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Au Chili, le Big One est-il pour demain ?

Point de vue

Au Chili, le Big One est-il pour demain ?

25.04.2014, par
Mis à jour le 17.09.2015
Un séisme de magnitude 8,3 vient de frapper à nouveau le Chili. Juste après le précédent tremblement de terre de 2014, le géologue Christophe Vigny expliquait les mécanismes qui pourraient aboutir, un jour, à un séisme beaucoup plus important.

Note du 17 septembre 2015 : L'Institut national des sciences de l'univers (Insu) du CNRS publie sur son site une analyse du séisme de ce jour.

     
        
Le 1er avril 2014, un séisme de magnitude 8.0 à 8.2, suivi 24 heures après par un autre événement de magnitude 7.6, a frappé le nord du Chili. Il s’agit d’une région désertique, le désert de l’Atacama, où la population est essentiellement concentrée dans les villes d’Antofagasta, d’Arica et d’Iquique. Cette dernière, la plus proche des séismes, a été assez sévèrement affectée.

Un tsunami d’environ 2 mètres, généré par le premier séisme, a touché les côtes nord-chiliennes et provoqué des dégâts importants dans le port d’Iquique. Ces événements ne sont pas venus de nulle part : une forte activité sismique était enregistrée dans la région depuis plusieurs mois, avec plusieurs crises formant des essaims sismiques, la dernière de ces crises s’étant produite à la mi-mars.

Carte de localisation du Chili touché par un séisme de magnitude 8,2.
Carte de localisation du Chili touché par un séisme de magnitude 8,2.

Un tremblement de terre tous les dix ans

Ces deux séismes ont rompu l’interface de subduction entre les plaques Nazca et Amérique du Sud sur une longueur de 150 à 200 kilomètres, à une profondeur encore incertaine. La plaque Nazca converge à près de 7 cm/an vers la plaque Amérique du Sud. L’essentiel de ce mouvement est absorbé sur une seule faille située au large des côtes chiliennes au niveau de la fosse Pérou-Chili. Le long de cette faille, la plaque Nazca passe sous la plaque Amérique du Sud puis s’enfonce dans le manteau terrestre dans ce que l’on appelle un mouvement de subduction.

Séisme au Chili
Une route endommagée par les séismes de début avril.
Séisme au Chili
Une route endommagée par les séismes de début avril.

Une petite partie de la convergence entre les plaques (environ 1 cm/an) est absorbée par le raccourcissement de la plaque sud-américaine produisant les reliefs des Andes et de l’Altiplano. Mais la zone de subduction du Chili a une forte activité sismique avec, en moyenne, un séisme de magnitude 8 tous les dix ans et un de magnitude supérieure à 8.7 au moins une fois par siècle. Le plus grand séisme jamais enregistré, depuis que nous disposons de sismographes, de magnitude environ 9.5, s’est d'ailleurs produit au sud du Chili en 1960.

 

Le plus grand
séisme jamais
enregistré, de
magnitude environ
9.5, s’est produit
au sud du Chili
en 1960.

Depuis plusieurs décennies, deux lacunes sismiquesFermerZone le long d’une faille où des séismes importants se sont produits dans le passé, où la déformation due au mouvement des plaques s’accumule lentement, mais où aucun séisme susceptible d’avoir relâché cette déformation qui s’accumule ne s’est produit depuis assez longtemps. majeures avaient été identifiées par les équipes franco/chiliennes1. La première est la lacune d’Arica. C’est elle qui a été touchée par les séismes d’avril. Siège de séismes en 1869 et en 1877, elle a commencé à rompre en petite partie à son sud, et en profondeur, lors du séisme de Tocopilla en 2007. Les derniers séismes ont, quant à eux rompu, une autre partie de cette lacune, cette fois sur environ 150-200 kilomètres et plus au nord. La seconde lacune est celle de Concepción, au centre/sud du Chili. Des tremblements de terre y étaient à redouter : siège du séisme de 1835 vécu par Darwin, elle a rompu à nouveau en 2010. Or cet événement a démontré un concept nouveau. Mais quelques explications préalables sont nécessaires pour en saisir la portée.

Un nouveau regard sur les séismes

S’il n’y avait pas de frottement au niveau de la faille entre deux plaques, celles-ci glisseraient librement l’une contre l’autre, et il n’y aurait jamais de séismes. C’est la friction qui bloque ce glissement, provoquant l’accumulation de déformation dans les plaques qui convergent inexorablement. Quand cette accumulation dépasse un certain seuil, le frottement est incapable de résister, et la faille glisse tout d’un coup, libérant ce qui a été accumulé pendant des années : c’est le séisme. La friction sur le plan de faille, ce que les sismologues appellent le couplage entre les plaques, n’est pas du tout homogène et varie tout au long de la faille, dessinant ainsi des segments fortement couplés (capables d’accumuler beaucoup pendant longtemps), interrompus par des zones où le couplage est plus faible.

Ce que le séisme de 2010 a montré, c’est qu’au lieu de reproduire à l’identique le séisme précédent, comme on le pensait jusqu’alors, le séisme nouveau rompt un segment fortement couplé de la subduction, la rupture se terminant lorsqu’elle bute sur des zones faiblement couplées qui interrompent ces segments. C’est donc de notre capacité à déterminer la forme et la taille du segment couplé que dépend notre capacité à estimer la taille du séisme futur.

GPS
Balise GPS effectuant des mesures dans la région d'Iquique.
GPS
Balise GPS effectuant des mesures dans la région d'Iquique.

Il est possible, voire probable, que ce couplage évolue dans le temps de telle sorte que les séismes ne se reproduisent jamais à l’identique. Nous pouvons estimer ce couplage à partir de la mesure très précise, au millimètre près, des déformations à la surface des plaques grâce aux méthodes modernes de géodésie spatiale utilisant par exemple le GPS. C’est à partir de telles mesures, réalisées au Chili depuis près de deux décennies, que les équipes franco/chiliennes ont démontré la corrélation entre couplage et rupture dans le cas de la lacune de Concepción. C’est toujours grâce à ces mesures qu’elles ont mis en évidence récemment que la lacune du grand nord Chili semblait constituée de deux segments fortement couplés (plutôt que d’un seul), interrompus par une zone de faible couplage positionnée précisément en face de la ville d’Iquique.

Ce point de mesure GPS se trouve en bord de mer, environ à 60km de la ville d'Iquique, dans la région Tarapaca.
Ce point de mesure GPS se trouve en bord de mer, environ à 60km de la ville d'Iquique, dans la région Tarapaca.

Prédire les séismes, un exercice impossible ?

Notre premier travail consiste donc à définir la localisation et l’extension de la zone qui a rompu lors des deux séismes d’avril 2014 afin de déterminer ce qui reste à casser. Pour cela, il faut collecter les enregistrements sismologiques et les données de déformation de manière à estimer précisément la localisation des séismes, leur étendue et la quantité de déformation relâchée. Ensuite, il est nécessaire de positionner ces informations par rapport aux cartes de couplage préalable, de manière à estimer quelles portions ces ruptures ont affectées.

La nature
a pris l’habitude
de contredire
les sismologues.

Au vu des premières informations collectées, il semble qu’une petite partie seulement des segments couplés connus ait été affectée. On pourrait donc en déduire qu’un plus grand séisme, un Big One, qui romprait l’ensemble est imminent. Il s’agit là d’une possibilité bien réelle : la déformation infligée par les séismes du 1er et du 3 avril a « augmenté la charge » sur les bords des segments couplés, rendant leur rupture prochaine plus probable. Mais ce n’est pas la seule hypothèse.

Il se pourrait que le séisme de 1877, par exemple, corresponde à la rupture d’un seul des deux segments (celui au Sud d’Iquique), et non pas à la rupture de l’ensemble des deux. Dans ce cas, la rupture est plus courte (250 kilomètres au lieu de 500), et pour que le séisme atteigne une aussi grande magnitude qu’en 1877 il faut qu’elle soit plus énergétique (c’est-à-dire que le glissement entre les deux plaques soit plus grand). Pour cela, il faut que plus de déformation ait été accumulée, c’est-à-dire pendant plus longtemps. Dans le premier cas (rupture simultanée des deux segments), le Big One est peut-être pour demain, dans le second cas (rupture d’un seul segment), le Big One n’est peut-être que pour le siècle prochain.

La nature a pris l’habitude de contredire les sismologues : la rupture du séisme de Sumatra de 2004 était beaucoup plus longue qu’attendue ; la rupture du séisme du Japon de 2011 correspondait à un glissement beaucoup plus grand que ce que l’on pensait possible. En sortant de la lacune de Darwin de 1835, le séisme de Maule de 2010 a montré que le couplage actuel était plus pertinent que l’histoire des lacunes. Les grands séismes, événements rares, sont toujours des surprises ; et les connaissances des sismologues progressent grâce aux données acquises à chaque fois. Pour autant, établir une prédiction de ce qui va se produire reste un exercice impossible.

Notes
  • 1. Les équipes françaises sont impliquées de longue date dans l’étude des séismes de subduction au Chili, et plus particulièrement depuis la création du Laboratoire international associé Montessus de Ballore (CNRS/ENS/IPGP/Université du Chili). Des chercheurs sont actuellement sur le terrain participant à la remesure des points GPS et la collecte des données sismologiques enregistrées par le réseau permanent Ipoc déployé dans cette zone, en collaboration avec le GFZ Potsdam (Allemagne), et par des stations temporaires dans une action coordonnée par le département de géophysique de l’université du Chili. D’autres actions impliquant des équipes françaises sont en cours, bénéficiant sur place du soutien actif de l’IRD.

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