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Tapez "atome image" dans le champ de recherche de la photothèque du CNRS et vous verrez s’afficher presque autant de styles d’image que de résultats. Est-ce que cela a du sens de se demander à quoi ressemble un atome ?
Charlotte Bigg [1]: L’idée d’une vision de l’atome directe et non médiée est une illusion. Par définition, on ne peut pas voir un atome, ni à l’œil nu, ni avec un microscope optique, et ce pour une raison très simple : la taille des atomes est bien inférieure aux longueurs d’onde de la lumière visible. Mais cette illusion est entretenue par des images qui suggèrent une commensurabilité trompeuse entre le monde atomique et le nôtre. Nous avons l’impression qu’un progrès continu des technologies microscopiques nous permet, en quelque sorte, de zoomer dans des dimensions de plus en plus petites, à la manière du film célèbre réalisé en 1977 par Charles et Ray Eames, Powers of Ten.
Illustration n° 1 : Monocristal d'or de 8 nanomètres observé par microscopie électronique à haute résolution. L'arrangement parfait des atomes d'or révèle l'absence de défauts cristallins. © ERC/CNRS Photothèque / Marie-Paule PILENI, Nicolas GOUBET
Mais alors que voit-on sur ces images de microscopie électronique ?
C.B.: L’impossibilité d’une perception optique de l’atome ne veut pas dire qu’il est inaccessible à l’expérience ou irreprésentable. Les différentes techniques que l’on regroupe sous le terme de microscopie électronique fonctionnent selon des principes différents de la microscopie optique. Ils emploient des faisceaux d’électrons pour obtenir certains types d’information, notamment concernant les surfaces. Mais il faut être conscient du nombre important de médiations techniques opérées dans la production de telles images : ces mesures requièrent une préparation très précise des échantillons, par exemple. L’historien des sciences Jochen Hennig [2] a montré que l’élaboration du microscope électronique à balayage à la fin des années 1970 et au début des années 1980 a donné lieu à de multiples formes de représentation, en conjonction avec le développement contemporain des techniques de visualisation numérique. En fin de compte une convention se met en place avec des images qui souvent ressemblent à des photographies (illustration n°1). Pour un public non expert, les codes visuels de la photographie tendent à renforcer l’effet de réalisme, comme ces ombres portées ( (illustration n°4) que l’on peut distinguer à côté des monticules qui figurent les atomes individuels. Mais aucune technique photographique n’entre en jeu. Cet effet provient des logiciels employés pour transformer les données numériques en supports visuels (illustration n°2). L’image scientifique, comme toute image, n’est jamais un simple miroir de la réalité (illustration n°3).
Illustration n°2 : Image 3D d'une protéine obtenue par cristallographie des rayons X. Le signal de diffraction des RX par le cristal de protéine permet de reconstituer le nuage électronique (volume bleu) qui entoure les atomes. © IBMC / CNRS Photothèque / Claude SAUTER
Illustration n°3 : Cette figure représente la structure d'un complexe organométallique : Fe(C4H4N2)[Pt(CN)4]. Les atomes de fer sont en rouge, les atomes de carbone en orange, ceux d'azote en bleu et de platine en jaune. Les atomes hydrogènes ne sont pas représentés. Ce composé est étudié pour ses propriétés électroniques, au sein de recherches visant à stocker de l'information dans des matériaux moléculaires par voie optique. © LCC / CNRS Photothèque
Illustration n°4 : Visualisation en 3D de la densité de probabilité de présence de l'électron dans 36 états propres de l'atome d'hydrogène. © CNET / Lactamme / CNRS Photothèque / Jean-François COLONNA
Pourquoi tant d’images différentes ?
C.B.: Ces différentes images renvoient à la fois à des propriétés différentes de l’atome et à differentes traditions de représentation. Les images expérimentales varient en fonction des instruments utilisés : un spectroscope, un photomètre, un microscope électronique fournissent chacun des images différentes qui sont le produit à la fois du type de données produites et de conventions de représentation. Suivant que vous êtes chimiste, physicien, biologiste ou spécialiste de la science des matériaux, vous aurez une approche différente par rapport aux atomes et aux molécules. Le choix même de travailler sur des images et/ou des données varie selon les disciplines et les approches.[3]. Et puis il y a aussi ces images plus abstraites qui ne sont pas des images expérimentales, comme les diagrammes de Feynmann ou modèles moléculaires qui permettent de visualiser de manière schématique des caractéristiques spécifiques de l’atome. Ce sont avant tout des outils de travail et des outils pédagogiques.
Illustration n°5 : Exemple de représentation planétaire de l’atome. © Nicolas BAKER
L’image « planétaire » de l’atome est particulièrement ancrée dans l’imaginaire. Et pourtant elle est très loin de la réalité physique ! Pourquoi ?
C.B.: C’est en effet un paradoxe parce que ce modèle développé par Niels Bohr en 1913 est très rapidement remis en question avec le développement des théories quantiques. Or encore aujourd’hui il est enseigné en physique et demeure le symbole de la recherche sur l’atome (illustration n°5). L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’utilise même sur son logo ! En fait ce modèle a été popularisé après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis lors des grandes campagnes connues sous le nom de « Atoms for Peace ». Il est devenu un raccourci pour parler de recherches sur le nucléaire. Cette image est frappante et esthétique, ce qui a probablement favorisé sa diffusion malgré sa remise en question scientifique.