Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Pour en savoir plus, lire l'édito.

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Par le réseau de communicants du CNRS

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Quand les défauts de la matière sont des avantages
27.10.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 27.10.2025

Les matériaux cristallins peuvent comprendre des défauts qui dictent leurs propriétés électroniques et optiques. Un laboratoire nantais veut prévoir l’impact des défauts ponctuels sur les propriétés optiques, et plus spécifiquement la luminescence.

Lorsque des scientifiques explorent les défauts dans la matière, on peut légitimement s’attendre à ce que ce soit pour les supprimer. Mais, dans certains cas, les défauts sont en fait une bonne chose. Ainsi, dans le cas des cristaux, ils peuvent changer les propriétés de la matière et sont indispensables dans des applications telles que l’électronique, avec le silicium dopé, la conversion d’énergie, le photovoltaïque ou les caractéristiques optiques d’un luminophore. 

« Je travaille principalement sur les propriétés optiques, comme la luminescence, de composés moléculaires et inorganiques, se présente Camille Latouche, professeur de Nantes Université, à l’Institut des matériaux de Nantes Jean Rouxel1 ainsi qu'à l’Institut universitaire de France (IUF). Cela passe par l’identification des défauts dans ces matériaux, sachant que ces défauts sont vus, en chimie, comme des phénomènes positifs. Avec mon équipe, nous regardons comment ils améliorent les performances de certains dispositifs. »

Plusieurs types de défauts

Le chercheur explique ensuite la nature de ces défauts. On retrouve ainsi des lacunes, quand un atome est retiré, des substitutions, quand il est remplacé par un autre, et des insertions, quand il est ajouté. C’est parfois l’affaire d’une poignée de défauts sur d’immenses mailles cristallines, ce qui complique le travail expérimental et pousse chimistes et physiciens à s’orienter vers des approches computationnelles. « Ces défauts n’ont pas besoin d’être nombreux pour avoir un impact, affirme Camille Latouche. Remplacer un seul atome de carbone par un atome d’azote, sur plusieurs millions possibles, suffit à faire passer un diamant incolore à un diamant jaune. »

Mais plutôt que les pierres précieuses, Camille Latouche étudie les composés à base d’oxydes et notamment dopés au titane. Ce dopage fonctionne par substitution et rend le matériau luminescent. Le chercheur et son équipe ont fait le lien entre les défauts mis en place, la couleur de la luminescence et les mécanismes sous-jacents du zirconate de baryum (BaZrO3), de la zircone (ZrO2) et du saphir (Al2O3). Leur travail tourne en effet autour de l’idée de simuler numériquement comment tel défaut va impacter telle propriété du matériau.

Deux logiciels adaptés

Il s’agit notamment d’estimer les énergies de formation des défauts en fonction des différentes conditions de synthèse possibles, par exemple sous une atmosphère enrichie en oxygène. Les chercheurs ont pour cela développé deux logiciels, codés en Python2, qui formalisent les équations et la physique associée aux propriétés offertes par les défauts.

« Pouvoir connaître en avance les énergies de formation des défauts a trois utilités, poursuit Camille Latouche. D’abord, cela nous permet de savoir s’ils vont être faciles à créer ou non, puis indique la position qu’auront les défauts au sein du matériau. Enfin, ce type de calculs nous permet de prévoir l’impact des défauts sur la structure électronique du matériau hypothétique non fauté et nous renseigne sur les propriétés optoélectroniques associées à ces défauts. On ne fait qu’essayer de reproduire ce que fait la nature. Nous nous frottons à beaucoup de limites, mais cela marche globalement bien. »

Un travail d’équipe

Pour ces travaux, Camille Latouche a été accompagné de Stéphane Jobic, directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint de l’IMN, du doctorant Théo Cavignac et de stagiaires de master. Cette thématique est développée au laboratoire depuis l’arrivée de Camille Latouche en tant que maître de conférences en 2015, et les premiers résultats d’Adrien Stoliaroff, Romain Schira et William Lafargue-Dit-Hauret ont permis la rédaction et la réussite du projet. Trois grands résultats en sont sortis récemment. D’abord, la simulation complète d’un spectre d’émission du saphir et du zirconate de baryum, grâce à une méthode au faible coût de calcul. Les chercheurs ont également produit un logiciel de post-traitement pour ces données, basées sur les équations de la littérature scientifique réunies en une solution facilement prise en main. Enfin, une base de données est en cours de création sur les propriétés des matériaux en fonction des paramètres des défauts.

Ces travaux reposent sur la modélisation structurale et le calcul quantique, comme la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT, pour Density functional theory), afin d’explorer la structure électronique des matériaux. « Nous n’avons pas révolutionné le domaine, mais nous avons repris ce qui avait déjà été fait et l’avons mis à notre sauce, reconnaît Camille Latouche. C’est notre petite pierre à l’édifice. »

La quasi-totalité de ces calculs et résultats a maintenant été publiée. Camille Latouche explore à présent l’utilisation de triséléniure d’antimoine, Sb2Se3, pour des applications photovoltaïques. Il a également reçu une décharge d’enseignement via l’IUF, qu’il remercie fortement, afin de travailler sur la simulation des propriétés de luminescence dans les matériaux sans terre rare en chimie du solide. Il s’agira une nouvelle fois d’utiliser des approches computationnelles pour simuler des spectres de luminescence, afin de guider la synthèse de matériaux aux propriétés optiques optimisées. Là encore, l’étude des défauts sera au cœur de ces travaux.


Luminescence bleue chez le saphir (Al2O3) grâce à un dopage. Reproduit avec la permission de Cavignac et al., Inorganic Chemistry 63(6) © 2024 American Chemical Society

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Modélisation réaliste des défauts dans les matériaux de l’état solide possédant des propriétés optiques et électroniques – MoRDOR ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2020).

 

Notes
  • 1. IMN, CNRS/Nantes Univ.
  • 2. Le python est un langage informatique facile à mettre en œuvre, souvent utilisé en science.