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SWOT : un satellite pour suivre les eaux terrestres
Alors que l’eau recouvre 70 % de la surface de la Terre, les satellites de recherche qui scrutent notre planète se concentrent souvent sur le plancher des vaches. Swot1 sort du lot grâce à son instrument inédit qui promet aux chercheurs, en océanographie et en hydrologie, des mesures encore jamais réalisées sur le niveau de l’eau, aussi bien au large d’un océan qu’au milieu d’un lac. Le lancement de cette mission conjointe du Centre national d’études spatiales (Cnes) et de l’agence spatiale américaine (Nasa), qui a impliqué de nombreux laboratoires du CNRS, se fera à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX, qui décollera de la base Vandenberg en Californie.
Observer au plus près les courants d’eau
« Une partie de l’énergie et de la chaleur des océans manque dans nos modèles climatiques », déplore Rosemary Morrow, physicienne CNAP2 au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales3 (Legos) et responsable scientifique de la composante océanographique de Swot. « Ces éléments sont en effet contenus dans des structures trop petites et trop rapides pour être observées depuis l’espace par les moyens actuels. Nous pensons que la moitié des échanges verticaux de biomasse et de nutriments passe par ces structures, et qu’elles sont d’importants conduits pour les puits de chaleur et de carbone qui doivent être inclus dans les estimations climatiques. »
Rosemary Morrow a consacré sa carrière à l’étude des tourbillons mésoéchelle, c’est-à-dire les instabilités de grands courants d’une dizaine à une centaine de kilomètres. Elle est plus particulièrement spécialisée dans les tourbillons de l’océan Austral, qui font entre dix et cinquante kilomètres de diamètre. Or, les satellites altimétriques déjà en orbite ne détectent que partiellement ces structures tandis que les cartes de courants n’incluent que ceux de plus de cent kilomètres.
Une précision centimétrique grâce à l’interférométrie
Ces systèmes ne mesurent en effet que ce qui se trouve à leur nadir, c’est-à-dire strictement en dessous d’eux. Swot est lui aussi équipé d’un tel appareil, baptisé Poséidon 3, mais il est également pourvu du radar imageur KaRIn. Ce dernier fonctionne grâce à deux antennes, disposées aux extrémités d’un mât de dix mètres. L’une va émettre de part et d’autre du sillage du satellite des impulsions radar qui, après avoir rebondi sur la surface de notre planète, sont captées par les deux antennes.
Les différences de distance et de phase entre ces deux signaux – on parle d’interférométrie –, permettent de cartographier en deux dimensions le niveau des eaux à très fine échelle. Comme la visée de l’instrument radar est légèrement oblique, les signaux reçus s’étalent sur une fauchée de cinquante kilomètres de part et d’autre de la trace du satellite projetée au sol, et un faisceau de vingt kilomètres autour. Les mesures sont donc prises sur une bande de cent vingt kilomètres de large.
L’interférométrie offre à Swot la possibilité d’aller plus loin qu’une simple question de superficie : il mesure les variations du niveau de l’eau au sein d’une même entité, qu’il s’agisse d’un lac ou d’un secteur de l’océan, et permet ainsi de déduire le débit d’un fleuve ou la vitesse d’un courant marin. Pour les océans, Swot prend des mesures sur des pixels de quatre kilomètres carrés avec une précision moyenne de 1,4 centimètre de hauteur. Il est le premier et le seul satellite capable de fournir ces informations.
Une cartographie globale et dynamique des eaux de surface
« SWOT pourrait être encore plus détaillé, mais nous avons dû faire des choix par rapport au volume des données transférées entre le satellite et les centres de contrôle, souligne Rosemary Morrow. La résolution est cependant améliorée pour la détection des lacs et des cours d’eau, qui sont évidemment plus petits. » Le satellite permettra de dresser un inventaire global et dynamique des eaux de surface et d’étudier leur débit, volume et hauteur d’eau. Un catalogue mis à jour toutes les trois semaines, le temps que le faisceau de Swot parcoure toute la planète.
La mission va ainsi mesurer les caractéristiques de deux millions de lacs, un chiffre qui pourrait monter jusqu’à six millions. Elle scrutera également tous les cours d’eau de plus de cent mètres de large, avec là aussi l’espoir d’aller plus loin en intégrant tous ceux qui en font au moins cinquante. Pour les mesures de débit, les rivières visées seront découpées en tronçons de dix kilomètres, soit plus de cent mille segments répartis sur toute la planète. En comptant les océans, Swot pourra ainsi étudier 90 % des eaux de surface.
« Nous n’avions toujours pas accès à ces informations et aucun moyen de calculer exactement les valeurs fluctuantes d’autant d’objets à la fois, explique Jean-François Crétaux, directeur du volet hydrologique de la mission et membre du Legos. Or ces données sont des variables essentielles du cycle de l’eau, dont la partie la moins bien connue est justement celle des eaux de surface. On sait mesurer l’évaporation, les volumes contenus dans les océans et la couverture neigeuse, mais les données sur les lacs et les rivières restent très partielles. Swot devrait permettre d’enfin boucler le cycle de l’eau, et ainsi vraiment le comprendre. »
Quand l'hydrologie et l'océanographie convergent
La mission Swot promet de combler de nombreux manques dans les modèles océanographiques et hydrologiques. Ces mesures devront cependant être combinées dans des simulations avec diverses autres données, comme la température et salinité de surface, les vents, les vagues ou encore les marées, ce qui occupera de multiples centres de calcul scientifique. Swot sera aussi accompagné de mesures sur le terrain, par exemple dans le cadre du projet Adopt-A-Crossover où des navires de recherche se rendront au nadir d’intersections des trajectoires du satellite. Ces points seront en effet mieux renseignés car Swot y passera deux fois plus souvent qu’ailleurs.
« Les objectifs et les contraintes de l’océanographie et de l’hydrologie ne sont pas les mêmes, mais nous avons réussi à converger en un seul instrument grâce à une concertation très en amont des deux communautés et des deux côtés de l’Atlantique », se réjouit Jean-François Crétaux. Swot est en effet le fruit de quatorze années de préparation. La mission doit durer trois ans et demi, mais pourrait continuer plus longtemps en fonction de son succès. ♦
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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