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Après avoir conduit une enquête sur le suicide assisté en Suisse, dans laquelle de nombreuses personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique (SLA) avaient fait des demandes pour mettre fin à leur vie, Anthony Stavrianakis, chargé de recherche CNRS au Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative1, a voulu en savoir plus sur les différentes façons dont les gens vivent avec la SLA une fois diagnostiquée. En quoi consiste la prise en charge médicale, lorsqu'elle n'implique aucun horizon de guérison ? Comment les gens abordent la fin de vie lorsqu'ils vivent avec cette maladie neurodégénérative ? La SLA est mortelle à 100 % et le temps moyen jusqu'au décès après le diagnostic varie de trois à cinq ans, 10 % des personnes vivant dix ans ou plus.
De 2019 à 2020, Anthony Stavrianakis a mené à la fois une étude ethnographique en Californie du Nord et une enquête historique sur l’émergence des connaissances sur cette maladie depuis le XIXe siècle. Par le biais de l’enquête historique, il a suivi l’invention des dispositifs pour la prise en charge des patients SLA à partir de 1975. On constate aujourd’hui que les soins « multidisciplinaires » pour la SLA ont leurs racines dans un changement de paradigme à partir des années 1970. Une nouvelle orientation a été mise en place, selon laquelle le travail de soins pour ces patients et le devoir médical envers eux consistaient à ne pas les livrer à eux-mêmes.
Tubes
Une approche interdisciplinaire
Au cours de la dernière décennie, et en particulier depuis 2014, de plus en plus de chercheurs et chercheuses en sciences sociales s’intéressent à la façon dont est vécue cette maladie, et à sa prise en charge. Ces études peuvent être classées en trois groupes qui se recoupent en partie. Tout d'abord, des travaux, inspirés des science studies, examinent de très près ce que l'on appelle parfois les « pratiques matérielles » des personnes atteintes de SLA. Jeannette Pols, chercheuse néerlandaise spécialisée dans l'étude empirique de l'éthique, ainsi que des collègues médecins aux Pays-Bas, ont été des précurseurs dans ce travail : ils ont observé la manière dont les patients font des choix et naviguent parmi les options d'interventions corporelles possibles, notamment en ce qui concerne les tubes d'alimentation, les appareils respiratoires et les soins de fin de vie. D’autres travaux ont adopté une approche « narrative » des expériences de la SLA : le chercheur Dikaios Sakelliarou, basé à Cardiff, a ainsi conduit des recherches à l'intersection entre sociologie médicale, santé publique, études sur le handicap et ergothérapie. Une troisième approche, forgée par l'anthropologue et spécialiste de la santé publique américaine Chelsea Carter, s'est attachée à mettre en évidence les effets discriminatoires des représentations raciales dans le diagnostic de la SLA.
Travail
Ce que nous ne savons pas
Depuis les années 1970, on observe cette injonction dans les soins SLA, qui était nouvelle à l'époque, selon laquelle les gens devraient vivre « le mieux possible aussi longtemps que possible ». Cela contraste avec une philosophie et une orientation plus anciennes selon lesquelles le corps médical avait décidé que, ne pouvant pas guérir la maladie, il ne pouvait pas aider à améliorer la vie avec la maladie. Dans le contexte d'une nouvelle prise de conscience des droits des personnes handicapées et ayant réalisé que les soins pouvaient être palliatifs, le corps médical a pris la responsabilité de préparer et d'accompagner le patient atteint de SLA, si possible jusqu’au moment de la mort. Anthony Stavrianakis a étudié comment cette injonction à vivre le mieux possible et le plus longtemps possible se traduit dans la pratique, en passant du temps avec les équipes médicales et les patients, en clinique et au domicile des patients.
Le projet
Le projet ethnographique s'est déroulé en Californie du Nord d'août 2019 à juin 2020, et a été soutenu par l'Agence nationale de la recherche2. À l'hôpital, Anthony Stavrianakis partageait son temps entre la clinique SLA au sein du service de neurologie, où il passait deux jours par semaine, et l'équipe de soins palliatifs, dont un quart des patients étaient atteints de SLA. Il a été particulièrement intéressant d’étudier la division du travail entre ces deux équipes et les différentes façons dont la personne et la maladie devenaient un objet d'attention dans les deux espaces et les deux pratiques médicales. L'accès au terrain n'a pas été compliqué. Cela dit, comme c'est généralement le cas dans le travail anthropologique de terrain, il y avait un travail à faire sur la place que l'anthropologue se voyait confier sur le terrain. Parce qu'il avait auparavant étudié le suicide assisté en Suisse et écrit sur le sujet, Anthony Stavrianakis était souvent présenté comme un « expert » des questions de fin de vie, ce qui était parfois contraignant pour les types de discussions rendues possibles ou non avec les patients.
En plus du travail ethnographique mené en clinique, le chercheur a également passé du temps hors des structures médicales auprès de personnes atteintes de SLA afin de savoir comment elles vivaient au quotidien avec la maladie, en tenant compte des défis qu'elle présente. Grâce à son travail de terrain, il a pu observer la manière dont chacun s’invente des repères pour continuer à vivre malgré la maladie. Certains entreprennent un travail psychanalytique et une réflexion sur l'expérience de la maladie ; d’autres se tournent vers la religion, demandant la grâce de Dieu ; les derniers enfin engagent un travail politique et militant pour accroître l'investissement dans la recherche sur cette maladie afin que, même s'il y a peu d'espoir maintenant, il y en ait pour d’autres personnes dans l’avenir.
Ces recherches ont donné lieu à plusieurs présentations, notamment à l'université d'Oxford, et un manuscrit est en cours d'évaluation auprès de Cornell University Press.
Vraiment pénible
Les questions qui demeurent
Maintenant que son manuscrit intitulé Crucible of the Incurable : Facing ALS (300 pages) est terminé, une question demeure : que peut apporter cette recherche sur la SLA pour d’autres situations d'incurabilité auxquelles les gens peuvent être confrontés ? Une réflexion pourrait ainsi émerger dans le contexte du réchauffement climatique : si la situation planétaire est incurable, que signifierait vivre le mieux possible le plus longtemps possible ?
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du journal CNRS