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Ces réalités de terrain qui tissent la « nouvelle route de la soie »

Ces réalités de terrain qui tissent la « nouvelle route de la soie »

20.09.2022, par
Des ouvriers marchent sur une poutre, sur le site de construction du train à grande vitesse Jakarta-Bandung à Bekasi (Indonésie, 15 août 2020).
Cet ensemble d’axes économiques et commerciaux représente un projet phare du développement de la Chine. Mais sur le terrain, ce réseau est plus complexe et moins unilatéral qu’on pourrait le penser. Analyse.

À l’automne 2013, le président de la République Populaire de Chine dévoile un vaste projet de constructions visant à relier l’Orient et l’Occident. Ces nouvelles infrastructures – portuaires, ferroviaires, terrestres… – doivent aller de l’Est de la Chine jusqu’à la côte atlantique européenne. Dès l’inauguration, le président Xi Jinping érige ce projet en symbole de la modernité du pays et de son développement à l’international. Il dit aussi s’appuyer sur la traditionnelle « route de la soie », un réseau commercial historique de la Chine, dont l’origine se perd dans l’Antiquité.

Un imaginaire bâti sur des réseaux commerciaux

Cette référence donne l’image d’un pays fidèle à son passé et en même temps tourné vers l’avenir, dynamique et prospère de toute éternité. Toutefois, « l'expression “route de la soie” a été inventée par le géographe allemand Ferdinand Von Richthofen à la fin du XIXe siècle, relativise Adèle Esposito, chercheuse CNRS à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine1 (Irasec). Des enquêtes de terrain lui avaient permis de comprendre qu’un réseau d’axes commerciaux reliait l’Asie à l’Europe. » La soie était l’un des produits phare de ce réseau, mais il y en avait d’autres – épices, tissus, matériaux…

Il ne faut pas imaginer une route parfaitement identifiée sur le terrain, mais plutôt un vaste réseau de circulation, qui s’est développé sur plusieurs siècles.

« Il ne faut pas imaginer une route parfaitement identifiée sur le terrain, poursuit-elle. C’est plutôt un vaste réseau de circulation, qui s’est développé sur plusieurs siècles, et que l’on rattache plus ou moins à cet imaginaire. » De même, le projet chinois actuel ne correspond pas à une voie clairement délimitée. La désignation « One Belt One Road » en anglais (« une ceinture, une route ») a d’ailleurs été abandonnée à l’international en 2017, pour être remplacée par « Belt and Road Initiative » (BRI) – officiellement traduite par « l’initiative “ la Ceinture et la Route” ».

L’idée est de souligner que plusieurs voies de circulation sont en cours de développement. « Certaines passent par l’Asie du Sud-Est, illustre Adèle Esposito. Des axes de circulation se développent plus généralement entre le Nord et le Sud de l’Asie, ou vers le Japon par exemple. »

Des relations économiques et géopolitiques bilatérales 

De nombreuses recherches en sciences sociales s’efforcent d’anticiper ces développements, leurs raisons d’être et leurs conséquences. « En schématisant, on peut distinguer deux grands axes d’étude, pas forcément exclusifs d’ailleurs : l’un sur les objectifs économiques de la BRI, l’autre sur ses finalités géopolitiques », explique la chercheuse. Dans le premier cas, les travaux tournent autour de l’idée que la Chine traverse une phase de surdéveloppement. Elle aurait accumulé tellement de main-d’œuvre, d’expertise ou encore de production, qu’elle aurait besoin d’exporter davantage à travers le monde.

La ville nouvelle de Forest city, dans l’État malaisien de Johor, fait face à Singapour. Elle comprend quatre îles artificielles bâties sur la mer. Ce projet, lancé initialement pour accueillir des résidents chinois, a été rattaché à la BRI par les autorités malaisiennes afin d’obtenir du soutien financier.
La ville nouvelle de Forest city, dans l’État malaisien de Johor, fait face à Singapour. Elle comprend quatre îles artificielles bâties sur la mer. Ce projet, lancé initialement pour accueillir des résidents chinois, a été rattaché à la BRI par les autorités malaisiennes afin d’obtenir du soutien financier.

Côté géopolitique, les travaux portent plutôt sur le rôle joué par la BRI sur la scène internationale, sur l’évolution des coopérations entre la Chine et des pays dits « à économie faible » (Laos, Cambodge, Thaïlande…), ou encore sur les effets du déploiement d’importantes infrastructures à travers le monde. « On pourrait penser que la BRI comprend un ensemble de dispositifs permettant d’imposer un modèle, mais sur le terrain les choses sont loin d’être aussi unilatérales », nuance Adèle Esposito.

Les pays dits « à économie faible » (Laos, Cambodge, Thaïlande…), sont loin d’être soumis au développement de leur puissant voisin. Ils sont proactifs et participent à définir les futurs contours de la BRI. 

En Thaïlande par exemple, le gouvernement développe depuis 2016 un vaste « Corridor économique de l’Est » pour favoriser son industrie. Ce projet s’appuie sur de précédentes infrastructures thaïlandaises, datant des années 1980, et n’a rien à voir avec la BRI à l’origine. Mais des acteurs locaux ont fait du lobbying pour y être intégrés et ainsi obtenir des investissements de la Chine. « Ils sont loin d’être passifs et soumis au développement de leur puissant voisin, insiste Adèle Esposito. Au contraire, ils sont proactifs et participent ainsi à définir les futurs contours de la BRI. »

En Malaisie aussi, un projet de développement d’îles artificielles, appelé « Melaka Gateway », peinait à trouver des investisseurs ; il a été rattaché à la BRI par les autorités malaisiennes afin d’obtenir du soutien financier. « Si on suit tout le développement du projet – délaissé depuis par les investisseurs chinois pour d’autres raisons… –, on voit bien que ce n’est pas une projection de la Chine sur la Malaisie. Il était aussi porté par des acteurs locaux », éclaire la chercheuse.

Une étude pour comprendre l'impact de la BRI à l'échelle locale

Les études portant sur ce type de relation bilatérales, et sur les transformations induites dans de petites villes ou même des quartiers, restent cependant rares. « Les approches sont souvent plus généralistes, explique Adèle Esposito. Des chercheurs étudient globalement comment ce vaste programme est susceptible de transformer les processus d’urbanisation dans le monde, ou d’encourager des phénomènes d’homogénéisation urbaine par exemple. » Pour favoriser des enquêtes plus spécifiques et contextuelles, cette chercheuse coordonne depuis 2020 le projet « Villes de la nouvelle route de la soie en Asie du Sud-Est »2 (VinoRosa). « Nous travaillons notamment sur des villes dites secondaires, moyennes ou petites », précise-t-elle – elle est elle-même spécialiste de Chiang Mai en Thaïlande (environ 130 000 habitants). « Cela nous permet de mieux observer les dynamiques et les transformations induites, dans une relation plus ou moins directe avec la BRI, dans des villes qui sont en quête de leviers de développement. »

Le cargo Breb Xian, venant de Saint-Pétersbourg (Russie), accoste dans le port de Mukran, à Sassnitz (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), dans le cadre de la nouvelle Route de la soie entre la Chine et l’Allemagne.
Le cargo Breb Xian, venant de Saint-Pétersbourg (Russie), accoste dans le port de Mukran, à Sassnitz (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), dans le cadre de la nouvelle Route de la soie entre la Chine et l’Allemagne.

L’enjeu est de nuancer l’image d’une Chine conquérante qui imposerait sa volonté au reste de l’Asie. « C’est parfois vrai, mais les choses sont toujours plus complexes dans le détail, nuance Adèle Esposito. C’est pourquoi nous voulons sortir d’une vision trop “macro” et étudier très concrètement ce qui se passe à l’échelle locale. » À Chiang Mai par exemple, il est difficile de décréter si la ville fait ou non partie de la BRI. « Tout est donc une question de degré, résume la chercheuse. Les villes sont plus ou moins reliées à un réseau et à l’imaginaire d’une sempiternelle route commerciale asiatique. »

De plus, des acheteurs chinois utilisent ce réseau pour développer leurs activités, mais aussi, parfois, pour fuir des politiques jugées trop répressives dans leur pays. « C’est une utilisation qui est différente de ce pourquoi la BRI est développée, et qui va à l’encontre de ce que souhaitent les autorités chinoises. Mais elle est aussi une conséquence de ce projet », conclut-elle. L’enjeu du projet « VinoRosa » est plus généralement de rendre compte de cette complexité, tout en affinant les connaissances sur l’influence réelle de la Chine à travers le monde. ♦

A lire sur notre site
La Chine trace les nouvelles routes de la soie (entretien avec Jean-François Huchet, économiste).
 

Notes
  • 1. Unité CNR/MEAE.
  • 2. Financé par l’Agence nationale de la recherche dans la catégorie « Jeunes chercheuses et jeunes chercheurs », jusqu’en juin 2024.
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Auteur

Fabien Trécourt

Formé à l’École supérieure de journalisme de Lille, Fabien Trécourt travaille pour la presse magazine spécialisée et généraliste. Il a notamment collaboré aux titres Sciences humaines, Philosophie magazine, Cerveau & Psycho, Sciences et Avenir ou encore Ça m’intéresse.

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