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Chercheurs et artistes : la curiosité en partage

Chercheurs et artistes : la curiosité en partage

05.07.2019, par
En 2018, Elisabetta Visalberghi, zoologue, spécialiste de la cognition chez les singes capucins, présentait les jeux chez les primates et l’acquisition de l’usage des outils.
Organisée par l’Agence nationale de la recherche et le Festival d’Avignon, la 6e édition des Rencontres recherche et création se penchera sur le thème des Traversées des mondes les 9 et 10 juillet. Le lendemain, le CNRS s’associe à cette manifestation lors d’un Forum autour du rôle de la culture et de la création dans le développement des sociétés.

C’est presque un rituel. Depuis 2014, comédiens, metteurs en scène, auteurs, chorégraphes, (pré)historiens, sociologues, primatologues, neuro­scientifiques… se donnent rendez-vous au Festival d’Avignon, la plus importante manifestation de spectacle vivant au monde. Et 2019 ne déroge pas à la règle. Les 9 et 10 juillet aura lieu la 6e édition des Rencontres recherche et création organisées par le Festival et l’Agence nationale de la recherche (ANR), et, le 11 juillet, se tiendra un Forum copiloté par le Festival, l’ANR et le CNRS.

Ouvertes au public, ces savantes agapes répondent au rêve de Jean Vilar de faire du Festival ­d’Avignon, qu’il a créé, « une sorte de bouilloire intellectuelle, un moment d’intense échange d’idées, dit Olivier Py, aux commandes de la vénérable institution depuis 2014. La proposition des Rencontres et du Forum, qui se déroulent dans ce lieu à la fois secret et ouvert qu’est le cloître Saint-Louis, est de permettre aux artistes invités du Festival et à des chercheurs en sciences humaines et sociales et en sciences cognitives de faire dialoguer, à partir de spectacles qui donnent à penser, des disciplines éloignées les unes des autres afin qu’elles se nourrissent et se renforcent de leurs différences. »
 

Conférence dans le cloître Saint-Louis durant le Festival d’Avignon en 2014.
Conférence dans le cloître Saint-Louis durant le Festival d’Avignon en 2014.

 
Jeu de miroirs
S’ils ne façonnent pas « une matière scientifique » dans des laboratoires ou des bibliothèques, les artistes n’en sont pas moins des chercheurs dont la réflexion s’élabore sur les plateaux, renchérit Paul Rondin, directeur délégué du Festival. « Ils présentent leurs ″travaux″ au public et conçoivent la création comme un questionnement permanent, une démarche de connaissance. » D’où l’intérêt de confronter leurs intuitions et leurs conclusions à celles de chercheurs français et internationaux, quand bien même ces derniers peuvent être « impressionnés par la liberté de création des artistes dont l’activité n’est pas tout entière tendue vers la production de preuves », et les artistes « intimidés par la réputation d’hypersérieux souvent accolée aux grandes intelligences structurées que sont les chercheurs ».

Qu’elles interrogent Le désordre du monde, comme en 2017, ou Le jeu et la règle, comme en 2018, les Ren­contres, au même titre que le Forum, explorent « des questions fondamentales qui vont de l’origine du langage humain au lien entre émotion et cognition, au rôle de la fiction comme exercice de pensée et reflet de la transformation des sensibilités, insiste Catherine Courtet, responsable d’actions transversales au département sciences humaines et sociales de l’ANR et initiatrice, avec Paul Rondin, de ces manifestations. Notre souhait est de mettre en résonance la pensée des artistes et les développements scientifiques les plus récents, de favoriser un jeu de miroirs entre ces univers ».
 

Notre souhait est de mettre en résonance la pensée des artistes et les développements scientifiques les plus récents, de favoriser un jeu de miroirs entre ces univers.

Des exemples démontrant les vertus de telles hybridations ? Dans la pièce Ceux qui errent ne se trompent pas de Maëlle Poésy et Kevin Keiss présentée à Avignon en 2016, une majorité de citoyens votent blanc, ce qui perturbe le fonctionnement de la démocratie et déstabilise le pouvoir en place. Pareille intrigue, en ces temps de montée de l’abstention et de rejet des élites, a donné lieu à des débats entre les auteurs et des chercheurs en sciences politiques.

Toujours en 2016, la mise en scène de Richard III de Shakespeare par l’Allemand Thomas Ostermeier a suscité des échanges passionnés entre artistes et spécialistes de la figure du « monstre » dans la littérature, historiens travaillant sur la virilité comme construction culturelle et experts en psychologie et neurosciences cognitives menant des expériences sur la capacité à interpréter et comprendre les émotions des autres.
 
Placées comme les précédentes éditions sous le signe de la curiosité partagée, les Rencontres 2019 graviteront autour du thème des Traversées des mondes, l’Odyssée (de celle d’Homère à celle des migrants d’aujourd’hui) constituant le fil d’Ariane de la 73e édition du Festival d’Avignon. « L’errance d’Ulysse, les voyages d’Énée, l’ivresse de pouvoir d’Agamemnon sont une source inépuisable d’interrogations, tant pour les artistes que pour les chercheurs, sur les imaginaires et les valeurs qui fondent les sociétés », présente Catherine Courtet.
 
De l’importance des intelligences culturelles
Organisé dans le cadre des 80 ans du CNRS, le Forum qui frappera les trois coups le 11 juillet explorera les multiples facettes des intelligences culturelles. À l’heure où l’intelligence artificielle et plus largement les technologies numériques transforment nos sociétés, le Forum se donne pour objectif de « valoriser l’apport des sciences humaines et sociales et des sciences cognitives à la compréhension du rôle de la culture et de la création dans le développement des hommes et des sociétés, explique Marie Gaille, directrice adjointe scientifique de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS. Dans les trois sessions prévues, il sera question des liens entre musique et langage, des transformations des façons de se représenter le cours de l’histoire humaine, la place de la culture dans la vie sociale et politique… Les interventions seront courtes (7 minutes) afin de favoriser les discussions entre chercheurs et professionnels du monde du spectacle et de la culture ». Ce qui posera un terrible dilemme : comment assister à l’ensemble des Rencontres et du Forum sans manquer un spectacle ? Cornélien… ♦
 
 

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Informations

Traversées des mondes, les 9 et 10 juillet
Forum Intelligences culturelles, le 11 juillet

 

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À lire

Le Jeu et La Règle, Catherine Courtet, Mireille Besson, Françoise Lavocat, Alain Viala (dir.), CNRS Éditions (coédition avec le Festival d’Avignon et l’ANR), juillet 2019, 324 p.
 

Aller plus loin

Auteur

Philippe Testard-Vaillant

Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).

À lire / À voir

Le Jeu et La Règle, Catherine Courtet, Mireille Besson, Françoise Lavocat, Alain Viala (dir.), CNRS Éditions (coédition avec le Festival d’Avignon et l’ANR), juillet 2019, 324 p.

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