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«Le réseau Bitcoin, une erreur follement coûteuse »

«Le réseau Bitcoin, une erreur follement coûteuse »

10.02.2022, par
Dans ce billet publié en partenariat avec Libération, l'informaticien et mathématicien Jean-Paul Delahaye nous explique pourquoi la consommation électrique du bitcoin est une malfaçon majeure qui devrait conduire, selon lui, à son interdiction ou son remplacement par d'autres cryptomonnaies moins énergivores.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

Depuis la mise en marche du réseau Bitcoin1 en janvier 2009, les jetons émis par le réseau ont vu leur valeur exploser : de 0 dollar au départ, chaque jeton bitcoin a atteint près de 69 000$ en novembre 2021 avant de retomber aux alentours de 30 000$ deux mois plus tard. En plus de cette volatilité, qui pousse certains à ne voir dans le bitcoin qu’une bulle spéculative, un autre grave défaut affecte ce réseau : la consommation d’énergie énorme que son fonctionnement requiert. Une consommation absurde que l’on peut aujourd’hui considérer comme une erreur de conception qu’ont su régler d’autres cryptoactifs qui s’imposent peu à peu sous les noms de Solana, Cardano, Polkadot, etc. Toutefois, si près de quinze mille cryptomonnaies sont nées dans le sillon du bitcoin, celui-ci reste prédominant avec une capitalisation oscillant autour de mille milliards de dollars, représentant environ 40 % de la capitalisation de tous les cryptoactifs.

Mines de charbon numérique

Comment fonctionne une cryptomonnaie et pourquoi peut-on parler d’erreur au cœur de Bitcoin ? Le réseau Bitcoin a été conçu par une ou plusieurs personnes agissant sous pseudonyme de Satoshi Nakamoto, mais dont aujourd’hui encore on ignore la véritable identité. L’émission et la circulation des jetons d’une cryptomonnaie sont opérées par un réseau d’ordinateurs appelés « validateurs » qui fonctionnent en pair-à-pair, de manière décentralisée. Chaque ordinateur du réseau détient une copie d’un énorme fichier appelé « blockchain » (chaîne de blocs en français), un livre de compte qui enregistre au fur et à mesure tous les déplacements de jetons de compte en compte. Pour encourager les ordinateurs qui participent à cette gestion du réseau, une incitation est distribuée périodiquement à ceux qui valident et ajoutent à la blockchain de nouveaux blocs de transactions.

Machines de minage de bitcoin fonctionnant dans un entrepôt de Rockdale, Texas (Etats-Unis).
Machines de minage de bitcoin fonctionnant dans un entrepôt de Rockdale, Texas (Etats-Unis).

Dans le cas de Bitcoin, un bloc de transactions est ajouté à la blockchain toutes les dix minutes, et les bitcoins nouvellement créés (6,25 aujourd’hui) sont attribués au mineur qui a proposé le bloc, bloc qui est validé par les autres validateurs. La désignation du validateur gagnant s’effectue par la méthode de la preuve de travail (proof of work, POW). Ici, la preuve s’appuie sur un concours de calcul brut, appelé minage. Les validateurs (ou mineurs) du réseau doivent résoudre une énigme de nature combinatoire ; le premier à la résoudre « gagne » les jetons créés. Le problème posé, renouvelé toutes les dix minutes, exige des participants qu’ils calculent une certaine fonction : plus un validateur est capable de la calculer rapidement, plus il a des chances de gagner à chaque distribution de l’incitation. Disposer par exemple de 5 % de la puissance totale du réseau donne 5 % de chances de gagner chaque concours. La preuve de travail crée donc une concurrence entre les validateurs qui les a amenés à recourir à des puces spécialisées et à dépenser de plus en plus d’électricité pour les faire fonctionner.

Or toute cette énergie investie dans la fabrication et surtout le fonctionnement de ces machines spécialisées ne sert à rien d’autre qu’à la désignation du validateur qui reçoit l’incitation. L’électricité utilisée pour gérer les transactions sur le réseau est devenue progressivement négligeable comparée à celle utilisée pour le concours de calcul. Il a été évalué que le rapport entre les deux est au moins de 1 à 1 000.

De la preuve de travail à la preuve d'enjeu

D’autres blockchains ont pourtant déployé une nouvelle méthode bien moins énergivore de choix du validateur chargé d’ajouter un bloc : la preuve d’enjeu (proof of stake, POS). Avec la POS, chaque validateur dépose en gage une somme d’argent (des jetons de la cryptomonnaie considérée) et sa probabilité de gagner l’incitation à chaque distribution est proportionnelle au montant de ce dépôt. Cette mise en gage peut être retirée à n’importe quel instant, comme de l’argent placé sur un compte d’épargne. La preuve d’enjeu est une sorte preuve de travail où l’on récupérerait l’investissement consenti pour participer, alors qu’il est perdu dans la preuve de travail. Dans les deux cas, le système favorise ceux qui disposent de moyens importants pour s’engager, mais c’est quelque chose d’inévitable pour se prémunir des attaques basées sur la création en masse de fausses identités. Il est important de noter que l’essentiel de l’électricité dépensée par un réseau utilisant la preuve de travail n’est pas utilisé pour les échanges et les contrôles des validateurs, mais pour le concours de calcul du réseau.

Les cryptomonnaies s'échangent sur des plateformes d'échange en ligne qui commencent juste à être régulées (The Bitcoin Festival, Miami, Juin 2021).
Les cryptomonnaies s'échangent sur des plateformes d'échange en ligne qui commencent juste à être régulées (The Bitcoin Festival, Miami, Juin 2021).

D’année en année, les investissements et dépenses consentis par les mineurs Bitcoin pour participer au concours de calcul ont pris des proportions à la mesure du cours du jeton bitcoin qui, par exemple, a été multiplié par plus de 500 entre 2013 et 2022. La dépense électrique des mineurs Bitcoin peut se calculer de plusieurs façons. On distingue la « valeur minimale » de cette dépense qu’on calcule en se basant sur les hypothèses de consommation les plus favorables, et la « valeur estimée » qui se base sur les dépenses présumées des usines de minage. La valeur minimale de la dépense du réseau Bitcoin atteint ainsi aujourd’hui 50 TWh par an, c’est-à-dire l’équivalent de ce que produisent six réacteurs nucléaires de puissance moyenne, ou 10 % de la production électrique française. La valeur estimée est de deux à quatre fois supérieure.

Interdire le bitcoin ?

La plupart des spécialistes estiment que la sécurisation donnée par la preuve d’enjeu est équivalente à celle donnée par la preuve de travail : de fait, pour l’instant, aucune cryptomonnaie fonctionnant avec une preuve d’enjeu n’a jamais été victime d’une attaque réussie, malgré les centaines de milliards d’euros qu’elles capitalisent. Ce qui amène à une conclusion : la preuve de travail est une erreur de conception.

C’est uniquement le soutien et un certain lobbying des détenteurs de cryptomonnaies fonctionnant avec la preuve de travail qui permet leur survie. Leurs cours élevés entretiennent l’absurde gâchis et même l’encouragent. Deux solutions sont alors possibles. La première est d’interdire toutes les cryptomonnaies comme l’a fait la Chine en 2021, ce qui a mis fin au minage en Chine, mais a malheureusement eu aussi pour conséquence de l’encourager ailleurs et en particulier aux États-Unis où il est devenu particulièrement rentable. La seconde solution, défendue par exemple par la Suède, qui voudrait qu’elle soit appliquée partout en Europe, est d’interdire l’utilisation de la preuve de travail qui est la cause unique de la folie électrique de certaines cryptomonnaies. ♦
  

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

À lire
"La folie électrique du Bitcoin", Jean-Paul Delahaye, Pour la science, n° 484, février 2018, p. 80-85.
Au-delà du Bitcoin. Introduction aux blockchains et aux cryptomonnaies, Jean-Paul Delahaye, Dunod, 2022 (à paraître).

En savoir plus
- sur la dépense électrique de Bitcoin (sites en anglais) :
https://digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption 
https://ccaf.io/cbeci/index
- sur la solution soutenue par la Suède (sites français et anglais) :
https://www.numerama.com/tech/758522-interdire-le-minage-de-bitcoin-dans-lue-les-autorites-suedoises-appellent-a-des-mesures-drastiques.html
https://www.zdnet.com/article/cryptocurrency-should-bitcoin-mining-be-curbed-in-europe-swedish-authorities-say-yes/
https://www.euronews.com/next/2021/11/12/europe-must-ban-bitcoin-mining-to-hit-the-1-5c-paris-climate-goal-say-swedish-regulators
 

Notes
  • 1. NB : Dans le cas de la dénomination unitaire, on l'écrit « bitcoin » et, dans le cas du système de paiement pair-à-pair on l'écrit « Bitcoin ».

Commentaires

5 commentaires

Bonjour , il y a un souci vous vous êtes mal documenté sur le sujet , je pense . 1) En chine , il y a de la résistance communautaire de cryptomonnaie . Il y a des gens qui minent dans des régions parcequ'ils y trouvent leur compte , il faut lire cet article du journal " Consumer News and Business Channel " sur leur site : https://www.cnbc.com/2021/12/18/chinas-underground-bitcoin-miners-.html Dans les régions rurales la population investit en secret dans les cryptomonnaies pour arrondir leur fin de mois .Il y a eu même des panneaux d'affichage pour dissuader les gens de le faire . Donc ils ne peuvent pas lutter contre ça . Et ça les USA l'ont compris . 2) Ensuite certains états comme le texas sont probitcoin car leur réseau électrique produit plus d'énergie qu'ils n'en faut , le surplus d'énergie est réinjecter dans le minage de cryptomonnaie et ça permet à l'état de se renflouer ( j'ai simplifier le truc ) .Il y a d'autres états intéressé , voir même des villes ou village américain car ils ont besoin d'argent pour leur commune . Durant la pandémie en louisiane , une ville a remercier publiquement Satoshi nakamoto , une conférence pour sa contribution à la ville qui voyait alors son économie s'effondrer car les entreprises locales étaient à l'arrêt , en investissant dans le bitcoin elle s'en est sortit . ETc'est même pire que ça , il a des fonds de retraites qui dépendent du bitcoin , des agences immobilières , etc... Le bitcoin est dans tout les secteurs là bas . 3)En france il y a deux millions de citoyens qui ont un compte crypto , ce sont les chiffres officiels ( on parle de compte déclarés aux impôts ) , plus que les chasseurs qui eux aussi sont écocides pourtant . Il y a des gens qui à cause de l'inflation ont des difficultés et ont investit là . Regardez les restos du coeur de plus en plus fréquentés , l'association emaüs qui lance des cris d'alarme régulièrement ... 4) moi je ne joue pas aux jeux vidéos mais je souhaiterais que vous fassiez une étude sur les fermes de serveur de cloud computing et surtout de cloud gaming . Quand il faut changer de carte graphiques régulièrement pour satisfaire ses abonnées et que ces usines graphiques comptent leurs cartes graphiques en milliers , ça doit consommer énormément aussi . Quand on nous parle de pénurie de composant , qu'on nous dit que ce qui est le plus polluant c'est un smartphone et qu'une entreprise de jeux vidéos vous sort une console de jeux portables c'est quand même étrange , non ? En fait finalement je souhaiterais que vous fassiez une étude sur l'industrie du jeux vidéo et son impact environnementale pour savoir quel ravage elle occasionne car ça doit être bien pire que des cryptomonnaies .

NOTE : l'entreprise de jeux vidéos auquel je fait allusion au paragraphe 4 c'est "STEAM" , site internet " steam.com" . 5) Tiens pendant que j' y pense existe t il une étude sur l'impact environnementale de l'internet des objets connectés et la production et la consommation des objets connectés ? Une étude sur ça serait pas mal aussi , c'est petit , disparate , ça a une durée de vie limitée dûe à l'obsolescence programmées aussi bien logiciel que matériel , ça coûte pas cher , il y en a partout actuellement donc ça aussi ça doit bien polluer .

Comparer l’ industrie du jeu vidéo a un système de spéculation qu’est le bitcoin et ses dérives, il y’en a qui de doute dd rien dans leurs démarches. Vivement que ce ponzi s’écroule avec tous les lapins de 3 semaines…

Bonjour, Pour un article publié par le journal du CNRS, je suis surpris par la qualité des données. C'est un article qui se base sur une publication du même auteur en 2018 qui elle même se base sur des calculs et données remontant à 2015 et 2017. J'invite les lecteurs à prendre les informations avec une pincée de sel et de se référer à des données plus "fraîches" et basées sur une "vraie etude" a titre d'exemple (pas que) : https://storage.pardot.com/882933/1643724699zWkQqOwT/COINSHARES_BITCOIN_MINING_JAN22.pdf et pour des données validées par des universitaires : https://ccaf.io/cbeci/index (le lien dans l'article ne fonctionnant pas). A noter que l'industrie de l'Or consomme beaucoup plus que le bitcoin qui lui englobe "un système de payement" sécurisé, transparent ainsi qu'une "store of value" . Donc si l'on veut comparer la consommation du BTC autant la comparer conjointement entre "le système bancaire" (visa, ATM, banque, agence, serveur ...." et "l'industrie de minage de l'Or" sans compte que depuis 2017, la consommation de l'énergie des boitier de minage a été au moins divisé par 10. En espérant avoir contribuer a lever un peu le flou autour d'un actif financier qui a permis à des pays de ne plus dépendre du Dollar et qui va surement aider d'autre pays a sortir du Franc CFA. "When analysed over the long term and in proper context, we believe that the emission costs of Bitcoin are dwarfed by its benefits." Laughing Monk.

J'ai envoyé le message qui suit à l'auteur de cet article je ne sais pas si il le lira donc je post aussi ici : je suis un simple utilisateur un peu pionnier (depuis 2013) je ne suis pas un mineur ni entrepreneur et encore moins lobbyiste mais j'ai un avis différent que vous. Bitcoin utilise en effet de l'électricité mais c'est un réseau révolutionnaire sur tellement d'aspects qu'il faudrait des heures pour détailler. Je suis aussi pour les réseaux POS mais pense que la POW à sa place. Premièrement, si l'on compare à d'autres secteurs c'est à relativiser : Annual GHG Emission: - Military-industrial Complex : 2500 Million Tonnes of Co2e - Finance & Insurance Sector : 1368 Million Tonnes of Co2e - Bitcoin : 44.1 Million Tonnes of Co2e Bitcoin adopte doucement mais sûrement le Lightning Network, qui promet un réseau encore plus économe en énergie tout en permettant un nombre de transactions simultanées très élevées : https://bitcoinist.com/btc-the-lightning-network-s-energy-consumption-vs-the-world-a-comparison/ La blockchain est une industrie en plein essor. Par exemple, l'industrie des semi-conducteurs avec le fabricant américain Intel, qui vient de lancer une nouvelle puce plus économe en énergie : https://www.tomshardware.com/news/intel-details-its-bitcoin-mining-bonanza-mine-chips-and-systems Le minage promeut également de nouvelles techniques d'économie d'énergie qui pourraient être appliquées à d'autres industries, comme le refroidissement par immersion : https://twitter.com/BrianRoemmele/status/1453761177201242116 ou pour utiliser de l'énergie autrement gaspillée : https://www.oilandgaslawyerblog.com/mining-bitcoin-a-solution-to-gas-flaring/ Bitcoin pourrait aussi aider à la transition énergétique : https://kingsbusinessreview.co.uk/bitcoin-solution-for-energy-transition Enfin voici un rapport qui estime à 0.4% l'énergie utilisée pour la prochaine décennie : "New York Digital Investment Group estimates that Bitcoin mining will not represent more than 0.4% of global electricity consumption over the next decade." https://nydig.com/research/report-bitcoin-net-zero Encore une fois je pense que pour un réseau mondial, il faut remettre en perspective du reste.
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