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Addiction et stress post-traumatique: vers un traitement commun ?

Addiction et stress post-traumatique: vers un traitement commun ?

À l’origine de ces deux pathologies, la mémoire. La possibilité, récemment démontrée, de modifier des souvenirs réactivés laisse entrevoir l'éventualité de nouveaux traitements. Dans ce billet publié avec Libération, Pascale Gisquet-Verrier et Claire Le Dorze nous présentent cette nouvelle piste thérapeutique.

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Et si l’on essayait de soigner le trouble du stress post-traumatique (TSPT) et l’addiction aux drogues en agissant sur… la mémoire ! C’est la nouvelle piste que nous proposons sur la base de nos récents travaux1 qui s’appuient sur les nombreux points communs entre le TSPT et la dépendance à des substances comme l’alcool ou la cocaïne. Deux pathologies caractérisées par des réactivations des souvenirs pathologiques, qui les rendent alors malléables nous permettant d’intervenir en ajoutant de nouvelles informations.
 

Différents mais ressemblants

Les points communs entre l’addiction aux drogues et le TSPT sont nombreux. L’un comme l’autre ne se développe que chez certains sujets exposés à des événements extrêmes et opposés qui peuvent être schématiquement décrits comme très négatifs (trauma) ou très positifs (drogue). Les facteurs de prédisposition sont sensiblement les mêmes : milieu social défavorisé, traumatisme précoce, facteur génétique. Et de nombreux symptômes sont identiques : troubles du sommeil et de l’attention, retrait social, anxiété, dépression et indifférence affective. De plus ces pathologies sont caractérisées par un fort taux de comorbidité (l’association de ces deux maladies est en effet observée dans près de 40 % des cas).

Indices de rappel et hypersensibilité

Bien que ces deux pathologies ne s’expriment pas de la même façon, elles pourraient avoir une origine physiologique commune. En effet, elles se caractérisent par une hypersensibilité aux indices de rappel (comme des lieux, des objets, des personnes associées au traumatisme ou à la prise de drogue). Ces indices de rappel sont connus pour déclencher des réactivations de souvenirs, prenant la forme de reviviscences (flash-back), ou des envies irrépressibles de drogue (craving selon le terme anglo-saxon). Ces réactivations répétées, caractéristiques des deux pathologies, pourraient être à l’origine des nombreux symptômes communs.
 

Cérémonie d'hommage aux victimes des attentats de Paris devant le Bataclan, le 15 novembre 2015.
Cérémonie d'hommage aux victimes des attentats de Paris devant le Bataclan, le 15 novembre 2015.

Comme proposé par Jean-Pol Tassin2 dans le cas de l’addiction, nous faisons l’hypothèse que l’exposition à un traumatisme d’une intensité extrême a le même effet qu'une prise de substance psychoactive et qu’il brise l’autocontrôle des systèmes monoaminergiquesFermerRéseaux neuronaux impliqués dans la régulation de l’émotion, la vigilance et la mémoire. Ils utilisent certaines molécules biochimiques, les monoamines (noradrénaline, sérotonine, dopamine, etc.), comme neurotransmetteurs. et notamment ceux de la noradrénaline et de la sérotonine qui ont un effet important sur la réactivation des souvenirs. Nous avons montré en particulier que le découplage qui en résulte provoque une hypersécrétion de monoamines qui pourraient être à l’origine de la fameuse hypersensibilité aux indices de rappel décrite plus haut.

 

Nous faisons l’hypothèse que l’exposition à un traumatisme d’une intensité extrême a le même effet qu'une prise de substance pychoactive et qu'il brise l'autocontrôle des systèmes monoaminergiques.

Ces conceptions récentes sur le TSPT et l’addiction conduisent à de nouvelles voies thérapeutiques pour ces deux pathologies qui n’ont toujours pas de traitement spécifique. Elles sont d'ailleurs généralement traitées de la même façon par un antidépresseur accompagné de thérapies cognitivo-comportementales qui sont souvent les mêmes, mais dont l’efficacité est restreinte dans le temps, n’empêchant pas de fréquentes rechutes, même après des périodes de rémission ou d’abstinence très longues.

La première piste a déjà été explorée avec succès chez la souris par l'’équipe de Jean-Pol Tassin. Elle consiste à réaliser un recouplage artificiel des systèmes monoaminergiques, en délivrant des agents qui bloquent l’hypersécrétion de ces monoamines3. La deuxième piste, le remodelage émotionnel, est la technique que nous avons mise au point chez l’animal.
 

Bien-être en toute confiance

Le principe repose sur la malléabilité des souvenirs réactivés et sur leurs capacités à intégrer de nouvelles informations. Il s’agit de placer les sujets dans un état de bien-être et de confiance grâce à l’administration d’un traitement pharmacologique capable de diminuer fortement leur réactivité émotionnelle. Dans un second temps, les sujets sont exposés à d’indices de rappel étroitement associés au traumatisme afin d’induire, selon notre hypothèse, la réactivation du souvenir. Le prétraitement permet de réduire notablement la composante émotionnelle du souvenir réactivé.

Grâce à la malléabilité du souvenir réactivé, cette composante émotionnelle réduite va ensuite s’intégrer au souvenir, diminuant ainsi son caractère pathologique. Ainsi actualisé, le souvenir est bel et bien modifié. Ce remodelage émotionnel a déjà permis d’abolir les symptômes de type TSPT chez le rat après administration d’un prétraitement à l’amphétamine ou à l’ocytocine4. Grâce à une collaboration avec le professeur Charles-Siegfried Peretti, chef de service de psychiatrie à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, des données très encourageantes ont récemment été obtenues avec ce traitement chez un patient cocaïnomane5 et des études sont en cours chez des sujets atteints de TSPT.

Remodelage émotionnel

Le remodelage émotionnel permettrait d’expliquer l’efficacité de divers traitements comme l’EMDR (pour Eye Movement Desensitization and Reprocessing, « désensibilisation et traitement par les mouvements oculaires »), l’hypnose, la PNL (pour programmation neurolinguistique) et pourquoi pas la psychanalyse, dont les mécanismes restent toujours inexpliqués. Tous ces traitements adoptent un scénario comparable : une relation de confiance avec le patient leur permettant d’atteindre un état de décontraction et de bien-être, précédant la réactivation du souvenir pathologique. Le remodelage émotionnel propose de renforcer cet effet grâce à un agent pharmacologique (nous avons montré l’efficacité de l’amphétamine, de l’ocytocine et dans une moindre mesure du propranolol, mais tout agent induisant un état relaxant et positif est un candidat potentiel). Ce traitement, fondé sur des conceptions nouvelles de la mémoire, facile à mettre en place, peu coûteux, et qui pourrait intéresser de nombreuses pathologies comme les phobies, l’anxiété ou les troubles de l’alimentation, soulève de nouveaux espoirs qu’il convient d’explorer rapidement. ♦

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

 

 

Notes
  • 1. «Post Traumatic Stress Disorder and Substance Use Disorder as Two Pathologies Affecting Memory Reactivation : Implications for New Therapeutic Approaches», P. Gisquet-Verrier, C. Le Dorze, «Frontiers in Behavioral Neuroscience», mis en ligne le 13 février 2019.
  • 2. Jean-Pol Tassin travaille au laboratoire Neuroscience Paris-Seine (CNRS/Sorbonne Université/Inserm).
  • 3. «The Combination of Marketed Antagonists of α1b-Adrenergic and 5-HT2A Receptors Inhibits Behavioral Sensitization and Preference to Alcohol in Mice: A Promising Approach for the Treatment of Alcohol Dependence», F.Trovero et al., Plos One, publié en mars 2016.
  • 4. «Only susceptible rats exposed to a model of PTSD exhibit reactivity to trauma-related cues and other symptoms: An effect abolished by a single amphetamine injection», D. toledano, P. Gisquet-Verrier, Behavioural Brain Research 272, 165, 2014, doi.org/10.1016/j.bbr.2014.06.039
  • 5. « Cocaine Use Disorder Treated with Specific Cognitive Behavioral Therapy and Adjunctive Propranolol », M.-V. Chopin et al, Psychother Psychosom, 2016, 85(1):61 doi: 10.1159/000441036.