Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Vent, pluie, surcote marine… et si l’érosion cumulée du dernier million d’années jouait un rôle sur les séismes en Bretagne ?
10.12.2025, par Anaïs Maréchal
Mis à jour le 10.12.2025

La tectonique des plaques ne permet pas d’expliquer complètement la survenue de séismes loin des frontières de plaques. Le projet ANR EroSeis montre que l’érosion pourrait contribuer au phénomène.

Formulée dans les années 1960, la théorie de la tectonique des plaques est toujours valide : elle explique l’origine de l’activité tectonique, comme les tremblements de terre. Dans les grandes lignes, cette théorie établit que la couche externe de la Terre est fragmentée en plaques tectoniques. Ces plaques peuvent coulisser l’une contre l’autre, s’écarter ou entrer en collision. En conséquence, des contraintes s’accumulent à leurs frontières, et sont dissipées lors des séismes. Mais il y a un hic. Des séismes parfois importants surviennent très loin des frontières de plaques, dans des zones supposées calmes… Que s’y passe-t-il ?

Cette question mobilise la communauté scientifique depuis plusieurs décennies, sans qu’une théorie précise n’ait été validée. Mieux comprendre les processus à l’origine de ces séismes permettrait pourtant de mieux anticiper les risques. « Il n’existe aucun modèle théorique qui nous permette d’expliquer pourquoi il y a des séismes en Bretagne ou encore dans le Sud de l’Australie, pointe Stéphane Mazzotti, professeur à Nantes Université. De nombreuses hypothèses existent, et nous avons choisi d’en explorer une un peu folle avec le projet ANR EroSeis1 : et si c’était l’érosion ? »

L’érosion est un phénomène naturel : sous l’effet de la pluie, du vent ou des activités humaines, la roche se délite (en morceaux de la taille de blocs rocheux à un grain de sable) et ces fragments sont emportés vers la mer. Par exemple, les tempêtes érodent les côtes, le vent et la pluie les massifs montagneux, etc. « Le rôle de l’érosion long-terme sur l’activité sismique a déjà été montré en frontière de plaque, relate Stéphane Mazzotti. Nous savons qu’elle influence la sismicité dans les chaînes de montagnes comme l’Himalaya. À Taïwan, on observe des pics de sismicité lors des typhons, liés à l’érosion importante lors de ces évènements extrêmes. » En cause : le rebond isostatique. En effet, lorsqu’une région est érodée, les fragments sont emportés au loin et le poids de la croûte terrestre diminue localement. En réponse, la région se soulève, un peu comme un bateau qui remonte à la surface si son poids est allégé. « Ce rebond génère des contraintes dans la région, tout comme la tectonique des plaques », poursuit Stéphane Mazzotti.

L’originalité du projet EroSeis : tester cette hypothèse non pas en frontière des plaques mais à l’intérieur de celles-ci, en domaine dit ‘intraplaque’. « Certains de mes collègues collaboraient déjà avec des scientifiques australiens, nous avons alors eu l’idée de tester notre hypothèse sur deux zones : l’ouest de la France (Pyrénées et Bretagne) et le sud de l’Australie », raconte Stéphane Mazzotti. L’intérêt ? Si ces deux régions sont bien en domaine intraplaque, elles sont très différentes : climat, taux d’érosion, taux de sismicité… de nombreux facteurs les séparent. « Cette comparaison permet de s’affranchir au maximum des autres facteurs qui influencent la sismicité, poursuit le chercheur. Malheureusement, en raison du Covid-19 et de problèmes personnels des porteurs de projet en Australie, nous n’avons pas pu mener nos missions de terrain en Australie et nous avons recentré l’étude en France. »

Dès 2022, l’équipe démarre le travail de terrain dans les Pyrénées et le Massif armoricain. L’objectif ? Quantifier la vitesse d’érosion dans les deux régions. Pour cela, les scientifiques échantillonnent des sédiments – ces fragments de roche issus de l’érosion – dans le but d’estimer la période où ils ont été déposés. « Dans le massif armoricain, nous avons ramassé du sable de rivière, raconte Stéphane Mazzotti. Dans les Pyrénées, les conditions d’échantillonnage étaient particulières : nous avons aussi récupéré des échantillons dans des grottes, lors d’expéditions en spéléologie. Une première pour moi ! »

Échantillonnage de sable de rivière en Bretagne © Stéphane MazzottiÉchantillonnage de sable de rivière en Bretagne © Stéphane Mazzotti

Échantillonnage de sédiments lors d'une expédition en spéléologie dans les Pyrénées © Oswald MalclesÉchantillonnage de sédiments lors d'une expédition en spéléologie dans les Pyrénées © Oswald Malcles

De retour au laboratoire, un long travail de chimiste commence. Les échantillons sont purifiés avec des acides très corrosifs pour ne conserver qu’un seul minéral (le quartz), ensuite réduit en poudre. Ces poudres sont analysées dans l’Accélérateur de particules pour les Sciences de la Terre, l’Environnement et les Risques (ASTER) à Aix-en-Provence. « Ces mesures permettent de calculer le taux (ou vitesse) d’érosion dans nos zones d’étude », complète Stéphane Mazzotti. Dans le Massif armoricain, l’équipe montre qu’elle est de 5 à 25 mètres par million d’années.

Échantillons de sédiments récupérés lors des missions de terrain © Oswald MalclesÉchantillons de sédiments récupérés lors des missions de terrain © Oswald Malcles

Reste enfin à tester l’hypothèse initiale : est-ce que l’érosion contribue à la sismicité dans ces régions ? L’équipe calcule le rebond isostatique, comme l’explique Stéphane Mazzotti : « Nous avons réalisé un modèle numérique, dans lequel on intègre toutes les connaissances sur la région : géologie, épaisseur du bassin sédimentaire, flux de chaleur local, etc. Cela nous permet d’estimer le soulèvement et les contraintes engendrés par l’érosion. » Dans le Massif armoricain, le soulèvement est de 8 à 14 m par million d’années dans les terres et de 4 à 8 m par million d’années le long de la côte. « Ces résultats – ainsi que des recherches préliminaires sur les séismes – suggèrent que l’érosion long terme peut être un facteur de déformation et d’activité sismique dans les régions continentales stables. »

Les résultats de l’ANR EroSeis doivent maintenant être complétés. En parallèle du projet, deux thèses ont été consacrées à des études similaires dans les Alpes et le Bassin parisien, qui serviront d’élément de comparaison pour mieux cerner les effets de l’érosion en zone intraplaque. « Nous souhaitons lancer un projet à l’échelle de toute la France métropolitaine et l’Europe de l’Ouest limitrophe, confie Stéphane Mazzotti. L’objectif est d’intégrer l’effet de l’érosion dans les calculs d’aléas sismiques pour la prochaine mise à jour de la carte d’aléa sismique en France. »

Pour en savoir +
https://pubs.geoscienceworld.org/gsa/geology/article/51/8/733/623835/Impact-of-long-term-erosion-on-crustal-stresses

https://esurf.copernicus.org/articles/13/629/2025/

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR EROSEIS - AAPG2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 20).

Notes