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Existe-t-il une surmortalité dans les maisons de retraite européennes ? C’est ce qu’affirme une récente étude de chercheurs en économie. Ce sinistre constat remet en question la qualité institutionnelle de ces établissements et révèle des disparités entre les pays.
Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par Aix-Marseille School of Economics.
La crise du Covid-19 a braqué les projecteurs sur les maisons de retraite lourdement impactées par la pandémie. En Europe, un taux de mortalité supérieur à la normale a été constaté dans ces établissements, pointant ainsi du doigt la vulnérabilité des systèmes de prise en charge de nos aînés.
Dans une étude publiée en janvier 2023, les chercheurs en économie Xavier Flawinne, Mathieu Lefebvre, Sergio Perelman, Pierre Pestieau, Jérôme Schoenmaeckers ont cherché à déterminer si la surmortalité constatée au sein des structures d’accueil et de soin des personnes âgées préexistait à la crise sanitaire, mais aussi à mettre en perspective les situations observées dans les différents pays européens.
Dans le cas où un lien entre la mortalité et le lieu de résidence des personnes âgées est avéré, il convient de déterminer les mécanismes sous-jacents et d’interroger la qualité des maisons de retraite. En outre, cette question coïncide avec la crise des Etablissements Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), qui a secoué la France début 2022, après les révélations de mauvais traitements, voire de maltraitance, subis par les pensionnaires de ces établissements.
Existe-t-il un lien de causalité entre le taux de mortalité et le lieu de résidence des personnes âgées ? Dans le cas où le lien est avéré, il convient alors de déterminer les mécanismes sous-jacents et de questionner la qualité des soins dispensés au sein des maisons de retraite. Une problématique qui rejoint celle qui a secoué la France début 2022, après les révélations de mauvais traitements, voire de maltraitance, subie par des pensionnaires d’EHPAD.
Une Europe vieillissante
Le « Vieux Continent » n’a jamais aussi bien porté son nom. En raison de l’allongement de l’espérance de vie et de la chute de la natalité, l’Europe affiche l’une des populations les plus vieillissantes du monde. La part des plus de 65 ans, aujourd’hui de 21 %, pourrait passer à 30 % d’ici 2050, selon les projections d’Eurostat. Conséquence directe de cette tendance, le nombre de personnes dépendantes ne cesse d’augmenter, faisant exploser la demande de soins de longue durée.
En réponse à cette vague grise, les maisons de retraite et leurs variantes médicalisées, les EHPAD, prolifèrent aux quatre coins du continent. Aujourd’hui en Europe, 6,5 % des personnes de plus de 65 ans en situation de dépendance sont concernées par ce type d’hébergement1. Toutefois, l’entrée en maison de retraite est en partie déterminée par des facteurs socio-économiques, médicaux et familiaux. Les personnes en couple ou ayant au moins un enfant, notamment une fille, sont moins susceptibles d’y résider. Par ailleurs, les personnes les plus éduquées et les plus aisées resteront davantage à leur domicile pour leurs vieux jours.
Des disparités régionales
Le choix d’entrée, ou non, en maison de retraite semble également dépendre de facteurs géographiques. En effet, la part des personnes âgées vivant en maison de retraite varie fortement selon les pays et les régions considérés. Ce taux est plus élevé dans les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale : 6,7 % en France, 11,6 % en Belgique et plus de 16 % au Luxembourg et au Danemark. À l’inverse, les pays d’Europe du Sud semblent moins tournés vers ce type d’établissements : seuls 1,8 % et 4,4 % des personnes âgées se trouvent dans cette situation, respectivement en Italie et en Espagne.
Ces disparités au sein même du continent européen résultent de normes culturelles et de politiques très diverses concernant le traitement des séniors2. Dans les pays d’Europe du Sud, l’esprit de famille est très fort et les familles sont souvent chargées de prendre soin de leurs aînés. L’aide apportée aux personnes âgées est donc moins institutionnalisée et davantage informelle. En revanche, au centre et au nord de l’Europe, les soins aux personnes âgées sont davantage considérés comme une responsabilité gouvernementale et sont donc délégués à des établissements spécialisés.
Surmortalité dans les structures d’accueil
Pour évaluer le lien de causalité entre le taux de mortalité et le lieu de résidence des personnes âgées, les chercheurs ont fondé leur étude sur un groupe d’individus aux caractéristiques similaires (âge, genre, degré de dépendance, état de santé, etc), afin d’éviter tout biais qui compromettrait le résultat. Ce faisant, ils sont arrivés à la conclusion suivante : les personnes résidant en maison de retraite ont 10,7 % de chance de mourir plus tôt que celles vivant à leur domicile.
Mais encore une fois, ce constat varie considérablement d’un pays à l’autre. La surmortalité en maison de retraite est davantage observée dans les pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord. Avec un taux de 3,9 %, la France fait bonne figure à côté de ses voisins européens. La surmortalité s’élève en effet à 9,2 % en Belgique, 20,5 % au Luxembourg et plus de 27 % en Allemagne et en Suisse. Dans les pays nordiques, la moyenne s’établit à 11,3 %. En revanche, concernant les pays d’Europe du Sud, à savoir l’Espagne et l’Italie, aucune corrélation entre le taux mortalité et la résidence en maison de retraite n’est constatée.
Les mécanismes à l’œuvre
Ces disparités quant au caractère mortifère des établissements d’accueil au sein même du continent européen soulèvent une question plus profonde quant à la considération et aux traitements des personnes âgées. Cette situation traduit des choix politiques et sociétaux en matière de soins de longue durée propres à chaque pays. En résultent de grandes divergences concernant la qualité des institutions dédiées au troisième âge, que cela soit en termes d’organisation, de gestion ou de financement.
En Europe centrale, les pays avec la surmortalité la plus élevée présentent tous certaines caractéristiques. D’abord, un faible niveau de dépenses publiques consacré au grand âge semble être associé à une forte mortalité en établissement. Le nombre de personnes encadrant les résidents des maisons de retraite coïncide également avec une espérance de vie inférieure dans ces établissements. Enfin, la surmortalité en maison de retraite est positivement corrélée à la part de structure à but lucratif ; ces derniers seraient donc associés à une qualité de soins médiocre. Néanmoins, aucune causalité entre la surmortalité constatée dans les maisons de retraite d’Europe du Nord et la qualité institutionnelle de ces établissements n’a pu être mise en évidence. Dans l’ensemble, les pays nordiques font état d’un haut niveau de dépenses publiques pour les soins de longue durée, d’un taux de personnel encadrant relativement élevé et d’une faible part du privé dans le secteur de la vieillesse.
Les pays au sein desquels aucune surmortalité n’est constatée, à savoir l’Espagne et l’Italie, sont ceux où la part des séniors résidant en maison de retraite est la plus faible. Ceci étant dit, ce fait ne peut être attribué aux caractéristiques de ces établissements, dans la mesure où les pays d’Europe du Sud dépensent peu dans ce domaine, ont un faible taux de personnel encadrant et une part du secteur privé relativement élevée. Ce constat paradoxal tient au fait que, comme expliqué précédemment, il s’agit de régions où les normes et traditions familiales sont très ancrées. Ainsi, la forte propension d’aide informelle pourrait venir compenser une qualité institutionnelle moindre.
Photo par Farbkombinat sur Adobe Stock
La question des établissements à but lucratif
Comme évoqué plus haut, un lien existe entre le pourcentage d’établissement à but lucratif et la surmortalité en leur sein. Pour autant, la part du secteur privé dans le domaine du grand âge ne cesse de croître à travers l’Europe. En France notamment, on observe ces dernières années une croissance explosive des établissements privés, qui représentent aujourd’hui 22 % des résidences pour séniors. À la tête de ces établissements, des groupes très puissants voient leurs profits exploser. À titre d’exemple, Orpea, leader mondial des EHPAD à but lucratif, a vu son chiffre d’affaires progresser de 9,2 % en 2021, pour atteindre 4,285 milliards d’euros. Cette évolution suscite des inquiétudes quant à la qualité des soins et à la prise en charge des résidents.
Ce constat fait écho aux révélations faites par le journaliste Victor Castanet en janvier 2022 dans son livre Les Fossoyeurs (Fayard). L’auteur y révèle les dessous du groupe Orpéa et dénonce les maltraitances subies par les résidents de ces établissements : les soins et l’hygiène sont négligés, les repas et les couches rationnés, le manque d’équipement et de personnel sont alarmants. De manière générale, V. Castanet décrit un système où les patients sont traités comme des clients, et dont l’unique ambition est d’améliorer la rentabilité de l’entreprise. Le 5 avril 2022, le gouvernement publiait un rapport d’enquête confirmant de « graves dysfonctionnements » au sein du groupe. « Le doute n’a pas sa place dans cette affaire », observait Olivier Véran, alors ministre de la Santé. De telles conditions de traitement corroborent les résultats des chercheurs et le constat d’une surmortalité au sein des EHPAD.
À travers leur étude, les chercheurs ont donc mis en évidence le fait qu’habiter en maison de retraite, plutôt que chez soi, augmente la probabilité de mourir plus tôt. Dans de telles conditions, « vieillir chez soi » serait l’option la plus sûre pour les personnes âgées. Toutefois, la surmortalité varie grandement d’un pays à l’autre en Europe, traduisant ainsi des choix institutionnels et des normes culturelles très divers en fonction des zones géographiques. Dans les cas où la surmortalité au sein des maisons de retraite est associée à la structure et à l’organisation de ces établissements, il y a matière à réforme quant à leur structure et leur organisation. Il convient enfin de surveiller l’évolution du secteur privé dans le domaine du troisième âge et de s’assurer que cette tendance ne soit pas associée à une moindre qualité de soins.
Référence
Flawinne X., Lefebvre M., Perelman S., Pestieau P., Schoenmaeckers J., 2023, « Nursing homes and mortality in Europe : Uncertain causality », Health Economics, 32(1), 134-154.
Sources
1. A. Börsch-Supan, M. Brandt, C. Hunkler, T. Kneip, J. Korbmacher, F. Malter, B. Schaan, S. Stuck, S. Zuber, 2013. "Data Resource Profile : The Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE) ". International Journal of Epidemiology, 42(4), 992‑1001.
2. K. Bolin, B. Lindgren, P.Lundborg,2008. "Informal and formal care among single-living elderly in Europe ". Health Economics, 17(3), 393-409.
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