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Hésitation vaccinale: la France championne du monde ?
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En plus du football, la France est-elle la championne du monde du rejet des vaccins ? Plusieurs études internationales parues ces dernières années et couvrant jusqu’à 140 pays, l’ont en effet suggéré ou au moins placé la France dans le top 10 mondial des pays antivaccins. Mais les attitudes et comportements de vaccination sont complexes et se laissent difficilement mesurer par les trois ou quatre questions contenues dans ces sondages.
En clair, nous ne savons pas si nous sommes champions du monde de l’« hésitation vaccinale ». En revanche, nous savons que depuis dix ans une part importante de la population française nourrit des doutes (entre 25 % et 70 % selon les études) vis-à-vis d’un ou plusieurs vaccins comme celui contre les papillomavirus ou celui contre l’hépatite B.
La spécificité de la France réside ainsi probablement moins dans la prévalence de ces doutes que dans le fait que le phénomène a été davantage étudié ici qu’ailleurs et que l’on commence à avoir des éléments pour en comprendre les raisons et en tirer des leçons. Dans l’espace public, la diffusion récente de ces doutes est le plus souvent expliquée par le développement d’Internet et par la montée de la défiance envers les institutions voire envers la science.
Il est vrai qu’Internet facilite l’accès aux arguments critiques des vaccins et que, depuis vingt ans, les autorités sanitaires ont été au cœur d’une série de scandales publics qui ont durablement entaché leur réputation. Cependant, se focaliser sur ces deux éléments occulte trois phénomènes cruciaux, comme nous le rappelons avec mes quatre coauteurs dans une récente publication1.
Les controverses se multiplient
L’augmentation de la part de la population ayant des réserves quant au vaccin a surtout eu lieu depuis la controverse sur la campagne de vaccination contre la grippe A en 2009 (même si une controverse émerge à la fin des années 1990 autour du vaccin contre l’hépatite B). Puis suivirent une succession de débats en continu portant sur le vaccin contre les papillomavirus, le recours aux vaccins multivalentsFermerVaccins qui immunisent contre plusieurs maladies, comme celui contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, l’hépatite B et les infections à Haemophilus influenzae de type B, par exemple la méningite., et l’usage d’aluminium dans la composition du vaccin.
Les médecins hésitent aussi
On tend à penser que les doutes vis-à-vis des vaccins sont le produit d’un manque de compréhension scientifique de la vaccination et que, par conséquent, les médecins, principales sources d’informations et de conseil sur ces questions, devraient être immunisés contre ces doutes. Ce n’est pourtant pas le cas. Les résultats d’une étude réalisée en 2014 par mes collègues de Marseille montrent que près de 14 % des médecins généralistes avaient des doutes sur l’utilité ou la sécurité de certains vaccins et que près de 20 % d’entre eux pensaient que l’on vaccine contre trop de maladies. Cela traduit notamment la détérioration des relations entre médecins et autorités sanitaires dans un contexte de multiplication des scandales, de crise de financement de l’hôpital public et de négociations tendues autour de l’Assurance maladie.
De nouveaux militants ciblent certains vaccins
On parle beaucoup des « antivaccins » : ces militants qui n’ont jamais accepté le principe scientifique de la vaccination préfèrent les médecines alternatives et nient la légitimité de l’État (corrompu) à s’introduire dans le corps de leurs enfants. Seulement, les mouvements antivaccins ont historiquement été très peu puissants en France, notamment en comparaison de ceux aux États-Unis ou en Grande-Bretagne.
Cela s’est entre autres traduit par l’absence de grandes controverses sur la sécurité des vaccins avant le milieu des années 1990 alors que l’Angleterre a connu des débats sur la vaccination contre la coqueluche à la fin des années 1970 et les États-Unis sur le vaccin Diphterie-Tétanos-Coqueluche au début des années 1980. Or, les groupes au cœur de ces controverses récentes ont choisi de se distancier des antivaccins traditionnels.
Ces nouveaux acteurs restreignent leur critique à un nombre limité de vaccins ou de substances qu'ils contiennent (par exemple le vaccin contre les papillomavirus ou l’usage d’aluminium) tout en affirmant publiquement leur attachement au principe de la vaccination. Ces patients, médecins, militants, sont plus proches de mouvements sociaux mainstream (droits des patients, santé environnementale…) que des mouvements radicaux associés à l’«antivaccinalisme» (médecines alternatives, complotisme…).
Ce positionnement moins radical explique en partie la succession des controverses évoquée plus tôt. Il permet à ces acteurs d’apparaître plus crédibles auprès du public, des journalistes et des médecins. Ce changement dans le paysage de la critique vaccinale se retrouve au niveau du public : les doutes sont concentrés sur ces vaccins controversés et une toute petite minorité rejette toute forme de vaccination.
Une confiance à restaurer
Face à cette situation et à l’efficacité limitée des outils de communication à leur disposition, les autorités françaises ont opté pour la coercition. Depuis le 1er janvier 2018, les enfants doivent être à jour des 11 vaccins recommandés s’ils veulent être gardés en collectivité. La France est loin d’être seule à faire ce choix. Depuis cinq ans de nombreux gouvernements ont renforcé leurs obligations et sanctions pour non-vaccination (Italie, Australie, Californie…) ou envisagent cette possibilité (Allemagne, Pologne…). Il est vrai que les obligations ont souvent eu pour effet d’augmenter les taux de vaccination. Cependant, leur mise en place a parfois eu pour effet de générer de larges mouvements de résistance ainsi qu’une méfiance dans une importante portion du public, comme en Angleterre au XIXe siècle ou en ce moment en Allemagne.
Après un an, les premiers effets de cette nouvelle loi semblent être positifs. Les taux de vaccination ont augmenté et la part de Français ayant des doutes sur les vaccins semble avoir diminué. Mais près d’un tiers des parents se déclarent toujours opposés à ces obligations et plus de 20 % sont encore « hésitants ». Face à ces résultats encourageants, le risque principal est donc de devenir complaisant et laisser l’obligation faire tout le travail. Il faut continuer à travailler à restaurer la confiance dans les vaccins. Surtout, les doutes vis-à-vis des vaccins reflètent des problèmes plus larges dans le système de santé public français, comme ceux au cœur de la rupture entre certains médecins et les autorités sanitaires. Restaurer la confiance dans les vaccins ne peut que passer par un travail sur le système de santé dans son ensemble. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. « Vaccine hesitancy and coercion: all eyes on France », Jeremy K. Ward, Patrick Peretti-Watel, Aurélie Bocquier, Valérie Seror and Pierre Verger, Nature immunology, 2 septembre 2019.
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Soyons factuels.
David Van der Beken le 29 Mai 2020 à 00h15