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Les colloïdes, particules composées de matière organique et de minéraux, permettent aux polluants de migrer et de contaminer les eaux et les sols sur de longues distances. Le projet C-FACTOR a permis une meilleure caractérisation de ces colloïdes afin de mieux évaluer leur rôle comme vecteurs de pollution.
Un cas d’école dans les annales de la pollution est celui du Nevada Test Site aux États-Unis. Dans ce lieu isolé, des centaines d’essais nucléaires souterrains ont été réalisés au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Les experts pensaient que les éléments radioactifs tels que le plutonium ne posaient aucun risque : étant insolubles dans l’eau, ces atomes étaient piégés dans la roche et ne s’y échapperaient pas. Ils avaient oublié un détail : les colloïdes. Ces assemblages de matière organique et de minéraux en suspension dans l’eau peuvent en effet servir de véhicule à un grand nombre de polluants. Résultat, ces dangereux éléments ont pu migrer au gré des mouvements des masses d’eau souterraines et se retrouver à des kilomètres du site nucléaire.
Autobus pour polluants
Impossible donc d’évaluer les risques de contamination sans prendre en compte les colloïdes. Ce constat est à l’origine du projet C-FACTOR, lancé par Rémi Marsac, chimiste au laboratoire Géosciences Rennes1, récemment muté à l’Institut de physique du globe de Paris2. Entre 2019 et 2023, grâce à un financement ANR, son équipe a étudié la façon dont divers polluants se lient aux colloïdes. « L’objectif était d’étudier la relation entre la composition et la structure des colloïdes et leur réactivité vis-à-vis de contaminants », explique Rémi Marsac.
Or, l’étude des colloïdes est une véritable gageure pour la recherche. « Ce sont des objets de très petite taille (du nanomètre au micromètre), très hétérogènes et difficiles à caractériser. La matière organique naturelle qui les compose possède une sorte de dualité : elle peut être vue comme des molécules dissoutes dans l’eau ou comme des particules en suspension. On ne sait pas toujours comment l’aborder », admet Rémi Marsac. De plus, des changements de pH, de salinité ou de température peuvent modifier les propriétés et la morphologie des colloïdes. Tout l’enjeu de C-FACTOR était d’appréhender la relation entre colloïdes et polluants comme un système dynamique évoluant en fonction des conditions environnementales.
Les oxydes de fer comme la goethite (première image) et la magnétite (ci-dessus) sont des constituants importants des colloïdes. Images par microscopie électronique à transmission © Rémi Marsac
Les scientifiques ont étudié la formation de colloïdes en mélangeant des particules d’oxyde de fer ou d’aluminium et de la matière organique naturelle. Ils ont ensuite étudié la réaction des colloïdes avec différents polluants : métaux toxiques comme le cuivre ou le plomb, polluants issus d’objets technologiques comme les terres rares, ou encore polluants d’origine pharmaceutique tels que des antibiotiques. Ils ont ainsi pu caractériser les sites à la surface des colloïdes sur lesquels se lient les polluants. Ils ont aussi observé les effets de compétition entre polluants et déterminé quelles modifications de l’environnement peuvent libérer les polluants attachés aux colloïdes.
Les chercheurs ont aussi travaillé sur des colloïdes naturels prélevés dans des zones humides. « Les zones humides sont des endroits riches en colloïdes et où les polluants se concentrent », rappelle Rémi Marsac. Ils ont ainsi pu étudier l’interaction entre polluants et colloïdes dans un environnement soumis à de fortes variations de pH ou de conditions d'oxydo-réduction3
Un modèle numérique pour prévoir la dispersion des polluants
L’un des objectifs ultimes de ces travaux est de construire un modèle numérique capable de prédire les interactions entre un polluant et un colloïde en fonction de la structure et de la composition de ce dernier. Un tel modèle pourrait devenir un outil précieux pour évaluer les risques de pollution ou pour établir la meilleure stratégie de remédiation sur un site pollué. Dans un contexte de changement climatique, ils pourraient permettre de mieux anticiper l’impact de changements environnementaux dans la dispersion de substances nocives. Le projet C-FACTOR représente un pas décisif vers l’obtention de cet outil. « Les informations que nous avons obtenues permettront de contraindre un futur modèle prédictif », explique Rémi Marsac.
Les chercheurs ne pensent pas s’arrêter en si bon chemin. Le projet ANR COLOSSAL 2023-2027, la suite de C-FACTOR, est déjà en cours. COLOSSAL vise à mieux comprendre les interactions entre colloïdes et polluants métalliques en fonction du degré d’oxydations de ces métaux, un paramètre clé qui définit leur toxicité. Ainsi, une meilleure connaissance du rôle des colloïdes comme facteurs de pollution évitera des « mauvaises surprises » comme celle du Nevada Test Site.
Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet "Le devenir des contaminants est contrôlé par la spéciation de la matière organique colloïdale" - C-FACTOR - AAP 2018-2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).
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du journal CNRS