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En l’espace de quelques années, la synthèse de matériaux nanoporeux s’est développée de façon spectaculaire. Face à la prolifération de ces systèmes à fort potentiel industriel, la communauté scientifique est en quête de méthodes permettant d’identifier facilement leurs propriétés. S’inscrivant dans cette démarche, le projet MataReB a pu démontrer que l'apprentissage automatique constitue un outil efficace pour relever ce défi.
Qu’ils soient d’origine naturelle ou synthétique, constitués de briques organiques ou métalliques ou bien encore d’une combinaison de ces deux éléments, les matériaux nanoporeux présentent des caractéristiques uniques laissant entrevoir un foisonnement d'applications : désalinisation de l’eau de mer, stockage d’énergie, dépollution de l’air, séquestration du CO2, etc. « Cette grande famille de matériaux forme des sortes de cages de dimension nanométrique1, qui peuvent filtrer certaines molécules, en piéger d’autres ou bien encore servir de catalyseur à certaines réactions chimiques », précise François-Xavier Coudert, directeur de recherche CNRS à l’Institut de Recherche de Chimie Paris (IRCP)2.
Dans le cadre du projet Matériaux à comportement adaptatif ciblé (MataReB) initié en 2019, ce spécialiste des matériaux poreux s'est intéressé aux zéolithes3 d’origine synthétique. Alors que le premier représentant de cette classe de nanomatériaux cristallins a été découvert dès le 18e siècle, on dénombre aujourd'hui plus de deux cent zéolithes synthétiques. « Au travers du programme MataReB, nous avons tout d’abord cherché à développer des méthodes de chimie théorique et de modélisation moléculaire à même de prévoir les réponses de ces matériaux cristallins nanoporeux à des stimuli tels qu’une élévation de température ou l'application d’un champ électrique », poursuit François-Xavier Coudert.
Les zéolithes sont largement utilisées comme catalyseurs dans l'industrie. Elles interviennent de plus en plus dans les procédés de séparation. © Didier COT/CNRS Images
À l'épreuve des bases de données
Les résultats de ces analyses préliminaires ont ensuite été mis à profit pour concevoir un algorithme d’apprentissage automatique destiné à prédire le comportement d’autres structures zéolithiques, dont une écrasante majorité sont encore hypothétiques. À la différence des méthodes de calcul quantique, qui permettent d'établir l'architecture d’un matériau à l’échelle électronique, le recours à l'apprentissage automatique mobilise très peu de ressources informatiques tout en étant bien plus rapide. « Là où le calcul quantique implique plusieurs jours de simulation à l’aide de puissants ordinateurs pour déterminer la structure fine d’un matériau, l'apprentissage automatique ne prend pas plus d’une seconde pour caractériser ses propriétés mécaniques avec une précision qui reste raisonnable », complète le chimiste de l’IRCP.
Après avoir testé leur algorithme d’apprentissage sur des zéolithes expérimentales, les chercheurs ont voulu éprouver sa capacité à identifier une propriété à la fois singulière et extrêmement rare au sein de cette classe de polymères inorganiques : l’auxéticité. « Ce terme désigne le fait qu’un matériau étiré dans une direction s’étend également dans toutes les autres directions, explique François-Xavier Coudert. Or sur les quelque deux cent zéolithes qui ont pu être conçues en laboratoire, une seule possède cette caractéristique qui confère une grande résistance ou des capacités d'absorption remarquables. » Mais qu’en est-il parmi les innombrables structures zéolithiques, fruit de l'intuition des chimistes théoriciens, qui n’ont pas encore atteint le stade expérimental ? Pour le savoir, les chercheurs du projet MataReB se sont appuyés sur une base de données en libre accès référençant près de 600 000 zéolithes hypothétiques.
Zéolithe non identifiée de type sodalite. © Didier COT/CNRS Images
Accélérer le rythme des découvertes
Une première étape de leur travail a consisté à entraîner un outil d'apprentissage prédictif sur un millier de zéolites hypothétiques. À l'issue de cette phase d’entraînement, l'algorithme a pu être appliqué à l'intégralité du corpus de données. « En mettant en évidence des tendances génériques entre les propriétés mécaniques et la stabilité énergétique de ces centaines de milliers de structures, nous sommes parvenus à identifier une cinquantaine de zéolithes dotées de propriétés auxétiques », se félicite François-Xavier Coudert. Comme en témoigne ce résultat, les modèles d’analyse reposant sur l’apprentissage automatique sont donc propices à l'exploration et au criblage de bases de données constituées d’un très grand nombre de matériaux à l'état de simples constructions théoriques. Plus généralement, le projet MataReB confirme le potentiel de l’intelligence artificielle pour accélérer le rythme des découvertes de matériaux à fort potentiel industriel ou de nouvelles propriétés associées à des matériaux existants.
À l'avenir, l’apprentissage automatique prédictif pourrait notamment bénéficier à la recherche sur les réseaux métallo-organiques (MOFs). Cette nouvelle classe de matériaux nanoporeux artificiels combine des molécules organiques, comme le carbone, avec des ions métalliques (aluminium, zinc, fer, cobalt, etc.). Ce type d’architecture hybride offre l’opportunité de synthétiser facilement des millions de structures pouvant donner lieu à de multiples applications dans le stockage de l’énergie ou la séparation des gaz. À l'heure où les MOFs inondent les bases de données chimiques, l'apprentissage automatique devrait sans nul doute faciliter la caractérisation de ces matériaux nanoporeux innovants.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-MataReB-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).
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du journal CNRS