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Front populaire : le temps des conventions collectives

Front populaire : le temps des conventions collectives

24.06.2016, par
Il y a 80 ans jour pour jour, le gouvernement du Font populaire signait la loi sur les conventions collectives. L’historienne Laure Machu revient sur ces acquis qui furent avant tout des instruments de protection et de hiérarchisation des travailleurs, entérinant les frontières sexuelles de la division du travail.

La mémoire collective retient rarement la loi du 24 juin 1936 sur les conventions collective comme l’un des acquis majeurs du Front populaire. Les congés payés ou les Quarante heures incarnent davantage l’embellie de l’été 1936. Pourtant la loi crée une institution nouvelle : la convention collective de branche, considérée comme le pivot des relations sociales à la française. Dans la foulée des grèves et du vote de la loi, la négociation collective connaît un essor inédit : près de 5 000 accords sont signés entre 1936 et 1938. Aujourd’hui, les débats et les mobilisations autour de la loi travail révèlent l’attachement des salariés à la négociation collective de branche, alors même qu’une partie du patronat conteste sa légitimité et souhaite y substituer des accords d’entreprise. Revenir sur la période du Front populaire1 permet de comprendre comment les acteurs ont investi cette nouvelle catégorie juridique et de s’interroger sur ce qu’ont pu signifier les conventions collectives pour les salariés des années 1930.
 

Front populaire
Comité d'accueil et manifestation pour la venue de Léon Blum à Roubaix après les des accords de Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin 1936. Ils seront suivi de la loi du 24 juin 1936 sur les conventions collectives.
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Comité d'accueil et manifestation pour la venue de Léon Blum à Roubaix après les des accords de Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin 1936. Ils seront suivi de la loi du 24 juin 1936 sur les conventions collectives.

Aucune obligation de respecter les textes signés

En 1936, la nouvelle loi est le fruit d’une réflexion sur la réforme des relations professionnelle qui se développe dans l’entre-deux-guerres et culmine avec l’examen du rapport rédigé par Pierre Laroque sur Les conventions collectives en France pour le Conseil national économique en 1934. La réflexion se structure autour de trois pôles. Pour un premier pôle, qui rassemble les confédérés et quelques fonctionnaires proches de l’administration du travail, la convention collective doit être un outil d’organisation de la profession, à un niveau intermédiaire entre la loi et l’entreprise. Elle doit permettre aux partenaires sociaux d’inventer des réponses originales aux problématiques qui leurs sont propres, en complétant les dispositions très générales édictées par la loi. Les conventions collectives signées durant l’été 1936 révèlent la faiblesse des régulations de branche. Par exemple, très peu de conventions se préoccupent d’organiser l’apprentissage à l’échelle de la branche et se contentent d’une simple référence aux textes légaux.

Ni instrument d’action,
ni outil d’organisation,
ni vecteur de stabilisation,
les conventions semblent être avant tout un outil de protection.

Le deuxième pôle est formé par les unitaires pour qui la convention est l’outil d’un contrôle ouvrier sur les conditions de travail et par là même un instrument de recours contre l’arbitraire patronal, notamment en matière de licenciement. Mais là encore, les acquis semblent minces. Les unitaires auraient souhaité contraindre les employeurs à suivre un ordre pour licencier, les obliger à consulter le personnel ou à motiver leurs décisions. Au lieu de cela, les conventions laissent le chef d’entreprise seul juge du moment opportun pour licencier et des salariés à débaucher. L’individualisme des patrons français ou la crispation sur leurs prérogatives ne suffit pas à expliquer ces carences. La résistance des employeurs est confortée par un contexte juridique très favorable au maintien de l’autorité patronale et par les caractéristiques du chômage des années 1930.

 

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Des ouvriers du bâtiment manifestent à Paris, devant l'Assemblée nationale, pendant les grandes grèves de mai-juin 1936.
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Des ouvriers du bâtiment manifestent à Paris, devant l'Assemblée nationale, pendant les grandes grèves de mai-juin 1936.

Pour les hauts fonctionnaires et les militants CFTC qui constituent le troisième pôle de réflexion, le développement des conventions collectives participe d’une pacification des relations industrielles. La dégradation du climat social explique en partie l’échec de ce projet que traduit la persistance des grèves. Mais l’autre partie de l’explication réside dans les textes eux-mêmes. En effet, très peu de conventions se préoccupent de créer les conditions propres au respect des textes signés, et d’inscrire le dialogue et la négociation dans la durée. Ainsi, la plupart sont signées pour une durée indéterminée, ce qui signifie que les signataires peuvent à tout moment et unilatéralement dénoncer la convention2. Parallèlement, ni la loi ni les accords n’exigent des signataires qu’ils fassent respecter la convention, y compris par leurs propres adhérents. Enfin, rares sont les conventions qui créent une commission mixte pour examiner et résoudre les conflits nés de leur application. Puisqu’elles ne sont ni un instrument d’action, ni un outil d’organisation, ni un vecteur de stabilisation, les conventions semblent être avant tout un outil de protection.

Un effet modeste sur la condition ouvrière

En dehors des augmentations de salaires concédées, l'effet sur la condition ouvrière semble modeste. Premièrement, elles dédommagent plus qu’elles n’éliminent la pénibilité ou la fatigue qui caractérisent le travail ouvrier. Très peu de conventions interdisent le travail au rendement, se contentant d’une règlementation très souple de son usage. Dans les secteurs où les salariés travaillent dans des conditions dangereuses ou insalubres, les accords  fixent le montant des primes qu’ils pourront percevoir, mais n’imposent à leur employeur aucune mesure de prévention. La résistance patronale n’est pas le seul élément de blocage à une véritable dynamique d’amélioration des conditions de travail. Il faut aussi évoquer la stratégie ouvrière qui monnaie une partie de l’amélioration des conditions de travail. L’historien doit ici se garder d’un jugement trop sévère. Pour modestes qu’elles soient, les clauses des conventions collectives sont perçues comme une vraie amélioration ne serait-ce que parce qu’elles généralisent à l’ensemble des salariés des avantages dont seuls les privilégiés pouvaient jusque-là bénéficier. Toutefois, les conventions réduisent peu les disparités internes au monde ouvrier. Ainsi, la majoration des heures supplémentaires reste très inégale  d’un secteur ou d’une région à l’autre.

Front populaire
Mai-juin 1936, manifestation de femmes militantes du parti communiste, à Paris, avec en tête la Chorale ouvrière d'Ivry.
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Mai-juin 1936, manifestation de femmes militantes du parti communiste, à Paris, avec en tête la Chorale ouvrière d'Ivry.
 

Les conventions
collectives
entérinent
la discrimination
salariale dont
sont victimes
les ouvrières et les
jeunes travailleurs.

Finalement, l’acquis le plus sûr et le plus durable des conventions collectives semble être leur contribution à la construction d’un ordre salarial puisqu’elles généralisent le principe d’une classification des travailleurs en fonction de leur qualification, de leur sexe, de leur âge et de leur statut. En cela, elles représentent un net progrès pour les salariés de l’industrie où les classifications en vigueur dans l’entreprise étaient probablement extrêmement sommaires, distinguant la main-d’œuvre uniquement en fonction de son âge (plus ou moins de 18 ans) et de son sexe. Mais ce faisant, elles entérinent la discrimination salariale dont sont victimes les ouvrières et les jeunes travailleurs.

À poste égal, les ouvrières de la métallurgie parisienne gagnent 20 % de moins que leur homologue masculin. L’accès aux postes les plus qualifiés leur est refusé, tandis que les travaux effectués par les femmes sont systématiquement considérés comme peu qualifiés. L’inscription de la division sexuelle du travail dans les grilles de classification s’explique par la convergence des stratégies patronales et ouvrières. Les grilles de classifications, y compris celles des projets syndicaux, sont représentatives d’une tactique consistant à demander de meilleurs salaires pour les femmes, voire à réclamer la parité des salaires masculins et féminins, dans l'espoir que les employeurs préfèreront employer des hommes, tout en sauvegardant les prérogatives masculines sur l’accès à la qualification.

Cette stratégie qui traduit la persistance d’une certaine défiance envers la main-d’œuvre féminine paraît susciter peu de protestations de la part des ouvrières pourtant mobilisées lors des grèves de 1936. On peut voir dans ce silence une priorité accordée à l’identité de classe sur l’identité sexuée. Solidaires dans la lutte des classes, elles taisent leurs propres revendications pour ne pas briser l’unité combattive. Mais il faut aussi prendre en compte les rapports de force sexués qui s’établissent au sein des syndicats. Si l’explosion des effectifs syndicaux se traduit par une féminisation des adhérents, l’accès des femmes aux postes de responsabilités est très relatif.

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. L'analyse de Laure Machu est tirée de son travail de doctorat, "Les convention collectives du Front populaire, La construction du système français de relations professionnelles 1900-1950", Université de Nanterre, 2011.
  • 2. Selon l’article 31 m du Code du Travail « tout groupement (…) partie à une convention collective de travail conclue, ou prorogée par tacite reconduction, pour une durée indéterminée, peut à toute époque se dégager en notifiant sa renonciation à toutes les autres parties, groupements d’employés ou d’employeurs ».

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