer un matériau "intelligent" à partir de ces BMT. Il s’apparenterait à « un fluide aux propriétés de transport originales » à l’image de ce que des collaborateurs de Cécile Cottin-Bizonne sont récemment parvenus à faire sur une autre classe de bactéries (e.Coli). « Ils avaient démontré qu’on pouvait atteindre des viscosités négatives avec ces bactéries (…) et qu’il était possible de créer un superfluide à partir de ce changement de propriétés ». Par "superfluide", entendez un état de la matière qui présente des propriétés de transport exceptionnelles ! En perdant toute viscosité un superfluide peut s'écouler sans résistance, selon des conformités hors-normes et dans des directions singulières. 

À terme, les chercheurs souhaitent voir si des propriétés surprenantes des BMT peuvent être contrôlées par un champ magnétique externe, pour ensuite concevoir des fluides "intelligents" (superfluides) capables de s'adapter à leur environnement, ou des systèmes de micro-transport manipulables à distance. 
D’ici là, il reste à la communauté scientifique un travail fondamental de longue haleine à fournir, pour percer tous les secrets de ces fascinantes bactéries.

Cet article fait partie du dossier thématique "Physique : une recherche multimillénaire, sans cesse renouvelée" réalisé dans le cadre de l'Année de la Physique, en collaboration avec Pop’Sciences - Université de Lyon (mai 2024).

--------------------
Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-BACMAG-AAPG2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 20).

 
 

Notes
  • 1. Unité CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1
  • 2. Commissariat à l’énergie atomique
  • 3. Unité CNRS | Sorbonne Université | École Supérieure de Physique et Chimie Industrielle – PSL | Université Paris-Cité

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS