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Bien commun et biens communs : vers une approche renouvelée du sous-sol
Pour répondre aux objectifs de développement durable et pour soutenir la transition énergétique, il faut mobiliser le sous-sol : c’est un réservoir de ressources minérales essentielles pour la construction d’infrastructures de production d’énergies renouvelables ; une source d’énergies bas carbone comme la géothermie ; et un espace utilisé pour le stockage d’énergie et de CO², et pour le développement d’infrastructures urbaines.
Les débats sur l’utilisation du sous-sol se sont intensifiés au cours de ces dernières années. Une nouvelle loi minière a été votée en 2021 en France ; la Commission nationale du débat public s’est penchée sur les projets miniers de l’or en Guyane et du lithium dans l’Allier ; le Grand Paris s’accompagne de vastes travaux souterrains… De nouveaux enjeux autour de l’hydrogène ou des saumures géothermales ont rejoint les préoccupations plus anciennes comme la gestion de notre patrimoine minier ou les stockages géologiques. Il devient alors essentiel de mieux planifier et gérer l’accès au sous-sol, un enjeu complexe, d’autant qu’il fait appel à de multiples domaines disciplinaires, des sciences de la nature aux sciences humaines et sociales.

C’est pourquoi le gouvernement a confié au CNRS et au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) le pilotage d’un Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) exploratoire1 doté de 71,4 millions d’euros sur sept ans pour évaluer la demande nationale future en ressources et usages du sous-sol, caractériser ses potentiels, étudier les impacts environnementaux des usages, la politisation du sous-sol et les aspects juridiques2.
L’un des aspects novateurs du programme est de favoriser le dialogue entre les scientifiques, mais aussi avec les citoyens, les décideurs et les industriels autour de ces enjeux. Ainsi, outre les nombreux projets en géosciences, le programme s’intéresse au bien commun. Mais s’agit-il d’un bien commun ou de biens communs ?
Du bien commun aux biens communs
La distinction entre « bien commun » et « biens communs » reflète des concepts différents, bien que liés. Au singulier, le bien commun est un concept philosophique et éthique qui se réfère à l’ensemble des conditions sociales permettant à tous les membres d’une communauté de s’épanouir et de vivre une vie bonne. Il s’agit d’un idéal normatif qui guide les actions et les politiques publiques pour promouvoir le bien-être collectif, une approche surplombante, fondamentalement descendante. Cette vision religieuse et morale a évolué avec les Lumières vers un contrat social au XVIIIe siècle et les propositions d’une alternative politique anticapitaliste – écologiques et féministes, plus récemment.
Au pluriel, les biens communs désignent des biens ou ressources partagés et gérés collectivement par une communauté. Dès l’Antiquité, Platon et Aristote débattaient de la propriété des biens en commun – le premier prônant l’harmonie collective tandis que le second mettait en garde contre les conflits potentiels. Les biens communs ont longtemps désigné des espaces agricoles collectifs, tels les commons, les terres communes anglaises du Moyen Âge. Le concept s’est largement élargi aujourd’hui, touchant notamment aux ressources naturelles, au patrimoine et à l’environnement, associant ainsi matériel et symbolique autour d’un territoire. Ce territoire s’est lui-même élargi à la planète, avec des biens communs globaux, des biens communs de l’humanité telles la santé publique, la connaissance ou les ressources numériques, au risque d’une dilution du concept.
À la suite des travaux de l’économiste états-unienne Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, les biens communs apparaissent aujourd’hui comme une construction collective, ascendante : ils résultent d’une pratique auto-organisée de mise en commun, mobilisant des valeurs consensuelles, parfois un canevas juridique, autour d’une communauté. Les territoires se redéfinissent dans des situations d’actions publiques. Leur gestion est indissociable du contexte, de la localisation, de l’historique.
Les biens communs semblent dessiner un type de propriété qui se situerait entre les biens publics, gérés par l’État, parfois comme services publics, et les biens privés, d’essence marchande, dont l’extension semble être un marqueur de ce début du XXIe siècle. Ils permettraient aux citoyens de n’être pas exclus de la jouissance des biens essentiels et de participer aux décisions qui les concernent, et de mieux gérer le fragile et l’essentiel. Ils dépasseraient ainsi l’alternative entre propriété privée et propriété publique, entre individu et État, au-delà du néolibéralisme ou du communisme étatique.
Démocratiser le sous-sol
Le sous-sol est la partie supérieure de la Terre solide, constitué principalement de roches, mais aussi de fluides qui y résident et y circulent. Il est le lieu d’extraction de ressources minérales et énergétiques, le lieu de stockage de déchets et le substrat et l’encaissant d’un ensemble d’aménagements. Il est le support du sol aux sens agronomiques et/ou pédologiquesFermerLa pédologie constitue la science qui étudie les sols.. Il interagit avec l’hydrosphère, la biosphère et l’atmosphère. Sa limite supérieure est progressive, en transition avec le sol, tandis que sa limite inférieure est celle qui peut être physiquement atteinte, utilisée et exploitée avec les technologies actuelles – soit généralement moins de 4 km.
Le sous-sol contribue indubitablement au bien commun. C’est un capital naturel qui produit des services écosystémiques majeurs : des services culturels (géodiversitéFermerLa géodiversité représente l'ensemble des éléments des sous-sols, sols et paysages qui, assemblés les uns aux autres, constituent des systèmes organisés, issus de processus géologiques.), des services de régulation (stockage des déchets, du carbone ; flux vers les sols et biodiversité) et des services d’approvisionnement (production de matériaux, de minerais et d’énergie). Par ces services, il contribue à la dignité humaine, au bien-être social et communautaire et au développement culturel et spirituel. Le sous-sol combine ainsi un intérêt transcendant, celui du propriétaire, et un intérêt existentiel pour l’humanité. C’est au sens propre comme au sens figuré le socle de l’humanité.
Mais peut-il être rangé parmi les biens communs ? Il présente en effet des enjeux particuliers. Si le sol fait parfois partie du patrimoine, par exemple dans les terroirs viticoles, le sous-sol constitue un objet omniprésent et cependant oublié par la population. Ses dimensions dépassent l’horizon spatial et temporel des communautés. Sa complexité géométrique et son fonctionnement ne se révèlent qu’à la suite d’une intervention externe, souvent experte, doublement lointaine. Paradoxalement, le commun sous-sol ne peut se construire qu’en réaction !
L’économiste états-unien Paul Samuelson, prix Nobel d’économie en 1970, a souligné que les biens communs sont ceux pour lesquels le marché est pris en défaut. L’exploitation des ressources du sous-sol relève du domaine de l’État et de la propriété privée depuis plus 3000 ans, et cette situation semble vouée à perdurer, un État centralisé favorisant l’allocation au privé. En France, la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, selon le Code civil de 1804. Le sous-sol ne saurait donc appartenir aux biens communs…
Mais le marché trouve ses limites dans un contexte de faible durabilité et de ressources rares. Le sous-sol apparaît autant comme un bien territorial que comme un bien marchand. De plus, le sous-sol ne remplit pas toujours les critères de non-rivalité et de non-exclusion des biens communs : les ouvrages souterrains sont d’usage exclusif, tandis que les lois minières ont longtemps consacré les droits du propriétaire-investisseur.
Cependant, là aussi, cette situation évolue aujourd’hui avec la reconnaissance croissante des droits des occupants et de leur contribution au capital intégré, financier, physique, humain et symbolique d’une entreprise extractive. Il va donc nous falloir repenser cette notion de biens communs pour le sous-sol. On pourra sans doute s’inspirer des communs du paysage, du sol, de l’eau ou de la mer, qui partagent les échelles du sous-sol, sans en avoir toujours l’opacité.
La question du/des bien(s) commun(s) revient ainsi à examiner comment démocratiser le sous-sol. Il s’agit de sortir du dilemme public/privé, mais aussi de sortir du cercle des experts, de favoriser la participation et la concertation en vue de faire émerger une conscience du sous-sol. C’est un défi de longue durée, mais on ne peut partager que ce que l’on connaît ! Le PEPR Sous-sol bien commun3 y contribuera par la construction d’un savoir commun et la mise en place territoriale d’instruments de connaissance, de délibération et de décision. Enfin, au sein même de la communauté des chercheurs, le partage d’enjeux globaux tournés vers la société constituera un ciment collaboratif construit par le PEPR au-delà de la phase exploratoire. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale, et sont considérés comme prioritaires au niveau national ou européen.
- 2. Pour l’heure, le programme rassemble plus de 30 institutions et laboratoires partenaires.
- 3. https://www.soussol-bien-commun.fr/fr