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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Des manuscrits d’argile en 3D
26.09.2021, par Cécile Michel
Mis à jour le 26.09.2021

Vous avez peut-être été surpris, en lisant certains textes sur le blog Brèves Mésopotamiennes, de découvrir l’emploi du mot « manuscrit » pour désigner les tablettes d’argile couvertes de caractères cunéiformes. Les définitions des mots « manuscrit » et « épigraphie » ont été établies par des historiens du monde classique pour distinguer les textes antiques rédigés sur des supports souples et périssables, souvent perdus, sauf lorsqu'ils ont été recopiés à plusieurs reprises, de ceux écrits sur des supports durs et durables qui ont survécus aux aléas du temps.

Selon cette terminologie, le mot grec « épigraphie » désigne l’étude des inscriptions anciennes, souvent courtes, gravées, incisées ou peintes sur des supports durables : pierre, métal, bois, argile…  La personne qui étudie les inscriptions est appelée « épigraphiste ». En revanche, le terme « manuscrit » est d’origine latine et signifie « écrit à la main ». Il est compris comme correspondant à la version originale d’une œuvre écrite ou copiée à la main sur papier, papyrus, parchemin, vélin..., les feuillets pouvant être rassemblés sous la forme d’un livre. La personne qui étudie les manuscrits est appelée « paléographe ».

Si l’on suit ces définitions, toutes les tablettes d’argile écrites en caractères cunéiformes devraient être désignées par le mot « inscription » et être étudiées par des épigraphistes. Pourtant, les assyriologues emploient souvent le terme de « manuscrit » en référence à ces tablettes.

Les signes cunéiformes étaient imprimés en négatif en trois dimensions dans l’argile fraîche à l’aide d’un stylet. L'argile était abondante en Mésopotamie, et son utilisation à des fins d'écriture présente de nombreux avantages. Les tablettes d'argile cunéiformes étaient séchées au soleil. Elles ont survécu jusqu'à aujourd'hui, contrairement aux autres supports d'écriture faits de matériaux organiques. Les incendies qui ont détruit de nombreux sites ont cuit certaines des tablettes, ce qui a contribué à leur préservation.

Matériau bon marché, l’argile des tablettes était en outre facilement recyclable. Les textes produits par les apprentis scribes, par exemple, n'étaient pas destinés à être conservés. Une fois un exercice terminé et corrigé, l’élève remettait sa tablette dans une grande jarre avec de l’eau pour en former une nouvelle. De nombreuses tablettes scolaires ont aussi été réutilisées comme matériau de construction. Outre le recyclage, lorsqu'on écrit un texte sur de l'argile fraîche, il est toujours possible d'effacer des signes ou une ligne. Une fois l’argile sèche, on peut l’humidifier à nouveau pour effacer des signes et en ajouter.

Lorsqu'elles n'étaient pas recyclées, les tablettes d'argile étaient suffisamment petites pour être facilement déplacées et transportées. Cela est particulièrement vrai pour les lettres qui ne dépassaient en général pas la taille de la paume de la main. Avant d’être envoyées, les lettres étaient enfermées dans une enveloppe d’argile. Celle-ci protégeait le contenu de la lettre, mais aussi l’intégrité de la tablette pendant son transport. Ces lettres, ainsi que d’autres documents juridiques ou comptables ont été découverts organisés en archives dans les ruines des bâtiments.

D’autres types de textes, littéraires, divinatoires ou mathématiques, pouvaient être assez longs et devaient être écrits sur plusieurs tablettes. L'Épopée de Gilgameš, construite à partir de plusieurs récits comportait douze tablettes dans sa version la plus complète (VIIe siècle avant J.-C.) chacune portant son numéro dans la série, comme les pages dans un livre. Toutes ces œuvres littéraires et savantes étaient conservées dans les bibliothèques des palais, des temples et de certaines maisons privées.

Ces tablettes cunéiformes présentent donc de nombreuses caractéristiques des manuscrits : elles étaient écrites à la main et uniques, elles étaient transportables, elles pouvaient être enfermées dans une enveloppe, porter des annotations, voire des dessins, être effacées ou recyclées, être regroupées en sortes de livres, et rangées dans des archives et des bibliothèques. Les assyriologues qui travaillent sur les tablettes cunéiformes sont donc des paléographes. Certains étudient les mains des auteurs de ces manuscrits d’argile.
 

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