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Le pape François est mort, et l’aura d’un pape est telle, que le monde entier va suivre son enterrement, même si, selon ses dernières volontés, il a voulu en faire un événement le plus sobre possible. Il sera peut-être sanctifié dans quelques dizaines d’années, comme certains de ses prédécesseurs. En Mésopotamie antique, certains rois, divinisés après leur décès, ont eu des funérailles mémorables qui ont laissé des traces dans les textes cunéiformes. Gilgamesh, roi d’Uruk peut-être vers 2650 av. J.-C., devenu un personnage mythique, fait partie de ceux-là.
Parmi les diverses tablettes racontant l’Épopée de Gilgamesh, beaucoup copient ce que l’on a désigné comme la version standard, celle mise en forme par le scribe Sîn-leqe-unninni qui en a organisé les différents épisodes et ajouté un épilogue vers le douzième siècle av. J.-C. Des copies de cette version ont été découvertes dans la bibliothèque d’Assurbanipal (668-627) à Ninive, à côté de la moderne Mossoul. Au total, l’histoire de ce roi couvre douze tablettes et pas moins de 3000 lignes.
Au début du récit, roi tyrannique, Gilgamesh fait la connaissance d’Enkidu qui devient son ami, voire son frère. Ensemble ils accomplissent des exploits, mais Enkidu meurt et Gilgamesh découvre alors qu’il est mortel. Il part aux confins du monde connu à la recherche de l’immortalité auprès d’Utanapishtim, le survivant du Déluge, mais rentre bredouille à Uruk. Devenu un roi sage, Gilgamesh veut laisser son souvenir à la postérité. Il transforme Uruk en ville idéale et construit son immense muraille.
Copie cunéiforme d'une version du texte sumérien de Gilgamesh et la Mort par A. Cavigneaux et F. al-Rawi (2000).
La mort de Gilgamesh est évoquée dans un texte sumérien, Gilgamesh et les Enfers. Le souverain, malade et couché sur son lit de mort, s’imagine devant l’assemblée des dieux qui décident de sa destinée de mortel de haut rang dont le nom va être célébré après sa mort. Vient ensuite l’évocation de ses funérailles.
Son architecte, comme si c’était un châtiment, dessina son tombeau (…) C’est qu’alors du lit de l’Euphrate l’eau avait été retirée ! On bâtit le tombeau en pierre. On bâtit les murs en pierre, on monta les vantaux sur la pierre du portail. Le verrou, le seuil étaient en pierre dure. Les crapaudines étaient en pierre dure. On posa les poutres d’or (…) Son épouse bien-aimée, ses enfants biens-aimés, sa première épouse, sa seconde épouse, ses bien-aimées, son chantre bien-aimé (tout son personnel, ses fonctionnaires, ses objets) une fois qu’ils furent couchés à ses côtés, à la place même qu’ils avaient dans le palais exemplaire, au centre d’Uruk... (Traduction d'A. Cavigneaux et F. al-Rawi, 2000).
Pour creuser le tombeau de Gilgamesh dans le lit même de l’Euphrate afin qu’il demeure inviolable, le fleuve est donc asséché ou détourné, et la pierre, matériau rare dans la région, sert à construire le mausolée. Le souverain y est enterré avec ses épouses, ses enfants, tout son personnel et ses courtisans, pour l’accompagner dans le monde des morts.
Chambre mortuaire Ur 1237 L. Woolley_Ur Excavations vol. II, 1934, pl.71.
Ces sacrifices humains sont uniques dans la documentation cunéiforme. L’archéologie, quant à elle, a fourni un seul parallèle daté du milieu du troisième millénaire et donc approximativement contemporain : il s’agit des tombes royales d’Ur dans la nécropole du Dynastique Archaïque rassemblant plus de 2100 tombes pour l’essentiel simples. Mais seize d’entre elles, dites « royales » et comportant plusieurs chambres voûtées, comprenaient de nombreux squelettes d’hommes, dont des soldats, et de femmes, y compris des musiciennes avec leurs instruments, de bœufs tractant des chariots. De telles funérailles ont vraisemblablement marqué la mémoire collective.
Bâtiment en pierre, site archéologique d'Uruk.
Des archéologues allemands, qui mené des fouilles et des prospections magnétiques à Uruk en 2003, ont cru avoir découvert le tombeau du grand roi. Ils ont mis au jour, à l’extérieur de la ville dans un ancien lit de l’Euphrate, les vestiges d’un édifice en pierre mystérieux. Toutefois, rechercher le tombeau de Gilgamesh, c’est comme mener une expédition pour découvrir les vestiges de l’arche de Noé : cela relève de la littérature.
La morale de l’Épopée de Gilgamesh, « le grand homme qui ne voulait pas mourir », comme l’avait désigné le grand assyriologue français Jean Bottéro, redéfinit la notion d’immortalité, celle qui permet aux hommes de continuer à vivre dans les souvenirs des vivants, un souvenir entretenu par les cultes aux morts. Gilgamesh a survécu, au-delà des siècles et des millénaires, grâce à la littérature, et son histoire fait aujourd’hui partie des textes fondateurs de l’humanité enseignés en première année de collège.