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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Des cartes dessinées sur argile
27.05.2024, par Cécile Michel
Mis à jour le 29.05.2024
Dans ce nouveau billet, l'assyriologue Cécile Michel nous parle des plans et cartes à grande échelle réalisés par les anciens Mésopotamiens, dont la plus vieille carte du monde connue à ce jour, tracée dans l'argile.

Les anciens mésopotamiens ont dressé des plans de champs ou de bâtiments sur argile, et leurs tablettes mathématiques sont parfois illustrées de diagrammes permettant de visualiser des étapes de résolution des problèmes. Les plans ou cartes à grande échelle de villes ou de régions, plus rares, fournissent occasionnellement de nombreux détails picturaux accompagnés de légendes. La plus vieille carte du monde connue à ce jour a aussi été tracée dans l’argile.

Parmi les centaines de milliers de tablettes cunéiformes découvertes sur les sites du Proche- et du Moyen-Orient, la carte sans doute la plus ancienne représente la région de Gasur (plus tard connue sous le nom de Nuzi) et date du vingt-quatrième siècle av. J.-C. Cette carte inclut la région comprise entre les montagnes du Zagros et les environs de Kirkuk ; elle est encadrée par des montagnes à l’Est et à l’Ouest. Les deux cours d’eau figurent le Tigre et son affluent le Zab inférieur et les villes apparaissent sous la forme de cercles.

Reproduction au trait de la carte de Gasur (Nuzi, Iraq)Reproduction au trait de la carte de Gasur (à Nuzi, Iraq), tablette datant du milieu du IIIᵉ millénaire et conservée au Semitic Museum, Harvard University, Cambridge, États-Unis. (Esquisse de Carlo Denis via Wikimedia commons GNU FDL)

La carte découverte à Nippur, datée de l’époque médio-babylonienne (milieu du deuxième millénaire av. J.-C.), montre la ville religieuse et culturelle de manière assez précise et fidèle à la réalité ; elle est ceinte de ses remparts percés de sept portes. L’Euphrate coule à gauche, et plusieurs canaux bordent et traversent la ville. Cette carte a pu être mise en perspective avec les plans établis par les archéologues américains qui ont fouillé la ville.
Carte de Nippur et superposition de l’ancienne carte de Nippur sur le plan topographique moderne du site À gauche, carte de Nippur (collection Herman V. Hilprecht, Friedrich-Schiller Universität, Iéna, Allemagne) et, à droite, superposition de l’ancienne carte de Nippur sur le plan topographique moderne du site (dessin Augusta McMahon).

Une autre carte datant de la même période représente les terres agricoles des environs de Nippur. On y voit un canal sinueux d’où partent des canaux d’irrigation de diverses tailles permettant d’alimenter les champs en eau. Les cercles figurent des hameaux. Le champ au centre de la carte le champ appartient au palais, et celui juste au-dessus au dieu Marduk, principal dieu de Babylonie.
Carte agricole des environs de Nippur d’époque médio-babylonienne (Object CBS13885).Carte agricole des environs de Nippur d’époque médio-babylonienne (Object CBS13885. Courtesy of the Penn Museum, Philadelphia, États-Unis).

À une autre échelle, la Carte babylonienne du monde représente la surface de la terre telle qu’elle était imaginée au tout début du premier millénaire av. J.-C. La copie dont nous disposons, conservée aujourd’hui au British Museum, date du septième siècle av. J.-C. ; elle a été exhumée dans la ville de Sippar, et ne respecte ni les distances, ni les localisations relatives des entités géographiques représentées.

Sur la face de la tablette, la terre apparaît sous la forme d’un disque entouré d’un cercle d’une certaine épaisseur d’où rayonnent des triangles. Le disque central correspond au continent : depuis les montagnes du Taurus en haut, coule l’Euphrate qui fait un coude en traversant Babylone figurée par un rectangle. Le fleuve disparaît dans les marais après avoir alimenté le Shatt al-Arab, sorte de canal latéral. Sur la droite de Babylone de haut en bas sont dessinés des cercles représentants l’Urartu (Arménie), l’Assyrie et Dêr, et sur la gauche, Habban et le Bît Yakîn. La ville de Suse se trouve au sud des marais. La terre est entourée de l’océan au-delà duquel se trouvent des triangles matérialisant des terres éloignées et des îles imaginaires, dont l’une porte la légende suivante : « endroit où le soleil n’est pas visible » (nord).
Carte babylonienne du monde, Sippar, British Museum 92687Carte babylonienne du monde, Sippar, British Museum (92687) © The Trustees of the British Museum CC BY-NC-SA 4.0.

Le court texte mythologique de la face accompagnant cette carte relate les lieux lointains où se sont aventurés des héros légendaires tels Utanapištim, l’immortel Noé babylonien qui vit sur une île, le roi Sargon d’Akkad qui a franchi les limites du monde réel au cours de ses campagnes militaires et son adversaire, Nûr-Dagan, roi de Burušhanda, en Anatolie.

Le texte du revers, sans doute un ajout du copiste, a pour but d’expliquer en quoi consistent les régions sises au-delà de l’océan : des lieux au climat particulier où la flore est exubérante et la faune merveilleuse.

Non contents de s’exercer à la cartographie à différentes échelles, les habitants de Mésopotamie se sont également essayés à dessiner les constellations dans le ciel.  Un disque d’argile découvert à Ninive et datant du septième siècle av. J.-C. est divisé en huit parts, chacune contenant le dessin d’une ou deux constellations avec un texte magique.
Dessin du « planisphère » de Ninive, vers 650 av. J.-C., British MuseumDessin du « planisphère » de Ninive, vers 650 av. J.-C., British Museum (467620001) © The Trustees of the British Museum CC BY-NC-SA 4.0.

Toutes ces cartes suggèrent que les habitants du Proche-Orient ancien excellaient dans l’observation de leur environnement et de leur planète.

 

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