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Dix jours au-dessus d’une faille sous-marine
Cet article a été initialement publié dans le n° 14 de la revue Carnets de science
#1 –16 février – Catane, nous voici !
Il est 18 heures lorsque nous sortons de l’aéroport de la deuxième plus grande ville de Sicile. Mes sept collègues et moi-même, partis quelques heures plus tôt de Brest, récupérons nos bagages et nous engouffrons dans deux taxis qui nous emmènent à l’hôtel dans le centre-ville. Les deux chauffeurs s’accordent pour dévier du trajet normal afin d’éviter les embouteillages à cette heure de pointe. Et, effectivement, le trajet se fait en 30 minutes sans encombre… mais pas forcément sans entorse au code de la route. Bienvenue en Italie !
Notre aventure commence très bien avec un repas offert à toute l’équipe scientifique par le chef de mission, Marc-André Gutscher du laboratoire Geo-Ocean. Antipasti, primi (deux fois des pâtes, pour les plus gourmands), secondi (poisson et poulpe) et pour finir dolci (tiramisu) accompagné d’un petit verre de grappa. Il s’agit de prendre des forces : demain, nous embarquerons pour une mission de dix jours, très importante pour connaître la sismicité de la région méditerranéenne. On l’oublie parfois mais des séismes destructeurs frappent régulièrement la région du Sud de l’Italie, comme en 1693 à Catane, en 1908 à Messine ou ici même au large d’Augusta, en 1990, avec une catastrophe qui avait causé la mort de 17 personnes. Baptisé Focus et financé par l’ERC, le Conseil européen de la recherche, le projet de Marc-André s’intéresse à la faille sous-marine de nord Alfeo qui représente potentiellement une menace pour la région de la ville de Catane et son million d’habitants. Cette faille, on ne sait pas grand-chose de ses mouvements : cela fait juste dix ans qu’on l’a découverte. D’où l’intérêt de notre mission…
C’est à cet endroit que lors de notre précédente campagne, en octobre 2020 avec le navire Pourquoi pas ?, nous avions déployé un câble sous-marin en fibre optique d’une longueur de 6 kilomètres. Celui-ci a été connecté à un observatoire géré par l’Institut de physique de Catane, permettant une connexion en temps réel avec transmission des données vers la terre. Ces opérations extrêmement délicates ont été conduites par le véhicule sous-marin télécommandé Victor 6000, à plus de 2 000 mètres de fond, sur un terrain très escarpé. Le câble traverse la faille à plusieurs endroits et, depuis bientôt deux ans et demi, enregistre des déplacements au fond de la mer qui peuvent provenir de mouvements tectoniques ou, éventuellement, de courants d’eau. En plus de ce câble en fibre optique, nous avons déposé sur les fonds marins un nombre important de sismomètres de fond de mer (OBS pour Ocean Bottom Seismometer), qui enregistrent les mouvements du sol, résultats des grands séismes lointains, mais aussi les très petits séismes locaux qui ne sont pas forcément enregistrés par le réseau de sismomètres à terre. Les données acquises dans le cadre du projet permettront de mieux comprendre le fonctionnement de la faille au large de la Sicile. Notre mission pour cette troisième campagne est triple : récupérer les OBS afin de télécharger les données enregistrées, en redéployer un certain nombre et déposer sur les fonds marins d’autres instruments de mesure.
#2 – 17 février – Embarquement immédiat
Nous gagnons à pied le port de Catane et arrivons vers 10 h 30 face à L’Atalante. Ce navire fait partie de la flotte océanographique française, une très grande infrastructure de recherche, opérée par l’Ifremer avec le CNRS, l’Institut de recherche pour le développement et le réseau des universités marines. L’accès à bord est strictement contrôlé et un agent du port vérifie nos noms sur la liste d’embarquement. Nous avons juste le temps de chercher les cabines, de nous installer et c’est déjà l’heure du déjeuner.
À bord, les repas marquent le rythme de la journée. Comme nous travaillons 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l’organisation se fait par quarts : 0-4 heures, 4-8 heures, 8-12 heures et ainsi de suite. Chaque personne fait deux quarts par jour, avec 8 heures de repos entre les deux. Le repas de midi est organisé en deux services : un à 11 heures et l’autre à 12 heures. Le soir, le dîner est à 19 ou 20 heures. On ne pourra pas se plaindre de l’alimentation ! Les repas s’annoncent divers et variés... et réalisés avec beaucoup de produits frais : l’avantage d’une campagne dont la durée dépasse à peine une semaine en mer. C’est tout autre chose quand on part, par exemple, vers les îles Kerguelen pour une mission de quarante-cinq jours.
Avant le départ, nous nous retrouvons dans la salle de réunion pour une session d’instruction de sécurité avec le 1er officier. Passent en revue : la vie à bord, les heures de repas, le traitement des déchets et surtout, donc, la sécurité. Il faut reconnaître les différents signaux sonores d’alarme, associés aux différentes situations d’alerte, et notamment les signaux qui indiquent l’incendie à bord, ou carrément l’abandon du navire. Également, il faut savoir comment réagir si une personne tombe en mer : ne jamais la perdre de vue, jeter une des bouées de sauvetage qu’on trouve à proximité, appeler immédiatement le « 52 » pour prévenir la passerelle.
À 17 heures, c’est enfin le grand départ sous la supervision de l’Etna, le volcan le plus actif d’Europe (dont on ne sait pas encore le lien exact avec la faille qui nous occupe). La sortie du port est toujours une opération délicate. Nous, les scientifiques, avons le droit d’assister à la manœuvre sur la passerelle, mais en silence car le commandant donne oralement ses ordres sur indication du pilote à l’officier de quart. Il fait déjà presque nuit quand on sort du port vers 17 h 45, et nous faisons route vers le premier site de récupération d’un instrument laissé au fond.
#3 – 18 février – Une belle première récolte
Les équipes ont bien travaillé durant la première nuit : pas moins de 6 OBS ont été récupérés des fonds marins. Là aussi, nous devons suivre une procédure. Le navire fait route vers l’endroit où se trouve l’instrument déposé sur le fond marin au cours d’une campagne précédente. À une distance de quelques miles marins (environ 1 850 mètres) de la cible, un signal acoustique est envoyé dans l’eau pour communiquer avec l’instrument et initier le largage : la partie haute de l’instrument se détache d’un lest – un poids qui lui est attaché pour le garder au fond – et remonte vers la surface à une vitesse d’environ un mètre par seconde. Pour 2 000 mètres de profondeur, cela prend donc une trentaine de minutes.
Une fois l’OBS en surface, il faut le repérer et, avec les vagues, cela n’a rien d’évident ! Pour nous aider, un drapeau est attaché à l’instrument et une lumière clignotante permet de signaler sa présence pendant la nuit. Il y a aussi un signal radio, émis par l’instrument, qui permet de déterminer notamment la direction dans laquelle se trouve l’appareil par rapport à la position du navire. Suit la manœuvre de récupération, qui consiste à s’approcher à faible vitesse de l’instrument et à le repêcher, un peu à la manière des enfants qui jouent à la pêche aux canards à la fête foraine. Mais ici, l’échec est malvenu car le navire doit alors opérer un demi-tour pour un nouvel essai.
Une fois à bord, on peut déjà constater l’état général de l’instrument : parfois la corrosion des parties en métal est impressionnante. En revanche, il faut encore patienter pour savoir si l’instrument a enregistré des données utiles, ou des données tout court. Pour cela il faut récupérer le disque flash, télécharger les données sur un ordinateur, et faire les premières analyses. À ce stade il ne s’agit pas de passer au crible l’ensemble des données, acquises pendant treize mois, mais de vérifier que l’instrument a bien enregistré les séismes connus durant cette période, tels que celui du 6 février dernier qui a tragiquement frappé le sud-est de le Turquie et le nord-ouest de la Syrie, et qui nous a tous ébranlés. Une fois ce contrôle réalisé, l’OBS est reconditionné pour un nouveau déploiement, d’ici quelques jours, dans les fonds marins.
Aujourd’hui, après les récupérations, nous commençons à déployer de nouveaux instruments. Cette fois ce n’est pas un OBS, mais un courantomètre capable de mesurer les courants d’eau dans la zone d’étude, ainsi que deux stations géodésiques. Ces instruments sont descendus avec le câble grands fonds qui va les positionner avec une précision impressionnante, dans un rayon de 5 mètres de leurs cibles à des profondeurs allant jusqu’à 2 000 mètres. La descente est très longue… Pendant que le câble se déroule lentement, j’aperçois quelques dauphins autour du navire.
#4 – 19 février – Un dimanche à la mer
Mer d’huile aujourd’hui, il règne un calme inédit sur le bateau, et en plus c’est dimanche : ça veut dire croissants au petit déjeuner, vins fins au repas de midi et petite sieste sur la plage avant, à l’abri du vent. Malgré ce calme apparent, le bateau travaille sans interruption, entre préparation et déploiement des instruments, suivi des opérations, remplissage du cahier de quart et contrôle qualité des données des premiers OBS récupérés. L’Etna surveille nos activités : ce volcan impressionnant est visible même depuis nos positions les plus lointaines de la terre. Contrairement à ce que je pensais, il est couvert de neige... Du coup, les dernières coulées de lave sont visibles en traits noirs : la surface de ces coulées peut rester chaude pendant plus d’une année, et ainsi faire fondre la neige.
Problème de treuil : au moment du filage du câble, il y a des problèmes de chevauchement. Cela nécessite l’arrêt du treuil pour ensuite virer à nouveau quelques tours, et reprendre le filage ; c’est très long. Mettre à l’eau une station géodésique, la descendre et ensuite la larguer pour la déposer sur les fonds marins, et virer le câble, peut prendre dans ces conditions jusqu’à quatre heures au lieu de deux à des profondeurs de 2 000 mètres.... et pendant ce temps le navire doit rester le plus immobile possible.
16 h 15 : ouverture de la boutique du bateau. où nous avons la possibilité d’acheter des boissons – bière (achat limité à 1,5 cannette par personne et par jour), mais aussi des boissons gazeuses –, des cigarettes, et quelques produits de première nécessité comme le dentifrice ou le shampoing.
#5 – 20 février – Un transfert en pleine mer
Quelle efficacité ! Cette nuit tout a marché à merveille : vers 1 heure du matin nous avions déjà quatre heures d’avance sur le planning. Nous avons même dû réveiller le chef de mission pour adapter le programme des opérations. Finalement, il décide de réveiller l’équipe allemande pour récupérer deux de leurs OBS, et après, toujours en plein nuit, une autre collègue en charge de la récupération d’une station OBS large bande. Les travaux en mer coûtent cher, c’est la raison pour laquelle nous travaillons 24 h/24 : chacune et chacun doit s’adapter et peut être appelé pour intervenir à n’importe quel moment, même si ce n’était pas prévu ! Résultat : nous avons récupéré cinq instruments au lieu de trois et pris de l’avance sur les tests du réseau d’instruments géodésiques.
Au fait, c’est quoi une station géodésique ? Pour faire simple, la géodésie, c’est la science qui s’intéresse à la forme de la Terre. Connaître cette forme est important si on veut faire des cartes, mais aussi pour mesurer les distances, la topographie, etc. Dans le cas précis du projet Focus, nous utilisons des stations géodésiques positionnées sur les fonds marins pour mesurer la déformation tectonique en lien avec la faille de nord Alfeo, faille sous-marine active. Ce n’est pas simple car les déplacements ne sont que de quelques centimètres par an, et les mesures de distance sont réalisées par acoustique. En fait, on mesure le temps (moins d’une seconde) nécessaire à un signal acoustique pour aller d’une station à une autre. Pour cela, les deux instruments ont des horloges très précises et synchronisées, à quelques nanosecondes près, et cela pendant toute la durée du déploiement qui peut durer parfois plusieurs années.
Aujourd’hui on remet le cap sur Catane : plusieurs personnes qui ont accompli leurs tâches vont débarquer, dont deux journalistes qui nous accompagnent. D’autres personnes vont venir à bord pour la suite des opérations. Le transfert se fait en milieu d’après-midi à quelques kilomètres du port. Malgré une mer calme, débarquer d’une pilotine pour monter sur un grand navire reste un exercice délicat : rattraper l’échelle depuis ce petit bateau qui bouge dans tous les sens ressemble à une manœuvre d’équilibriste, mais les deux personnes montent sans encombre. Ensuite, les bagages des nouveaux arrivants sont hissés à bord, avant de descendre les bagages des partants. Enfin, cinq personnes quittent L’Atalante, et après un dernier au revoir, la pilotine s’éloigne... mais pas pour longtemps : le bagage oublié d’un des embarquants oblige la navette à effectuer un demi-tour. Heureusement pour notre collaborateur fraîchement arrivé qui ne sera pas obligé de porter ses crocs jaunes pendant toute la campagne !
#6 – 21 février – Une routine précaire
Après un quart de minuit à 4 heures du matin, j’ai enfin bien dormi pendant presque cinq heures, jusqu’à 10 heures du matin. Avec si peu de sommeil durant la nuit, nous cherchons tous un autre créneau pour une petite sieste. Pour moi, c’est entre 21 et 23 heures que j’essaie de dormir un peu. Le silence s’impose dans les coursives où se trouvent les cabines, parce que les opérations 24 h/24 impliquent qu’il y ait constamment des personnes en train de dormir, ou du moins qui essayent... Ce n’est pas toujours évident de trouver son rythme dans ses conditions. Mais avec trois personnes en moins dans l’équipe scientifique, presque tout le monde a désormais sa cabine individuelle ! Parlons des cabines d’ailleurs : on y trouve deux lits superposés avec des rideaux pour un petit peu d’intimité, un bureau avec deux chaises, deux placards pour les vêtements et une salle d’eau avec douche et toilettes. Quand on y habite à deux, et à cause des horaires de travail décalés, on craint toujours de réveiller notre colocataire, notamment quand on prend sa douche ou au moment de grimper dans le lit du haut.
Je me rends compte que la routine s’est installée et que je ne sais plus si nous sommes lundi, mardi ou même mercredi. À 17 heures, une réunion de travail pour discuter du programme des prochains jours finit de me resynchroniser. Elle s’achève à 18 heures avec un spectacle génial dans le ciel : la lune croissante s’aligne avec Venus et Jupiter... En même temps, dans la mer, notre petit LOT-OBS (long-term OBS) fait surface, et, avec sa lumière clignotante, essaie de voler la vedette. La cadence de récupération des OBS est impressionnante, après quelques jours tout le monde a trouvé sa place et les instruments arrivent toutes les deux à trois heures. En parallèle, sur le pont, les stations géodésiques sont en préparation. Nous allons en larguer huit vers la fin de la semaine.
Après trois jours, nous nous sommes adaptés à la vie à bord, aux mouvements du navire, au bruit de la machine, etc. Comme les opérations sont maintenant bien définies et les équipes efficaces, nous avons un petit peu plus de temps pour des moments de détente. Dans le carré, des personnes jouent de la guitare ou font un match de baby-foot. D’autres pratiquent le yoga sur la plage avant. Si le navire n’est pas une ville, c’est en tout cas un village. Il y a tout sur un bateau, c’est un concentré de mécanique, informatique, forces humaines, etc. Imaginez un atelier électronique où on peut trouver tous les composants dont on pourrait avoir besoin en cas de panne, un atelier mécanique où on peut fabriquer des pièces de rechange si nécessaire, un magasin de peinture, une infirmerie, une laverie en libre-service, une bibliothèque avec beaucoup de bandes dessinées très sympas, une salle de sport, un salon de jeux, une réserve avec de la nourriture pour des mois et pour soixante personnes, une machine pour produire de l’eau douce à partir de l’eau de mer (bien pour toutes les utilisations, sauf consommation), une machine pour traiter les eaux usées, etc., etc.
Bien sûr, par-dessus tout, ce sont les hommes et les femmes qui font marcher cette extraordinaire machine qu’est un navire de recherche. Mais les plus incroyables machines ne sont pas à l’abri d’un grain de sable. Nous venons d’apprendre que le médecin à bord a la grippe et plusieurs autres personnes sont malades. Comme dans la vie à terre, ça arrive. L’année dernière, sur une autre campagne en mer, la présence de plusieurs cas de Covid à bord avait obligé le commandant à arrêter l’ensemble des opérations pendant huit jours.
#7 – 23 février –Une vague de problèmes
Après une journée calme, plusieurs soucis se sont enchaînés lors de la dernière nuit, durant mon quart. Nous avons eu tout d’abord un problème avec le treuil hydro (pour hydrographique, qui a trait à l’étude de l’eau), notamment utilisé pour déployer les instruments relativement petits. Il n’a plus fonctionné pendant quelques heures, nous obligeant à en utiliser un autre moins pratique et plus éloigné du laboratoire où l’on analyse les résultats. Nous avons ensuite rencontré un deuxième problème avec la BUC (Base ultra-courte), un instrument acoustique utilisé pour obtenir la position exacte d’un autre instrument dans l’eau. Sur les écrans qui se trouvent sur la passerelle et dans le PC scientifique, nous n’avons plus sa bonne position : difficile donc de manœuvrer le navire correctement pour l’officier à la barre. Heureusement, dans le laboratoire en bas, la bonne position reste disponible, et nous communiquons par intercom pour vérifier la distance et donner l’accord de poser l’instrument sur le fond.
Enfin, et c’était l’incident le plus grave : pendant environ 10 minutes, l’acquisition et l’affichage de la navigation sur les écrans sont tombés en panne. Heureusement, le navire était en station, et donc pas de risque immédiat pour la sécurité ; mais pendant ce temps, nous n’avions aucune position du bateau, et donc aucune idée de notre distance avec la cible. L’électronicien du bord, Nicolas, réveillé, a redémarré l’ordinateur en question et quelques minutes plus tard, tout est rentré dans l’ordre. Soulagement général !
Cela arrive, des pannes mécaniques ou informatiques sur des bateaux, et c’est aussi pour cette raison qu’il y a des distances de sécurité à respecter entre navires. Cela est d’autant plus vrai quand un navire a une manœuvrabilité réduite. Ce qui est notamment notre cas, avec les instruments à l’eau attachés au câble grands fonds. Il faut savoir qu’un changement de cap en urgence pourrait faire passer ce câble sous le navire avec le risque de s’approcher des hélices. Heureusement tout est bien qui finit bien ! Nous avons récupéré le 29e OBS aujourd’hui : 29 sur 29, l’ensemble des instruments est maintenant à bord. 100 % de succès, ce n’est pas toujours comme ça.
17 heures : Marc-André dresse un état des lieux de la mission à l’ensemble du personnel de bord et aux scientifiques. Après la présentation, ouverture de la boutique Atalante : on peut acheter t-shirts, polos, casquettes de baseball, etc., tous avec une image du navire et/ou son nom, en impression ou en broderie, c’est parfois plus joli ! Cette année, il y des vestes imperméables qui m’intéressent, mais malheureusement, elles sont uniquement disponibles en taille M pour les hommes. ça sera pour une autre fois... Retour au travail : il nous faut encore mettre à l’eau une station géodésique Canopus.
#8 – 24 février – Le travail puis la fête
Ce soir, c’est barbecue, pour fêter l’anniversaire du chef de mission, Marc-André ! Mais ce n’est pas pour autant que le travail s’arrête. Aujourd’hui que des déploiements : trois stations géodésiques Canopus et deux sismomètres fond de mer LOT-OBS. Il fait beau, la mer est très calme et le temps passe vite. Le dernier Canopus est prêt pour être déployé : on fait route vers le point de largage. À 19 h 30, la fête commence dans le hangar : la cuisine a préparé des petits rouleaux feuilletés en entrée. Pour le plat principal, dorade coryphène, thon, merguez et bœuf mariné. Chacun est libre de se servir de la plancha pour cuisiner son repas préféré, accompagné d’un taboulé.
#9 – 25 février – Ambiance rugby à bord de L’Atalante
La nuit a été courte, nous avons dansé, discuté, fait la fête ! Ce matin, mise à l’eau des derniers OBS, en « free fall » (« chute libre », en français) : l’instrument descend tout seul pour se poser sur les fonds marins. Avec ce mode de déploiement, on connaîtra moins précisément sa position sur les fonds, parce que la descente est influencée par les courants marins.
Une des dernières actions d’acquisition de données est la réalisation d’un profil de CTD (pour Conductivity, Temperature, Depth ou Conductivité, Température, Profondeur). Pour faire ce profil, nous allons mettre un instrument de mesure à l’eau à neuf endroits précis le long d’un profil orienté est-ouest. La distance entre ces points est de 3 kilomètres. À chaque point, on descend le capteur, depuis la surface de la mer jusqu’à 20 mètres au-dessus des fonds marins – on évite de toucher le fond pour ne pas endommager l’instrument – avant de le remonter. Le but est de mesurer les paramètres physiques de l’eau tout au long de ce trajet de la surface jusqu’au grandes profondeurs. Ensuite, les données sont récupérées et validées avant de diriger le navire vers le point suivant où l’on recommence l’opération. Un tel profil devrait nous renseigner sur les différentes masses d’eau qui se trouvent dans la Méditerranée à cet endroit. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, la mer n’est pas homogène mais stratifiée, avec des couches différentes qui se distinguent par différentes températures et densités, et qui sont parfois associées avec des courants de directions différentes.
Des cris résonnent depuis la salle de réunion : les fans de rugby suivent sur le grand écran un match du Tournoi des Six Nations. Une campagne scientifique en mer est très souvent une aventure internationale, notamment au sein de l’Union européenne. Ainsi, le nombre de nationalités à bord est très grand, tout comme le nombre de langues parlées. Dans l’équipe scientifique, nous avions des Français, des Italiens, un Anglais, un Écossais, un Américain, une Vénézuélienne, des Allemands, un Néerlandais, un Irlandais, une Finlandaise et j’en passe. Parfois, donc, les échanges sont multilingues et, si besoin, accompagnés par des gestes des mains. Et pour l’équipage, c’est la même chose, toutes les nationalités sont aussi à bord. Ainsi, le cuisinier est néerlandais comme moi ! Tout cela pour dire qu’à chaque match, les deux nations ont à bord des supporters qui se chambrent dans la bonne humeur.
#10 – 26 février – Retour à terre
Pour ce dernier quart de nuit, je ne reste pas dans le PC scientifique, je participe aux manips': mettre en route le CTD avant de le mettre à l’eau, suivre sa descente avec l’information fournie par la BUC, éteindre l’instrument et télécharger les données une fois l’instrument à nouveau à bord après son voyage vers les grands fonds. Obligation de mettre des chaussures de sécurité, un casque et un gilet de sauvetage pour travailler sur le pont en pleine nuit. Pour 2 000 mètres de fonds, l’opération prend presque 1 h 45... Pour chaque déploiement, il ne faut surtout pas oublier de remettre en route l’instrument avant de le remettre à l’eau, sinon c’est un aller-retour dans les grandes profondeurs pour rien.
18 heures. Nous voici de retour au port de Catane. L’exercice de l’Otan qui aura lieu dans la zone nous oblige à arrêter les travaux dès ce soir. Dans le port, deux sous-marins et une frégate sont à quai, prêts pour l’exercice.
19 h 45 : la jetée est installée, et on se retrouve tous sur le quai à 20 heures pour aller manger à terre. Au début, on a la sensation que la terre bouge : c’est le résultat de dix jours en mer. Il y a des personnes qui ont vraiment les symptômes de mal de mer quand elles retournent sur terre. Autre effet : quand on est dans un endroit silencieux, on entend le bruit de la machine, comme si ce bruit avait imprégné notre cerveau.
On mange dans une pizzeria près du port, où un de nos collègues italiens a négocié un prix d’ami pour le repas : pizza à volonté pour 18 euros ! Ce soir, nous dormirons une dernière fois à bord du bateau avant de nous dire au revoir. Mais l’aventure est loin de s’arrêter là : l’exploration et l’exploitation des données commencent à peine et la faille doit encore nous livrer bien des secrets. ♦
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Auteur
Chercheur en géophysique marine au laboratoire Geo-Ocean (unité CNRS/Ifremer/Université de Bretagne occidentale/Université de Bretagne Sud).