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Il est aujourd’hui possible de façonner des matériaux solides qui présentent des pores de l’ordre du nanomètre pour piéger des liquides ou des gaz. Dits mésoporeux, ces matériaux composites pourraient ouvrir la voie à des applications diverses, notamment dans le stockage d’énergie et les batteries.
Quel est le point commun entre une trottinette électrique, un smartphone, un ordinateur portable et une cigarette électronique ? Tous ces dispositifs nomades tirent leur énergie de batteries au lithium. Cette technologie de stockage d’énergie présente de nombreux avantages, ce qui explique son omniprésence dans notre quotidien. Mais en vieillissant, en cas de choc ou encore à cause de problèmes de conception, ces batteries peuvent fuir et perdre le liquide conducteur qui contient le lithium leur permettant de fonctionner. Or, ces liquides sont très volatiles et peuvent facilement prendre feu. Les cas d’incendie causés par ce type de batteries sont malheureusement courants de nos jours. Pour améliorer la sécurité de ces dispositifs de stockage d’énergie, la recherche scientifique s’efforce de trouver des alternatives à ces liquides conducteurs appelés électrolytes liquides.
Des matériaux composites
Une des pistes explorées consiste à remplacer ces liquides par des électrolytes solides. L’équipe de chercheuses et chercheurs du projet Ionopils1 étudie une voie intermédiaire : « notre objectif est de créer des matériaux poreux dans lesquels nous cherchons à piéger un liquide ionique afin d’obtenir un électrolyte quasi-solide », précise Anne-Caroline Genix, maîtresse de conférences au Laboratoire Charles Coulomb de Montpellier2 et coordinatrice du projet Ionopils. Les liquides ioniques sont en effet des sels qui, contrairement au sel de table formé de cristaux, restent liquides à température ambiante. Uniquement composés de porteurs de charge appelés ions, ces liquides ioniques possèdent une forte conductivité électrique. De plus, certains peuvent dissoudre des sels de lithium. « Ce sont donc d’excellents candidats pour être utilisés comme substance conductrice dans les batteries lithium-ion », ajoute la physicienne. L’idée est donc de confiner ces liquides ioniques dans les canaux d’un matériau poreux pour permettre aux ions de se déplacer librement dans cette matrice solide (et ainsi conduire l’électricité) tout en limitant fortement les risques de fuite de liquide.
Une synthèse « one-pot »
Pour mettre en œuvre ce projet, l’équipe à laquelle appartient Anne-Caroline Genix s’est associée à celle de Peter Hesemann et de Johan Alauzun de l’Institut Charles Gerhardt Montpellier3, spécialisée dans la fabrication de matériaux poreux et leur fonctionnalisation. Par exemple, « nous incorporons des groupements ioniques à l’intérieur de silice poreuse pour en modifier les propriétés », explique Peter Hesemann. Ce type de matériau hybride appelé « ionosilice » est susceptible d’ouvrir la voie à des applications diverses. « Nous étudions par exemple leur capacité à délivrer des principes actifs au sein de cellules ou à absorber des molécules d’intérêt biologique. Dans le cadre du projet Ionopils, nous nous sommes intéressés à leur potentiel pour immobiliser des liquides ioniques », ajoute le chercheur. Et ça marche ! À l’aide d’un simple procédé dit « sol-gel », ces chimistes ont réussi à synthétiser, à température ambiante, des ionosilices poreuses contenant du liquide ionique en une seule étape, à l’image d’une recette « one-pot » où tous les ingrédients sont cuits dans un même récipient. Ces chimistes ont notamment fabriqué des membranes fines d’un à deux millimètres d’épaisseur.
Membrane d’ionosilice avec liquide ionique confiné. © Shilpa Sharma.
Des pores nanométriques
Afin de mettre en lumière l’effet de ce confinement sur le liquide ionique et ses interactions avec la matrice d’ionosilice, l’équipe de Anne-Caroline Genix et de son collègue Julian Oberdisse s’est ensuite attachée à caractériser les propriétés physiques de ces matériaux composites, en premier lieu leur structure interne. Pour cela, ces physiciens ont recours à de grands instruments de recherche, tels que le synchrotron SOLEIL de Paris-Saclay, dont les rayons X permettent de sonder la matière, ainsi qu’à des techniques d’absorption de gaz pour déterminer la surface totale accessible, y compris celle des pores. Ces données leur ont permis de modéliser la microstructure des différentes ionosilices poreuses synthétisées. « Nous pouvons notamment évaluer la quantité et la taille des pores ainsi que leur organisation », précise Anne-Caroline Genix. Les résultats obtenus confirment que, dans ce procédé de chimie douce, le liquide ionique joue le rôle d’agent structurant : il guide dans ce matériau la formation désordonnée de pores interconnectés et cylindriques de longueur et de rayon de l’ordre du nanomètre.
Ligne de lumière SWING pour la diffusion des rayons X au synchrotron SOLEIL. © Johan Alauzun.
De la mésoporosité du matériau
En effet, la quantité de liquide ionique employée lors de la réaction sol-gel influence la mésoporosité du matériau, c’est-à-dire le nombre et la taille des pores nanométriques qu’il contient. « Si trop de liquide ionique est utilisé, les canaux formés sont larges et le liquide ionique n’est plus efficacement confiné dans la matrice d’ionosilice », souligne Peter Hesemann. À l’inverse, lorsque la quantité de liquide ionique est insuffisante, la mésoporosité augmente : les pores sont trop nombreux et étroits. La conductivité du matériau, mesurée par spectroscopie diélectrique, une technique qui consiste à analyser la réponse du matériau à un champ électrique, chute alors de façon drastique. Dans ce cas, « la surface spécifique augmente fortement et les interactions entre le liquide ionique et la paroi des pores immobilisent les ions. Le nanoconfinement du liquide ionique au sein du matériau mésoporeux peut donc se traduire par un ralentissement de la mobilité moléculaire », explique Anne-Caroline Genix.
Image en microscopie électronique haute résolution d'une membrane d’ionosilice. © Erwan Oliviero (Plateforme MEA, Université de Montpellier).
Assouplir la matrice solide
Autre constat : les ionosilices mésoporeuses synthétisées sont certes dures mais aussi cassantes. « Dans le but d’améliorer leurs propriétés mécaniques, les rendre plus souples, un polymère constitué de longues chaînes de molécules et compatible avec le liquide ionique a été ajouté à la synthèse one-pot », dévoile la chercheuse. Grâce à une étude de la structure interne de ce mélange ternaire effectuée à l’aide de faisceaux de neutrons sur les grands instruments de recherche de l’Institut Paul Scherrer en Suisse et de l’Institut Laue-Langevin de Grenoble, Anne-Caroline Genix et ses collaborateurs ont montré que le polymère est, comme espéré, encapsulé à l’intérieur des pores et non pas piégé dans le réseau d’ionosilice. Cette collaboration entre chimistes et physiciens montpelliérains cherche aujourd’hui à comprendre l’influence du polymère sur les propriétés mécaniques de ce matériau et sur sa conductivité, par exemple par obstruction des chemins conducteurs de la matrice solide. Il leur restera ensuite à déterminer les proportions optimales de ce mélange ternaire pour tenter de faire de ces ionosilices mésoporeuses un électrolyte quasi-solide stable. « Au final, la performance du matériau reposera sur un équilibre délicat entre architecture poreuse, mobilité ionique et cohésion mécanique », conclut Anne-Caroline Genix. Affaire à suivre.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR IONOPILS - AAPG2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 20).
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Pour en savoir + :
S. Sharma et al. Nanoscale 2024 ; 16:6053-6067
Controlled formation of multi-scale porosity in ionosilica templated by ionic liquid
DOI: 10.1039/d3nr06213a
A.-C. Genix et al. ACS Applied Materials & Interfaces 2025 ; 17:47532-47542
Heterogeneous Decoration of Ionic Mesopores by Ionic and Poly(Ionic) Liquids
DOI: 10.1021/acsami.5c11985
- 1. Transport ionique dans les doubles réseaux ionosilice et poly(liquide ionique)s dopés https://anr.fr/Projet-ANR-20-CE06-0027
- 2. L2C : Unité CNRS – Université de Montpellier
- 3. ICGM : Unité CNRS – Université de Montpellier - ENSCM
