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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Des interrupteurs moléculaires pour un stockage lumineux de l’information
22.08.2024, par Martin Koppe
Mis à jour le 22.08.2024

Certaines molécules changent, de façon stable et contrôlée, la couleur de la lumière qu’elles émettent à la manière d’un codage binaire. Ce phénomène, bien connu en optique classique, trouve son équivalent en optique non linéaire.

Les systèmes binaires, tels que ceux qui régissent l’informatique, reposent sur des matériaux et des signaux qui alternent de manière contrôlée entre deux états stables et distincts. Les électrons et leurs charges électriques jouent généralement ce rôle, mais d’autres candidats émergent des laboratoires.

Chargé de recherche CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes1, Julien Boixel explore par exemple l’interaction entre la lumière et les molécules. Il regarde en particulier comment la structure des molécules guide leurs propriétés optiques. Bien que ces travaux restent à un niveau très fondamental, ils visent à synthétiser des matériaux moléculaires pour la photonique, c’est-à-dire un équivalent de l’électronique où les photons auraient remplacé les électrons.

Les photochromes, véritables interrupteurs moléculaires
Pour cela, avec son équipe Julien Boixel se concentre sur de petites molécules organiques, pouvant également contenir des atomes comme le soufre ou le fluor, appelés photochromes. « Un photochrome change de structure moléculaire et de couleur lorsqu’il est soumis à une lumière d’une longueur d’onde précise, explique le chercheur. Cette transformation peut être stable et réversible, formant un véritable interrupteur moléculaire. Cette balance contrôlée entre deux états distincts fait que les photochromes sont des candidats potentiels pour du codage et du stockage de données binaires. »

Mais pourquoi regarder ailleurs quand l’électronique a déjà fait ses preuves ? La recherche espère en fait trouver des solutions moins énergivores et moins consommatrices de métaux. « Même si l’information transite par des fibres optiques, le stockage de l’information est surtout un stockage d’électrons, précise Julien Boixel. Or le flux d’électrons au travers de fils conducteurs et de circuits imprimés engendre inévitablement un échauffement par effet Joule. Au-delà de la perte d’énergie causée par cet échauffement, la nécessité de refroidir tout matériel de traitement et de stockage de données pose un réel problème. Replacer l’électron par le photon au sein de matériaux moléculaires pourrait être une solution. »

Photoluminescence linéaire  © Julien Boixel/ISCR
Photoluminescence linéaire  © Julien Boixel/ISCR

Le cas de l’optique non linéaire
Les matériaux émettent cependant de la lumière de plusieurs manières différentes, aux divers avantages et inconvénients. Dans le cas le plus simple, les photochromes émettent une lumière colorée par luminescence, qui est une libération d’énergie lente et progressive sous forme de photons. Le phénomène d’optique non linéaire au sein de matériaux moléculaires peut de son côté apparaître, en fonction de la structure de la molécule, lorsqu’ils sont traversés par une lumière intense, typiquement un laser.

La lumière est une onde électromagnétique, possédant donc une composante électrique et une composante magnétique. Dans le cas des lasers, la composante électrique est suffisamment intense pour perturber les matériaux moléculaires en créant une polarisation. L’intensité de la composante électrique du laser et la polarisation du matériau moléculaire interagissent généralement de manière proportionnelle. Pour certaines molécules, la réponse du matériau n’est plus proportionnelle, c’est là que l’on parle d’optique non linéaires. Ces configurations donnent accès à des phénomènes optiques aussi complexes que fascinants.

Photoluminescence non-linéaire  © Julien Boixel/ISCR
Photoluminescence non-linéaire  © Julien Boixel/ISCR

Fixer des molécules comme les poils d’une brosse
« Nous aurions pu rester au plus simple et nous contenter de la luminescence, mais nous visions une première mesure de seconde harmonique, un phénomène d’optique non linéaire particulier, stable dans le temps, qui s’allume et s’éteint à volonté sous le contrôle d’un faisceau lumineux», précise Julien Boixel. 
Pour générer une seconde harmonique, les molécules photochromes doivent être alignées à la manière des poils d’une brosse. En effet, l’absence de symétrie au sein du matériau moléculaire est une condition pour la génération de seconde harmonique. Or les molécules sont distribuées aléatoirement une fois synthétisées. La solution classique pour bien les ranger consiste à leur appliquer un fort champ magnétique, mais cette approche est contre-productive dans un contexte où l’on souhaite économiser de l’énergie. À la place, Julien Boixel met toutes les molécules dans la bonne position en les ancrant à une surface, qui doit être la plus plane possible pour ne pas interférer avec les phénomènes d’optique non linéaire.

L’ancrage à la surface s’opère par chimie « click », une méthode bien connue des chimistes qui assemble directement deux molécules sans émettre de produit secondaire. Il n’y a donc rien à enlever une fois l’assemblage réalisé.

Vers davantage d’intensité lumineuse
Le chercheur parvient alors bien à obtenir un comportement photochrome en optique non linéaire, avec un signal stable qui change selon le stimulus lumineux. « Pour l’instant, nos secondes harmoniques n’offrent un écart d’intensité que de 15 % entre les états on et off, tempère Julien Boixel. Le signal reste ainsi dans la marge d’erreur des instruments de détection, et nous ne pouvons pas encore coder et stocker de données binaires avec. Il reste encore beaucoup de paramètres à optimiser, de la structure des molécules à la photophysique même de la mesure. »

Mais pas de quoi freiner le chercheur, qui compte pousser le design moléculaire pour améliorer le signal. Julien Boixel compte également l’amplifier en accumulant les couches de matériaux, ce qui est difficile à faire tout en gardant l’alignement des molécules. De quoi rapprocher progressivement ces systèmes d’un véritable interrupteur moléculaire à la lumière bien définie.

Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet Matériaux moléculaires fonctionnels tout optiques – PhotoControl – AAP 2018-2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).
 

Notes
  • 1. ISCR, Unité CNRS/Univ. Rennes/ENSC Rennes/INSA Rennes

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