Donner du sens à la science

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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Quelle chimie bleue pour les algues brunes ?
29.09.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 29.09.2025

Les algues brunes renferment une chimie complexe, riche en molécules d’intérêt pour l’industrie nutraceutique, dédiée aux « aliments santé », cosmétique et pharmaceutique. Depuis Roscoff, une équipe perce les secrets de leur biosynthèse pour avancer vers de nouvelles applications.

Courantes sur nos littoraux, les algues brunes forment une famille appelée les phéophycées. Elles suscitent de plus en plus d’intérêt pour la recherche du fait des nombreux composés chimiques qu’elles contiennent. Des molécules pour lesquelles on ne comprend pas encore les mécanismes de biosynthèse, malgré l’importance qu’elles pourraient avoir dans l’économie bleue, qui repose sur les richesses de la mer. L’espèce Saccharina latissima compte parmi les plus exploitées.

« J’étudie les grandes algues brunes que l’on retrouve sur nos côtes, et plus particulièrement les sucres qu’elles produisent, se présente Cécile Hervé, directrice de recherche CNRS à la Station Biologique de Roscoff1Ces sucres, ou polysaccharides, sont par exemple des alginates, déjà employés en tant qu’hydrocolloïdes naturels dans l’industrie agro-alimentaire, et des fucanes au fort potentiel bioactif, mais paradoxalement peu exploité car on connaît encore très mal ces molécules. »

Ces sucres, qui représentent jusqu’à 40 % de la masse sèche des algues brunes, remplissent de nombreuses fonctions au sein des phéophycées, mais on ignore comment ils sont synthétisés. La connaissance de ces réactions est pourtant essentielle si l’on veut reproduire ces polysaccharides en laboratoire ou en optimiser la production naturelle. Le phénomène doit être compris à plusieurs niveaux : celui des gènes, des enzymes ou encore des cellules.

Des gènes aux enzymes

L’équipe constituée par Cécile Hervé a donc analysé les génomes récemment séquencés de plusieurs espèces d’algues brunes, avant d’aller regarder dans les cellules quelles protéines pourraient être impliquées dans la synthèse de ces sucres. Les chercheurs ont notamment employé des méthodes de fractionnement subcellulaire, des techniques qui consistent à détruire la membrane plasmique, à désorganiser la cellule puis à en séparer les différents compartiments cellulaires par ultracentrifugation.

« C’est une approche ultime, affirme Cécile Hervé. À partir des gènes et des protéines identifiées, nous pourrons isoler et produire des enzymes directement au laboratoire afin de caractériser finement leur activité. Nous saurons ainsi quels sucres sont synthétisés, et de quelle manière. »

L’équipe a pour cela dû annoter le génome de plusieurs espèces d’algues, puis a procédé à un premier élagage. Le fractionnement subcellulaire a montré des liens entre des fucanes et les protéines soupçonnées d’être impliquées dans leur synthèse, ce qui a permis de réduire le nombre de candidats. Il a alors été plus facile d’identifier les enzymes potentiellement responsables de la synthèse de fucanes, un certain type de glycosyltransférases.

Des articles publiés et en cours

« Les glycosyltransférases en question sont localisées dans l’appareil de Golgi de la cellule, un organite que l’on retrouve dans toutes les cellules eucaryotes, c’est-à-dire celles comportant un vrai noyau, explique Cécile Hervé. Le fractionnement subcellulaire nous a permis d’isoler et de récupérer cet appareil de Golgi. On a aussi repéré des glycosyltransférases ailleurs dans la cellule, mais ces dernières ont d’autres fonctions que la synthèse de ces polysaccharides. »

L’annotation de l’ensemble des gènes de plusieurs espèces d’algues brunes a permis la publication de deux articles scientifiques. D’autres découvertes sont en cours de rédaction, notamment sur la présence de glycosyltransférases dans des compartiments cellulaires comme l’appareil de Golgi et la sélection d’autres candidats potentiels dans la synthèse de polysaccharides. Des travaux ont également été menés avec succès, dans le cadre d’une thèse, sur la production de protéines en laboratoire.

Pour y parvenir, Cécile Hervé a réuni de nombreux chercheurs et chercheuses autour d’elle, avec des chimistes à l’Institut des sciences chimiques de Rennes2, des biologistes du Laboratoire de biologie intégrative des modèles marins3, des scientifiques pour l’identification de protéines par spectrométrie de masse à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail4, et des spécialistes de la bio-informatique du laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques5.

Vers les applications

Si les applications sont encore loin, ces nouvelles connaissances nous en rapprochent. « Il y avait d’abord un premier volet purement fondamental sur la compréhension des voies métaboliques des polysaccharides, car, à ce niveau-là, on avait vraiment un gros trou dans la raquette, note Cécile Hervé. Les fucanes restent assez peu exploités aujourd’hui, on en retrouve parfois dans des extraits d’algues utilisés pour des cosmétiques et de la nutraceutique. Pourtant, du point de vue académique, une littérature scientifique pléthorique montre des activités anticancéreuses ou antivirales par exemple, mais nous sommes confrontés à un véritable verrou d’étranglement qui empêche de passer le stade des essais cliniques. En effet, les polysaccharides sont très complexes à purifier. Ce sont des molécules extrêmement hétérogènes, il est difficile de faire la relation entre la structure d’un polysaccharide et son activité biologique. Or, pour envisager des débouchés thérapeutiques, il faut accéder à une structure bien définie. L’objectif serait, à très long terme, de pouvoir synthétiser ces molécules directement en laboratoire. »

Ces travaux ont en tout cas permis de faire un grand pas en avant vers une meilleure connaissance des fucanes et de la chimie impliquée. De quoi accélérer le développement de futures applications.

Algues brunes cultivées en laboratoire © Cécile Hervé, Station biologique de Roscoff (SBR, CNRS/Sorbonne Université)
Algues brunes cultivées en laboratoire © Cécile Hervé, Station biologique de Roscoff (SBR, CNRS/Sorbonne Université)

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Biosynthèse des polysaccharides de paroi chez les algues brunes : criblage d’activités glycosyl transférases – BrownSugar ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2020).

 

Notes
  • 1. SBR, CNRS/Sorbonne Univ.
  • 2. ISCR, CNRS/ENSC Rennes/Univ. Rennes
  • 3. LBI2M, CNRS/Sorbonne Univ.
  • 4. IRSET, Inserm/Univ. Rennes/EHESP
  • 5. AFMB, Aix-Marseille Univ./CNRS