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Tout rayonnement qui traverse l'atmosphère est en partie absorbé par les gaz qui la composent. Parce que ces interactions jouent un rôle déterminant dans la simulation des données recueillies par les satellites, elles doivent être modélisées avec précision. En s'appuyant sur une approche novatrice, des scientifiques ont montré qu’il était possible d’effectuer plus rapidement cette opération tout en mobilisant un minimum de ressources informatiques. Ces travaux devraient permettre d’accéder à de nouvelles informations sur les propriétés de l’atmosphère et de la surface terrestre.
L'ouragan Felix photographié par l'équipage de l'Expédition 15. Image Nasa / Johnson Space Center
En l’espace de quelques décennies le champ d’utilisation de la télédétection par satellite n’a cessé de s’étendre : météorologie, aménagement urbain, gestion des ressources agricoles et forestières, étude du climat, comptent parmi les nombreux domaines d'application de ce puissant outil d’analyse. La télédétection spatiale repose sur la mesure du rayonnement électromagnétique émis ou réfléchi par un objet. Cette énergie lumineuse provient principalement du Soleil mais peut aussi être générée par la surface terrestre sous forme de rayonnement infrarouge.
Tout au long de leur parcours entre le capteur du satellite et l’objet d'étude – formation nuageuse, parcelle agricole, aérosols engendrées par un incendie,... – ces rayonnements sont partiellement absorbés par les différentes molécules gazeuses présentes dans l'atmosphère. L'étude de la propagation de l'énergie sous forme d'ondes électromagnétiques et de son interaction avec les milieux fluides ou solides constitue le champ disciplinaire du transfert radiatif. « Pour pouvoir extraire des données fiables de mesures satellites, il est indispensable de modéliser avec précision la part de rayonnement absorbée par toutes ces espèces gazeuses, ce qui peut se révéler très coûteux en termes de calculs informatiques », souligne Frédéric André, physicien du transfert radiatif au Laboratoire d'optique atmosphérique (LOA)1, anciennement rattaché au Centre d'énergétique et de thermique de Lyon (CETHIL)2.
Un modèle hybride plus efficace
Afin de limiter la puissance de calcul consacrée au traitement des interactions rayonnement-gaz, ce spécialiste du transfert radiatif dans les milieux fluides s’est associé à Céline Cornet, physicienne de l’atmosphère au LOA. En croisant leurs domaines d’expertise respectifs, les deux scientifiques ont mis au point une méthode novatrice pour simuler le transfert radiatif dans le milieu atmosphérique. « Cette approche dite en “L-distributions” présente la particularité de combiner de façon originale la modélisation de phénomènes physiques avec des outils de simulation statistique et de l’apprentissage automatique tel qu’utilisé dans le domaine de l’intelligence artificielle », résume Frédéric André. Contrairement à d’autres outils de modélisation basés uniquement sur l'apprentissage automatique à partir de données, ce modèle hybride offre la possibilité de donner un sens physique à tous les paramètres du modèle, ce qui permet leur interprétation.
Au-delà de sa capacité à estimer de manière fiable la part du rayonnement absorbée par les gaz atmosphériques, l’approche en L-distributions a vocation à limiter son coût de calcul. Pour le vérifier, les scientifiques ont eu recours à la base de données HITRAN (acronyme anglais de High Resolution Transmission) qui compile les paramètres spectroscopiques de dizaines d’espèces moléculaires. Ces données servent de référence à la communauté scientifique pour prédire et simuler l'absorption et l'émission de lumière dans différents milieux gazeux dont l’atmosphère terrestre. Une fois intégrés dans un logiciel développé par le laboratoire, ces paramètres spectroscopiques ont permis à l’équipe de recherche de tester l'efficacité de la méthode en L-distributions pour le calcul du transfert radiatif de la vapeur d’eau (H20), de l’oxygène (O2), du dioxyde de carbone (CO2), de l’ozone (O3) et du méthane (CH4). Ces cinq constituants de l’atmosphère terrestre n’ont pas été choisis au hasard. Tous sont en effet susceptibles d’absorber l’énergie radiative dans les longueurs d’onde où les satellites sont amenés à effectuer des mesures de luminance3.
La Terre reçoit de l'énergie solaire et en réémet une partie vers l'espace sous forme de rayonnement électromagnétique. Une partie de ce rayonnement est absorbée par les molécules de l'atmosphère (comme la vapeur d'eau ou le dioxyde de carbone), ce qui modifie le signal capté par les satellites. Pour corriger ces effets et obtenir des mesures fiables, les scientifiques utilisent des modèles de transfert radiatif. © Emilie Josse
Vers un temps de calcul divisé par dix
« En implémentant de nouvelles méthodes de mathématiques appliquées dans un modèle d’observation de la Terre nous avons montré qu’il était possible de réduire de façon significative le temps de calcul des transferts radiatifs de chacune de ces espèces gazeuses ce qui reste aujourd'hui un frein à de nombreux développements dans le domaine de la télédétection par satellite », précise Céline Cornet.
Pour simuler la physique de l'interaction entre le rayonnement électromagnétique et les molécules atmosphériques, les spécialistes du transfert radiatif s’appuient actuellement sur des modèles en coefficient d’absorption couplés à des techniques d'analyses probabilistes. Estimer avec précision la part d’énergie transférée via cette approche implique, en présence de nuages, de considérer le cheminement d’une dizaine de millions de photons entre l’objet étudié et le capteur du satellite. Avec la méthode en L-distributions développée par l'équipe du LOA, un million de ces mêmes particules lumineuses suffisent pour obtenir un niveau de précision similaire. « Le fait de devoir recourir à un nombre de photons dix fois moins élevé pour aboutir au même degré de précision signifie que le temps de calcul du transfert d'énergie radiative peut potentiellement être réduit d’un ordre de grandeur similaire à condition de retravailler toute la chaîne de calculs de notre modèle d’analyse pour la mettre en adéquation avec ce nouveau paradigme », extrapole Frédéric André.
Au chevet des villes en surchauffe
À brève échéance, l’utilisation de l’approche en L-distributions est notamment envisagée dans le domaine de l'imagerie hyperspectrale. Cette technologie sert par exemple à discriminer des types de roches qui apparaissent identiques à l'œil nu. Elle doit aussi permettre d’extraire de faibles variations de températures à l’échelle d’une ville à partir d’images satellite. La mission spatiale Trishna, dont le lancement est prévu dans le courant de l’année 2026, devrait permettre de tester l’approche en L-distributions dans un tel contexte applicatif. Une fois opérationnel, ce satellite franco-indien recueillera notamment des images de la surface terrestre dans le domaine de l’infrarouge thermique. Doté d’une grande résolution spatiale, cet outil d'observation devrait être capable d’évaluer des températures de surface en milieu urbain durant des vagues de chaleur. « Pour obtenir une estimation précise de cette température de surface, il sera nécessaire de corriger la valeur mesurée par le satellite de l’absorption d’une partie du flux infrarouge par les gaz de l'atmosphère qui se situent entre le sol et l'observatoire spatiale qui évoluera à 760 km d’altitude. La méthode en L-distributions développée au sein de notre laboratoire a justement vocation à réaliser ce type de corrections atmosphériques », complète Céline Cornet.
Parce qu'ils visent à diminuer le temps de calcul dédié à la modélisation du transfert radiatif, ces travaux devraient contribuer à relever l’un des grands défis actuels de l’ingénierie qui est celui de la transformation numérique.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-ASGARD-AAPG2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 20).
