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Un an après son éruption, les leçons du volcan Hunga Tonga
Le 15 janvier 2022, une explosion deux fois plus intense que celle de la bombe H la plus puissante jamais conçue a secoué le Pacifique, puis toute la planète : le Hunga Tonga, réveillé depuis le mois de décembre 2021, a atteint le point culminant de son éruption. Ce volcan sous-marin des îles Tonga a provoqué une détonation équivalente à 110 mégatonnes de TNT, projetant de formidables quantités de vapeur d’eau et d’aérosols dans l’atmosphère. Des chercheurs du monde entier ont aussitôt afflué pour étudier l’éruption et ses conséquences. Un an après, le phénomène est toujours scruté par les scientifiques.
Il faut dire que l’éruption du Hunga Tonga a atteint un Indice d’explosivité volcanique (VEI) de 5,7, soit l’éruption la plus intense depuis celle du mont Pinatubo en 1991. Le volcan philippin avait alors eu un VEI de 6. Cet indice prend en compte des paramètres tels que le volume des matériaux éjectés et la hauteur du nuage produit. Il va de 0, pour les éruptions que l’on retrouve à Hawaii ou au Piton de la Fournaise avec une lave très liquide qui s’échappe sans explosion, à 8 pour les cataclysmes les plus extrêmes, espacés de plusieurs dizaines de milliers d’années.
De la matière expulsée jusque dans la mésosphère
Contrairement au Pinatubo, le Hunga Tonga est un volcan sous-marin. Sa chambre magmatique ne se trouve qu’à quelques dizaines de mètres sous la surface, si bien que deux parties de la caldera émergent de l’eau, formant les îles inhabitées de Hunga Tonga et Hunga Haʻapai. Cette disposition a provoqué la réaction d’énormes quantités d’eau avec la lave, sans pour autant stopper prématurément l’éruption comme cela aurait été le cas si le volcan avait été situé plus profondément sous le niveau de la mer.
L’éruption a expédié de la matière jusqu’à 58 kilomètres d’altitude, traversant toute la stratosphère pour atteindre la mésosphère, ce qui en fait le plus haut panache volcanique jamais mesuré.
Cette perturbation extrêmement rapide de la colonne atmosphérique a d’abord généré toute une famille d’ondes acoustiques et de gravité, qui ont pu être enregistrées depuis le sol comme depuis l’espace. L’amplitude de ces ondes fut telle qu’elles ont effectué plusieurs fois le tour du globe, comme l’indiquent notamment des mesures sous ballons volant à 20 kilomètres d’altitude1. De telles ondes2 n’avaient pas été observées depuis l’éruption du volcan Krakatoa en 1883, où elles avaient été révélées par leur effet sur les baromètres.
« L'événement climatique le plus remarquable des trois dernières décennies »
Environ 140 mégatonnes de vapeur d’eau ont aussi été injectées dans l’atmosphère à une vitesse de quarante mètres par seconde. La présence d’aérosols3 a été multipliée par cinq dans la stratosphère, tandis que la masse d’eau y a augmenté de 13 %. C’est pourquoi, dans des travaux collaboratifs menés par Sergey Khaykin4, chercheur au Laboratoire atmosphère observations spatiales5 (Latmos), l’éruption du Hunga Tonga est qualifiée « d’événement climatique le plus remarquable des trois dernières décennies ». Des scientifiques de dix-sept laboratoires, dont cinq sous la tutelle du CNRS6, se sont réunis pour cette étude, preuve de l’intérêt international suscité par le volcan.
« Les éruptions injectent dans l’atmosphère du soufre gazeux, qui se condense en aérosols, explique Sergey Khaykin. Ces derniers réfléchissent les rayonnements solaires et peuvent ainsi, s’ils sont en quantité suffisante, refroidir le climat mondial. La présence de grandes quantités d’eau oxyde cependant le soufre, qui forme alors des aérosols plus gros et plus lourds que si l’éruption avait eu lieu en plein air. Cela accélère leur redescente, d’autant que la brièveté de l’explosion, seulement quelques minutes, a fait que moins de soufre a été expulsé que lors d’éruptions d’un VEI similaire. »
L'énorme quantité de vapeur d'eau produite devrait demeurer plusieurs années en suspension et pourrait, par exemple, modifier la circulation globale et amplifier l’appauvrissement de l’ozone polaire, en plus de son effet de serre. « Les premières estimations7 indiquent que le réchauffement par la vapeur d’eau sera bien supérieur au refroidissement par les aérosols, souligne Sergey Khaykin. Reste à savoir quelle sera la magnitude de ce changement. »
Des mesures sous toutes les coutures
La situation est étudiée en combinant les informations issues d’une dizaine de missions spatiales, notamment des satellites équipés d’un Lidar, l’équivalent laser des radars, et de nombreuses stations météo. D’autres mesures s’effectuent en détournant les systèmes GPS. Les rayonnements émis pour la localisation sont naturellement déviés par l’atmosphère, qui est ensuite corrigée pour obtenir une mesure précise. Dans le panache de l’éruption, le signal subit une distorsion plus forte, qui permet de remonter aux changements d’humidité induits par l’éruption.
« Ce système est particulièrement utile pour réaliser des sondages dans les zones dépourvues de stations météo, avance Bernard Legras, directeur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique8 (LMD). Certains profils ont montré une saturation en humidité de l’atmosphère 3 000 fois plus importante que la norme à l’intérieur de la colonne éruptive. »
Ces approches partagent beaucoup de points communs avec l’étude des effets des grands feux de forêt9, qui envoient eux aussi énormément d’aérosols dans l’atmosphère et sont souvent traités par les mêmes chercheurs. « Lors d’une réunion sur l’impact climatique des incendies géants qui ont frappé l’Australie en 2019 et 2020, nous nous étions demandé quand aura lieu le prochain événement aussi extrême, se souvient Pasquale Sellitto, maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil et membre du Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques10 (Lisa). Le Hunga Tonga est entré en éruption le lendemain, injectant des quantités exceptionnelles de matière dans l’atmosphère. »
Un programme d’action a aussitôt été mis en place, avec des lâchers de ballons chargés d’appareils de mesure dans le sillage du panache. Les satellites ont fourni les premières informations grâce à leur couverture automatique et continue de l’atmosphère, notamment le satellite franco-américain Calipso équipé d’un système Lidar. Ces premières observations ont permis aux chercheurs d’estimer la direction de propagation du panache du volcan, afin de réaliser un maximum de sondages dans son sillage. Le nuage s’est dirigé vers l’océan Indien, où les moyens de mesure sont rares, mais a survolé par chance La Réunion, qui dispose de plusieurs systèmes Lidar, d’une station météorologique et d’un observatoire astronomique. Des ballons ont pu être acheminés sur l’île et déployés pour l’arrivée du panache11.
Quelles conséquences sur le climat futur ?
« C’était une éruption exceptionnelle, similaire à celle du Krakatoa en 1883, et la plus grande perturbation atmosphérique par de la vapeur d’eau jamais observée, affirme Pasquale Sellitto. C’est aussi la première fois que nous voyons une éruption réchauffer le climat global, un phénomène d’autant plus surprenant que c’est le contraire qui est attendu. » L’éruption du Krakatoa avait ainsi provoqué un hiver volcanique et abaissé les températures moyennes de près d’un demi-degré. L’historiographie parle également d’une « année sans été » à propos de 1816, suite à l’éruption d’un autre volcan indonésien : le Tambora.
L’impact climatique de l’éruption du Hunga Tonga demande cependant encore des éclaircissements. « La vapeur d’eau injectée a un effet de serre global, mais, localement, elle tend à refroidir la stratosphère par l’émission infrarouge, précise Bernard Legras. Cela a légèrement modifié la circulation et l’équilibre photochimiques dans la stratosphère. Il pourrait y avoir des effets locaux, comme l’intensification des sécheresses en zone de mousson, mais ces mécanismes ne sont pas bien compris. Les conséquences sur la couche d’ozone ne sont pas non plus très claires, d’autant que les aérosols émis par l’éruption perturbent les mesures. Nous pourrons faire de meilleures observations au printemps, puis à l’hiver prochain. »
Bien que relativement récente, l’éruption du Pinatubo n’avait pas bénéficié de toutes les technologies actuelles, en particulier au niveau des satellites. Les comparaisons sont donc difficiles et il reste des zones d’ombre que seuls les travaux en cours pourront éclairer. « Il faut cependant noter que plusieurs des satellites qui nous ont aidés à étudier l’éruption du Hunga Tonga seront bientôt décommissionnés, pour certain dès la fin de l’année, déplore Bernard Legras. La plupart n’ont pas de remplaçants prévus. Nous avons connu un âge d’or de l’observation spatiale, mais nous risquons de manquer de moyens si une autre éruption majeure a lieu dans les prochaines décennies. »
« Une expérience naturelle de géo-ingénierie » à analyser
Les événements de ce type présentent pourtant un intérêt scientifique significatif, voué à prendre davantage d’ampleur au fil des ans et de l’avancée du changement climatique. La géo-ingénierie, c’est-à-dire la manipulation artificielle et volontaire du climat, est ainsi vue comme une solution possible aux dérèglements en cours, ou au contraire comme une folie aux répercussions potentiellement pires que les problèmes qu’elle prétend résoudre. « En relâchant des quantités inouïes de vapeur d’eau dans l’atmosphère, l’éruption du Hunga Tonga a déclenché une expérience naturelle de géo-ingénierie, affirme Pasquale Sellitto. Cela va nous occuper pendant plusieurs années et nous aidera à comprendre les conséquences de telles modifications. »
« Le jour viendra où, face à la violence des effets du changement climatique, on considérera sérieusement la géo-ingénierie, prédit Bernard Legras. Le Hunga Tonga nous offre l’occasion de vérifier ce qu’on pourrait faire et, surtout, ce qu’il faudra absolument éviter. Ajouter des aérosols sulfatés dans l’atmosphère refroidirait théoriquement le climat, mais ce n’est pas du tout la même chose que de retirer des gaz à effet de serre. Le meilleur moyen de compenser leur présence reste d’en émettre moins. » ♦
À lire sur le site du CNRS
Éruption du Hunga Tonga : quel panache !
- 1. « Stratospheric Balloon Observations of Infrasound Waves From the 15 January 2022 Hunga Eruption, Tonga », A. Podglajen, A. Le Pichon, R. F. Garcia et al., Geophysical Research Letters, 27 sept. 2022. https://doi.org/10.1029/2022GL100833
- 2. https://www.allenvi.fr/note-inter-organismes-sur-leruption-explosive-du-...
- 3. « The evolution and dynamics of the Hunga Tonga–Hunga Ha'apai sulfate aerosol plume in the stratosphere », B. Legras, C. Duchamp, P. Sellitto et al., Atmos. Chem. Phys., 22, 14957–14970, 2022. https://doi.org/10.5194/acp-22-14957-2022
- 4. « Global perturbation of stratospheric water and aerosol burden by Hunga eruption », S. Khaykin, A. Podglajen, F. Ploeger et al., Communications Earth & Environment, vol. 3, 316 (2022). https://doi.org/10.1038/s43247-022-00652-x
- 5. Unité CNRS, Sorbonne Université, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
- 6. Le Latmos (CNRS/Sorbonne Université/UVSQ) le LMD (CNRS/ENS-PSL/École polytechnique/Sorbonne Université), le Lacy (CNRS/Météo-France/Université de la Réunion), le Lisa (CNRS/Université Paris Cité/Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne) et l’OSU-Réunion (CNRS/Météo France/Université de la Réunion).
- 7. « The unexpected radiative impact of the Hunga Tonga eruption of 15th January 2022 », P. Sellitto, A. Podglajen, R. Belhadji et al., Commun. Earth Environ., 3, 288 (2022). https://doi.org/10.1038/s43247-022-00618-z
- 8. Unité CNRS/ENS-PSL/École polytechnique/Sorbonne Université.
- 9. « The 2019/20 Australian wildfires generated a persistent smoke-charged vortex rising up to 35 km altitude », S. Khaykin, B. Legras, S. Bucci et al., Commun Earth Environ, 1, 22 (2020). https://doi.org/10.1038/s43247-020-00022-5
- 10. Unité CNRS/Université Paris Cité/Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.
- 11. « Aerosol Characterization of the Stratospheric Plume From the Volcanic Eruption at Hunga Tonga 15 January 2022 », C. Kloss, P. Sellitto, J.-B. Renard et al., Geophysical Research Letters, 49, 16, 2022. https://doi.org/10.1029/2022GL099394
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.