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Pourquoi nos organes sont inégaux face au cancer

Pourquoi nos organes sont inégaux face au cancer

08.09.2016, par
Le cancer ne touche pas de la même manière tous les organes. Pour comprendre ce phénomène, des chercheurs tentent une approche «évolutionniste», envisageant chaque partie du corps comme un écosystème. Explications avec Frédéric Thomas, coauteur d’un article sur le sujet qui vient de faire la une du dernier numéro de «Trends in Cancer».

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

C’est un fait : face au cancer, certaines parties de notre corps sont bien plus vulnérables que d’autres. Ainsi, les cancers du cerveau, du cœur, du pancréas ou de l’intestin grêle sont assez rares par rapport aux cancers du sein, de la peau, du côlon ou de la prostate. Mais comment expliquer cette hétérogénéité entre nos différents organes et tissus ? Pour les scientifiques, la question constitue un véritable casse-tête à résoudre absolument s’ils veulent mieux comprendre cette maladie, devenue il y a peu la première cause de mortalité en Europe de l’Ouest. Pour y parvenir, ils se penchent sur les possibles causes internes, telles que le nombre de cellules souches en division dans chaque organe, ou au contraire sur des facteurs externes, tels que la pollution ou le mode de vie (alimentation, tabagisme, alcool, etc.) qui ne vont évidemment pas avoir le même impact sur tous les organes.

Cancer et approche évolutionniste
Visuel illustrant la couverture du numéro de « Trends in Cancer » paru en août 2016.
Cancer et approche évolutionniste
Visuel illustrant la couverture du numéro de « Trends in Cancer » paru en août 2016.

Mais une troisième voie de recherche, plus inattendue, commence à émerger : elle s’appuie sur les concepts… de l’écologie et des sciences de l’évolution. Pour ceux qui douteraient du sérieux de la chose, sachez que ce nouveau champ, baptisé « Écologie évolutive des organes », vient de faire la une de la prestigieuse revue Trends in Cancer 1, relayant les travaux d’une équipe de chercheurs français, américains et australiens.

Envisager les organes comme une myriade d’écosystèmes

Tout d’abord, ces scientifiques proposent de regarder le corps humain autrement, en enfilant les lunettes de l’écologie. L’idée, qui peut paraître surprenante de prime abord, est d’envisager les organes du corps comme une myriade d’écosystèmes plus ou moins connectés entre eux. À l’image d’un petit coin de forêt ou d’un bout de plage, chacun de ces organes/écosystèmes a ses propres caractéristiques « biotiques » (telles espèces de bactéries et de microbes présentes en telle quantité…) et « abiotiques » (la température, l’exposition aux UV, le pH, la quantité d’oxygène…). Au sein de ce réseau, les cellules cancéreuses sont comparables, à bien des égards, à des parasites microscopiques qui se seraient adaptés aux conditions locales.

L’adaptation des
outils de l’écologie
du paysage
devrait apporter
un éclairage sur
la manière
dont migrent
certaines cellules
cancéreuses.

Dès lors que l’on regarde les choses ainsi, un cortège de connaissances et de concepts devient transposable au cancer ! Par exemple, l’adaptation des outils de l’écologie du paysage, couplée aux modèles mathématiques qui permettent de prédire la dispersion des plantes et des animaux, devrait apporter un éclairage important sur la manière dont migrent certaines cellules cancéreuses, aboutissant aux foyers cancéreux secondaires appelés métastases. Autre illustration, la théorie de la biogéographie des îles a montré que la diversité et l’abondance des espèces sont corrélées à la taille des habitats, les plus grands alliant davantage de ressources et pouvant supporter un plus grand nombre d’espèces. Si ces règles s’appliquent aussi au cancer, on pourrait s’attendre à ce que les « conditions écologiques » de chaque organe aient un impact sur la taille et la forme des tumeurs, mais aussi sur la diversité des cellules cancéreuses (qui est aujourd’hui la principale cause de la résistance aux traitements).

Prendre en compte l’importance de chaque organe pour la survie de l’organisme

Mais ce n’est pas tout. Les tenants de l’approche évolutionniste avancent aussi une seconde proposition : il s’agit cette fois de prendre en compte l’importance de chaque organe pour la survie de l’organisme tant que celui-ci est en mesure de se reproduire. En effet, en raison des compromis qui régissent le fonctionnement du vivant, la théorie de l’évolution prévoit que les facteurs qui optimisent la reproduction et la transmission des gènes sont favorisés au fil des générations. Or la valeur sélective d’un individu (autrement dit le nombre de descendants laissés) a plus de chance d’être fortement diminuée si ce dernier rencontre durant sa vie reproductrice un problème de santé au cœur, au cerveau ou au pancréas, plutôt qu’à la vésicule biliaire ou à la rate. L’on sait aussi, pour certains organes comme les poumons qui vont par paire et sont de grande taille, que l’organisme peut fonctionner même si une seule copie est apte au service. Bref, tous les organes n’ont pas la même importance ni la même contribution dans cette histoire d’évolution.

Cancer et approche évolutionniste
Cellules cancéreuses du pancréas. Les chercheurs en biologie évolutive tentent de comprendre pourquoi certains cancers (pancréas, cerveau, cœur, intestin grêle) sont relativement rares par rapport à d’autres (sein, peau, côlon, prostate).
Cancer et approche évolutionniste
Cellules cancéreuses du pancréas. Les chercheurs en biologie évolutive tentent de comprendre pourquoi certains cancers (pancréas, cerveau, cœur, intestin grêle) sont relativement rares par rapport à d’autres (sein, peau, côlon, prostate).

La protection des
organes contre les
maladies devrait
être d’autant
plus forte que ces
derniers jouent un
rôle crucial dans
la maximisation de
la valeur sélective.

Selon la théorie, la protection des organes contre les maladies devrait être d’autant plus forte que ces derniers jouent un rôle crucial dans la maximisation de la valeur sélective. L’application de ce principe au cancer pourrait expliquer en partie (les autres hypothèses comme l’importance du nombre de cellules souches par organe ou l’exposition à des polluants restent valables) les différences d’accumulation de tumeurs plus ou moins graves dans les organes du corps. Car il faut rappeler au passage que le monde ne se divise pas entre les gens qui auraient un cancer et ceux qui n’en auraient pas : nous avons tous des cellules cancéreuses dans notre organisme et plus nous vieillissons, plus nous en avons. L’enjeu est donc de comprendre pourquoi elles s’accumulent davantage dans certains organes que dans d’autres, et de déterminer les liens entre ces différences et la probabilité que certaines évoluent vers des tumeurs graves et envahissantes.

La médecine évolutionniste en plein essor

Pour y parvenir et pour vérifier les prédictions énoncées auparavant, d’importantes recherches sont en cours. Les scientifiques effectuent en effet un suivi méticuleux du statut cancéreux de chaque organe, chez la souris, au cours du temps. Ce travail de titan révélera ses conclusions dans quelques mois. En parallèle, les scientifiques ont commencé à développer des modèles mathématiques pour mettre sur pied un cadre prédictif précis pour les processus oncologiques.

Apparue il y a une vingtaine d’années seulement, la médecine évolutionniste – c’est-à-dire l’application des sciences de l’écologie et de l’évolution aux problèmes de santé humaine – est une discipline en plein essor aussi bien en France qu’à l’étranger. Ce croisement inédit a commencé à apporter un renouveau sur bien des sujets dans le monde médical, que ce soit sur les allergies, la résistance aux antibiotiques ou encore les maladies auto-immunes. Aujourd’hui, il peut certainement apporter un recul précieux et une palette de nouveaux concepts pour mieux comprendre le cancer, une maladie qui continue de nous défier malgré les progrès continus de la recherche biomédicale.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. « Evolutionary Ecology of Organs : A Missing Link in Cancer Development ? », Frédéric Thomas et al., Trends in Cancer, août 2016, vol. 2 (8) : 409-415.

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