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Les génomes de tous les organismes hébergent des parasites appelés éléments transposables, des fragments d'ADN capables de se déplacer d'une région à une autre du génome. Lorsqu’ils sont actifs, ils menacent l’intégrité des génomes en causant des mutations. À la manière des anticorps chez les mammifères, les drosophiles disposent d’une arme de défense, l’interférence ARN, qui permet à la fois de neutraliser ces éléments transposables et de se défendre contre les infections virales.
Mais que se passe-t-il lorsque les individus sont soumis à ces deux assaillants en même temps ? L’une des lignes de défense prend-elle le pas sur l’autre ? Pour répondre à cette question, des scientifiques du Laboratoire de biométrie biologie évolutive* utilisent la drosophile pour étudier ces conflits génomiques et leurs conséquences évolutives.
Photos © Simon Bianchetti / LBBE / CNRS Images
Drosophila melanogaster et son espèce sœur Drosophila simulans s’élèvent facilement et rapidement en laboratoire (les générations se renouvellent toutes les deux à trois semaines), dans des tubes contenant le milieu permettant à la fois leur alimentation, la ponte des œufs et le développement des larves. Ce milieu nutritif est préparé à base de farine de maïs, d’agar et d’extraits de levure.
Les drosophiles sont des organismes ectothermes (elles ne produisent pas de chaleur interne, leur température dépend des sources extérieures de chaleur). Les placer au froid ralentit leur activité, jusqu’à les endormir, permettant ainsi une manipulation facile.
Les drosophiles endormies sont ensuite triées sous une loupe binoculaire pour différencier les femelles des mâles. La distinction se fait notamment au niveau de l’abdomen : celui des femelles est rond et clair tandis que celui des mâles est allongé et plus foncé. Les expérimentations et les analyses sont réalisées séparément chez les mâles et les femelles car les mécanismes de contrôle des éléments transposables sont différents.
Du dioxyde de carbone est injecté dans les tubes contenant les drosophiles afin de les anesthésier, en vue de l’étape d’infection virale. Le contrôle du débit de l’anesthésiant est réalisé à l’aide d’une pédale à pied. Ce dispositif expérimental permet une manipulation plus fine des drosophiles, requise pour la délicate étape d’infection virale.
Les ARN interférents sont l’arme de la drosophile contre les virus. L’analyse des ARN interférents produits par la drosophile lorsqu’elle est en contact avec un virus va révéler des informations sur les mécanismes de luttes contre ce type d’attaque. Les infections virales sont réalisées en piquant les drosophiles avec une aiguille très fine, plongée au préalable dans une solution contenant le virus. Les drosophiles sont ensuite replacées dans leur tube d’élevage et se réveillent rapidement après l’injection.
Au bout de quelques jours, les drosophiles infectées prennent une coloration iridescente, reflétant la propagation du virus. Les ovaires des femelles (gros sacs blanchâtres contenant les œufs) sont ensuite disséqués pour être analysés séparément. Leur étude présente un intérêt particulier en évolution car ces organes contiennent le matériel génétique et épigénétique de la génération suivante.
Afin de surveiller l’évolution de l’infection virale dans une même lignée de drosophiles et mesurer la quantité de virus présente, une PCR – technique d’amplification ciblée d’un segment d'ADN (ici le génome du virus) – est réalisée.
Les ARN interférents des drosophiles infectées sont extraits, en vue d’une étape de séquençage haut débit. Cette méthode permet de détecter toutes les molécules d’ARN interférents produites par la drosophile, qu’ils lui permettent de se défendre contre les virus pathogènes ou contre les éléments transposables. L’analyse des séquences correspondantes révèle comment la drosophile lutte simultanément contre ces deux menaces.
De par leur taille immense, l’analyse des données de séquençage récoltées demande de grandes ressources informatiques, ce qui est possible grâce à une plateforme (LBBE / PRABI-AMSB Plateforme d’analyse et modélisation des systèmes biologiques) qui propose une mise à disposition de moyens de calcul et de stockage pour la bio-informatique.
L'analyse statistique des résultats permet d'établir l'impact des infections virales sur le contrôle des parasites génomiques (éléments transposables), et ainsi sur la stabilité des génomes. Ces résultats ouvrent de grandes perspectives sur une compréhension fine des interactions entre génome, éléments transposables et virus, et suggèrent de potentielles applications dans le suivi des populations d’insectes vecteurs de virus pathogènes.
Découvrez le reportage photos complet « L'interférence ARN, l'arme de protection naturelle des drosophiles contre les conflits génomiques » sur la médiathèque du CNRS.
*Le Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive (LBBE) est une unité CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Vetagro Sup.
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-TEMIT-AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18/19).