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L’écriture cunéiforme, inventée par les Sumériens dans la seconde moitié du IVe millénaire avant J.-C., a été utilisée pour noter une douzaine de langues différentes. L’équipe archéologique qui fouille le site de Boğazköy en Anatolie centrale, l’ancienne Hattusha capitale des Hittites, vient de mettre au jour une tablette cunéiforme avec du texte dans une langue jusqu’alors inconnue.
L’écriture cunéiforme mise au point par les Sumériens pour écrire leur langue – une langue isolée – est à l’origine logographique, c’est-à-dire un signe pour un mot. Les signes cunéiformes sont composés d’un nombre variable de « clous » imprimés à l’aide d’un stylet dans l’argile fraîche. Au milieu du IIIe millénaire, ce système d’écriture est emprunté par les Akkadiens, une population sémitique qui s’installe entre le Tigre et l’Euphrate en Irak. Ils utilisent le son des signes pour écrire leur langue à l’aide de signes syllabiques. En Syrie centrale, les habitants d’Ebla adoptent aussi l’écriture cunéiforme syllabique à leur langue sémitique, l’éblaïte.
À la fin du IIIe et au cours du IIe millénaire, d’autres populations de Mésopotamie empruntent le système cunéiforme syllabique pour noter leur langue, qu’elle soit sémitique, tel l’amorrite, ou isolée comme le kassite des habitants du Zagros, la langue hourrite parlée en Mésopotamie septentrionale et dans le sud-est de la Turquie et l’ourartéen parlé dans la région du lac de Van. En Iran, les textes cunéiformes sont rédigés en élamite, une autre langue non apparentée à une famille linguistique connue. Il existe aussi deux alphabets cunéiformes, le premier utilisé pour noter l’ougaritique à Ougarit, une langue ouest-sémitique aux 14-13e siècles, le second employé pour le vieux-perse en Iran, entre le 6e et le 4e siècles.
En Anatolie centrale, au IIIe millénaire, les habitants parlent le hatti, une langue isolée. Les populations qui sont établies dans la région au IIe millénaire, quant à elles, communiquent dans des langues indo-européennes, une famille linguistique à laquelle appartient le français. Les premières attestations de mots hittites se trouvent dans les tablettes des marchands assyriens installés à Kültepe, l’ancienne Kaneš, non loin de Kayseri, au 19e siècle.
Les Hittites, qui règnent sur l’Anatolie centrale entre le 17e et le début du 12e siècle, adaptent l’écriture cunéiforme à leur langue, utilisant des sumérogrammes (un signe pour un mot) et akkadogrammes (combinaison de signes syllabiques formant des mots akkadiens) et des signes syllabiques permettant d’écrire phonétiquement leur langue. Certains textes hittites font intervenir des passages en palaïte, une autre langue indo-européenne pour laquelle quelques textes religieux fragmentaires ont été découverts. On y trouve aussi des gloses ou des phrases magico-religieuses en louvite. Mais le louvite est plutôt noté à l’aide de hiéroglyphes et utilisé pour des inscriptions monumentales à partir du 15e siècle.
Tablette en hittite, rituels pour le dieu solaire et celui de la végétation Telebinu © 2013 RMN-Grand Palais (musée du Louvre AO 4703) / Stéphane Maréchalle (https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010123048)
C’est donc à Hattusha, dans la région de Yozgat, un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, et où près de 30 000 tablettes cunéiformes ont été découvertes depuis un siècle, que la mission archéologique dirigée par Andreas Schachner a mis au jour le mois dernier un texte rituel en hittite incluant un extrait rédigé dans une langue inconnue à ce jour. La langue y est désignée comme celle du pays de Kalasma, déjà attesté dans les annales de Mursili II (c. 1321-1295), et qui se situerait au nord d’Ankara. Cette langue, également indo-européenne, partagerait des caractéristiques avec le louvite. L’existence possible de cette idiome avait été suggérée dès la fin des années 1950 par un savant allemand. Celui-ci avait relevé que les fonctionnaires de Kalasma prêtaient serment dans un dialecte différent de celui des autres régions hittites.
Les textes exhumés à Hattusha sont de contenu historique, administratif, juridique, scolaire et également religieux. Les nombreux textes religieux regroupent des mythes, des hymnes et prières, des descriptions des fêtes et de cultes célébrés pour les divinités, ainsi que des textes magico-religieux. Ces derniers enregistrent régulièrement, dans la langue d’origine, des rituels issus de diverses traditions anatoliennes, syriennes et mésopotamiennes, montrant tout l’intérêt porté par les scribes royaux pour ces différentes cultures.
Il faudra d’autres textes rédigés dans cet idiome pour permettre le déchiffrement de cette nouvelle langue kalasmaïte. La langue est l’un des éléments clés de l’identité culturelle des peuples, et c’est par elle que nous pouvons appréhender les diversités culturelles.
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du journal CNRS