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Les mousses liquides sont des réseaux de bulles connus pour leurs propriétés complexes d'écoulement. L’étude du rôle des aspérités sur leur écoulement pourrait, à terme, permettre d’obtenir des réductions énergétiques dans le transport des mousses liquides. C’est l’objectif du projet AsperFoam, mené au Laboratoire de physique des solides1 à Orsay et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Même si cela ne semble pas évident au premier abord, les mousses sont omniprésentes dans les objets du quotidien : qu’elles soient cosmétiques avec l’exemple de la mousse à raser, ou alimentaire comme la mousse au chocolat, elles sont également utilisées dans le BTP notamment pour leurs caractéristiques d’isolation thermique ou phonique. Une meilleure compréhension des propriétés des mousses, et notamment de leur écoulement, ouvre ainsi un large champ d’applications potentielles, dont celui de leur transport.
Pour étudier la déformation de la mousse, dans le cadre du projet AsperFoam, les scientifiques mènent leurs recherches sur de la mousse de liquide vaisselle, un type de mousse proche de celle utilisée pour l’extinction d’incendie.
Pour l’étudier, ils cisaillent la mousse en la plaçant entre deux surfaces, qui sont déplacées l’une par rapport à l’autre. « Sauf que, sur bon nombre d’objets de la matière molle, la condition entre le matériau que l’on cisaille – donc ici la mousse – et ces surfaces est extrêmement importante parce qu’il peut y avoir différents types de comportements à cette interface. Par exemple, si l’on utilise des surfaces lisses, la mousse va glisser, explique François Boulogne, chercheur CNRS au LPS et coordinateur du projet. Ce ne serait donc pas les propriétés de la mousse qui seraient sondées, mais celles de l’interface de la mousse avec le solide. Ce qui pose problème. »
Description de deux comportements de l’écoulement de la mousse
Pour éviter ce glissement, la pratique historique consiste à texturer les surfaces, généralement avec du papier de verre, afin que les rugosités fournissent des points d’accroche à la mousse et évitent donc son glissement. C’est là qu’intervient le travail mené par l’équipe de François Boulogne, pour aboutir à une meilleure compréhension du rôle de ces rugosités.
Dans le cadre d’une thèse débutée en 2017, les scientifiques ont cherché à fabriquer leur propre papier de verre, en achetant des billes de verre, afin d’être en mesure de changer la taille des rugosités. Ces travaux ont permis de décrire deux comportements de l’écoulement de la mousse.
Premièrement, avec des grandes rugosités, la mousse va en effet adhérer à la surface, ce qui permet bien de provoquer une déformation dans le volume de mousse. Deuxièmement, pour des rugosités plus petites, « on va avoir un mouvement de collé-glissé – « stick-slip » en anglais – qui n’est pas réellement un glissement mais un déplacement saccadé avec des films de savon qui s’accrochent aux rugosités puis se décrochent, puis s’accrochent de nouveau, etc », décrit le chercheur du LPS. Un mouvement qui était jusque-là « peu observé sur les mousses », apprécie Emmanuelle Rio, enseignante-chercheuse Université Paris-Saclay au LPS.
Cette thèse a également permis aux chercheurs de se rendre compte que la taille des rugosités devait être observée au regard de la taille du rayon du bord de Plateau – le canal de liquide qui se trouve à la jonction de trois bulles de savon – et non de la taille des bulles.
Mais l’utilisation de billes de verre présente un certain nombre d’inconvénients, détaille François Boulogne : « il faut les coller sur la surface, mais nous contrôlons mal la façon dont elles sont collées car la disposition est aléatoire. De plus, elles sont de tailles hétérogènes donc nous n’avons n’a pas une taille unique pour décrire ces surfaces. »
Le point de départ du projet AsperFoam était donc de parvenir à fabriquer des surfaces à rugosité contrôlée. Pour cela, les scientifiques ont décidé d’utiliser comme matériau un élastomère : le PDMS, qui est un gel en silicone. « Sur la surface, à la place des billes, nous voulions créer des rugosités (qui prennent la forme de parallélépipède rectangle de quelques dizaines de micromètres, appelés plots, Ndlr) dont nous contrôlons les différentes longueurs : la hauteur et la largeur des plots, ainsi que leur espacement », explique Alexis Commereuc, doctorant CNRS au LPS, qui mène sa thèse sur ce sujet.
Vue de côté d'une lame de verre d'un millimètre d'épaisseur dont la surface supérieure est recouverte de billes de verre en violet. Cette lame se trouve dans une mousse sèche monodisperse, caractérisée par la forme polyédrale des bulles. © S. Guichard et M. Marchand
Pour fabriquer cette surface, l’équipe de scientifiques utilise une technique de lithographie optique, qui permet de rendre solide une résine en l’exposant à de la lumière. « Dans la mesure où nous voulons obtenir des plots en relief, nous allons faire des trous en négatif dans cette résine en illuminant de manière très précise toute sa surface sauf aux endroits précis où l’on souhaite avoir des trous, détaille Alexis Commereuc. Ensuite, en trempant cette résine dans un solvant, nous pouvons enlever tout ce qui n’a pas été illuminé. » Cette résine obtenue va servir de moule, dans lequel les scientifiques vont faire couler le PDMS. Ce dernier va se solidifier au bout de plusieurs heures et permettre ainsi d’obtenir une surface dont toutes les caractéristiques sont contrôlées.
« Le défi était de réaliser des surfaces bien contrôlée sur une échelle décimétrique, souligne François Boulogne. Pour vous donner un ordre de grandeur, il faut bien voir que chaque petit plot mesure entre 50 à 100 microns. Ce n’était pas gagné d’avance. » L’équipe d’AsperFoam est donc parvenu à maîtriser parfaitement la production de ces surfaces texturées et a entrepris la caractérisation de la friction de ces surfaces.
Côté applicatif, ces travaux pourraient s’avérer intéressants notamment dans tous les procédés industriels qui nécessitent du transport de mousses, utilisant par exemple des conduites ou des injecteurs pour déposer de la mousse dans un moule. « Vu que nous parvenons à réduire la friction pour le déplacement d’une mousse juste en texturant la surface d’un solide, cela réduit l’énergie nécessaire pour déplacer une mousse, de 30% dans certaines conditions, indique le coordinateur du projet. Cela nous paraît donc intéressant à une époque où il faut réfléchir à la consommation énergétique et la réduire. »
Comment les scientifiques observent le comportement de la mousse ?
L’expérience de l’équipe d’AsperFoam consiste à placer un mélange de liquide vaisselle et d’eau dans un réservoir. Au fond de ce réservoir, des aiguilles injectent de l’air, ce qui permet de générer des bulles qui vont s’assembler pour former une mousse au-dessus du réservoir.
Les scientifiques vont ensuite insérer la surface texturée dans la mousse à vitesse constante afin de mesurer la résistance mécanique subit par cette surface. Cette mesure est effectuée grâce à un capteur de force et en observant la mousse avec de la microscopie de fluorescence, qui permet d’observer avec un très bon contraste les bords de Plateau.
Ces deux mesures permettent ainsi d’observer le comportement de la mousse, notamment à l’interface de la surface texturée fabriquée dans le cadre du projet AsperFoam.
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1 LPS (CNRS/Université Paris-Saclay)
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