Donner du sens à la science

A propos

À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Pour en savoir plus, lire l'édito.

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Par le réseau de communicants du CNRS

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Sécurité sanitaire des aliments : physiciens et biologistes alliés pour venir à bout des bactéries
30.05.2024, par Sophie Blitman
Mis à jour le 21.05.2024

Améliorer l’hygiène dans l’industrie agroalimentaire et donc renforcer la sécurité sanitaire des aliments des populations : cet enjeu sociétal de taille est au cœur d’un projet de recherche interdisciplinaire, à la croisée de la mécanique des fluides et de la microbiologie. Cinq années de collaboration ont permis d’aboutir à des résultats concluants aux niveaux à la fois théorique et pratique, pour développer des procédures de nettoyage plus efficaces et plus respectueuses de l’environnement.

Alors que les préoccupations des citoyens autour de la santé publique s’expriment aujourd’hui haut et fort dans la société, notamment à cause de nombreuses épidémies d’origine alimentaire liées à des surfaces d’équipements contaminées par des pathogènes, l’industrie agroalimentaire se retrouve face à de nombreux défis d’hygiène. Dont celui de nettoyer plus efficacement ses lignes de production. Or, il n’est pas toujours facile de détacher les micro-organismes qui se sont déposés sur une surface, même en utilisant des détergents spécifiques, car certaines bactéries se développent sur tous types de matériaux et résistent à un nettoyage intensif.

Soucieuses de faire avancer le sujet, des équipes de chercheurs ont déposé un dossier qui a été retenu et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) de 2019 à 2024 : baptisé FEFS (Fluid Engineering for Food Safety), ce projet met la mécanique des fluides au service de la sécurité alimentaire.

L’objectif ? Proposer des solutions innovantes pour améliorer le nettoyage et réduire le risque de contamination. Pour cela, il s’agissait d’une part d’identifier les conditions dans lesquelles le nettoyage est efficace et, d’autre part, de mieux comprendre les interactions entre les bactéries et les surfaces sur lesquelles elles se développent, en particulier au moment du séchage de ces surfaces.
Dépôts bactériens sur une ligne de lavage de salade
Dépôts bactériens sur une ligne de lavage de salade. © UMET-INRAE / ANR FEFS

Un projet interdisciplinaire

Coordonné par Farzam Zoueshtiagh, professeur des universités et chercheur en mécanique des fluides à l’Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie (IEMN), le projet FEFS s’appuie sur la collaboration entre sept laboratoires et un industriel qui travaillent dans une perspective interdisciplinaire[1].

Associer des compétences en mécanique des fluides et en microbiologie a en effet permis d’avancer à la fois sur la compréhension théorique et la modélisation des phénomènes en jeu, et sur le développement de nouvelles techniques et de solutions concrètes.

Large spectre de recherche
© IEMN / ANR FEFS

Des résultats théoriques concluants et des applications concrètes

L’attention des chercheuses et chercheurs s’est concentrée sur la ligne de contact triple entre la surface à nettoyer (solide), le produit utilisé (liquide) et l’air ambiant (gazeux). À l’issue de cinq ans de travail, les équipes sont arrivées à la conclusion que les conditions de séchage jouent un rôle majeur sur les forces d’interaction entre particules et matériaux et par conséquent sur la plus ou moins grande résistance des bactéries au nettoyage.

Elles ont notamment démontré que, selon le type de surface utilisée, mais aussi selon la manière dont une particule sèche sur cette surface, celle-ci peut emprisonner sous elle une microbulle d’air : un résultat important pour comprendre les forces d’interaction en jeu, et notamment la force de décrochement du dépôt de bactérie. Ainsi, pour diminuer les risques de contamination, il ne suffit pas d’agir sur les propriétés du matériau de la surface et d’intervenir au moment du nettoyage : l’historique, et donc le séchage, a son importance. De manière assez contre-intuitive, les derniers résultats montrent qu’un séchage prolongé mais à basse température se révèlerait plus efficace pour éliminer des saletés.

Autre résultat important : la mise en évidence de vortex en forme de fer à cheval qui s'enroulent autour de micro-piliers, en l'absence même d'inertie du fluide à ces échelles. Ce phénomène est similaire aux tourbillons qui se forment autour des piliers de pont, bien que ces derniers nécessitent des vitesses élevées des écoulements fluviaux. L’étude de ces vortex permet de mieux comprendre des phénomènes d’écoulement complexes et ouvre la voie à des applications intéressantes à petites échelles, telles que l'utilisation de ces vortex pour réaliser des mélanges de liquides qui sont difficiles à obtenir à des échelles micrométriques.

En plus de constituer une avancée en mécanique des fluides fondamentale, cette découverte ouvre des perspectives pour développer de nouvelles solutions de nettoyage, dans l’agroalimentaire mais pas seulement : travailler dans un environnement propre est en effet nécessaire dans d’autres domaines, comme ceux des microprocesseurs et des batteries mais aussi bien sûr dans le milieu médical…

Etude numérique de la dynamique de la ligne de contact autour des micro-objets

Étude numérique de la dynamique de la ligne de contact autour de micro-objets. © Tokyo University of Sciences / ANR FEFS

Les équipes du projet FEFS ont par ailleurs démontré l’intérêt d’utiliser des mousses pour le nettoyage, plutôt que des produits liquides : plus efficaces, elles ont aussi un impact environnemental bénéfique puisqu’elles permettent de consommer 5 fois moins d’énergie et jusqu’à 12 fois moins d’eau et de détergent que de produits de nettoyage conventionnels.

Autant de conclusions qui intéressent les entreprises : « Nous sommes sollicités par des industriels pour présenter nos résultats », se félicite Christine Faille, directrice de recherche à INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), spécialiste des interfaces entre bactéries et surfaces dans les agro-industries.

Un travail minutieux et chronophage

Au cours de leurs travaux, les chercheurs et chercheuses ont par ailleurs été amenés à développer des techniques innovantes, qui participent également à la réussite du projet. Ainsi, pour mesurer la force de décrochement, les scientifiques ont détourné la technique du patch-clamp, habituellement utilisée en physiologie cellulaire.

Concrètement, le principe est celui de la pompe à vide : « on approche une micropipette (diamètre interne proche de 0,5 µm) de la particule (microbille ou spore bactérienne) que l’on souhaite décrocher, on applique une pression négative puis on l’éloigne à l’aide d’un micromanipulateur motorisé et on observe le décrochement éventuel de la particule. Si la particule n’est pas décrochée, des pressions négatives croissantes sont appliquées à la même particule jusqu’à surmonter les forces d'interaction entre celle-ci et le substrat, décrit Christine Faille. Le tout, bien sûr, sous microscope puisque ces particules mesurent environ 2 microns, soit 2 millièmes de millimètres. Cela suppose de fabriquer et de calibrer des pipettes au fur et à mesure de ces expériences très minutieuses, qui nécessitent d’être répétées sur de nombreuses microbilles/spores pour prendre en compte la variabilité des forces d’interaction, même au sein d’une population de particules.

Expérience utilisant la technique du patch-clam
Expérience utilisant la technique du patch-clam. © IEMN et Phycell / ANR FEFS

Les scientifiques recueillent alors des données en faisant varier les conditions environnementales (microbilles de différentes tailles, séchage plus ou moins long à différentes températures et taux d’humidité…) afin d’identifier les paramètres affectant les forces d’interaction. Or, cette haute technicité est extrêmement chronophage ! Il faut en effet deux ou trois jours pour collecter une trentaine de données permettant d'évaluer la force de décrochement d'un type de particule dans une situation donnée, par exemple pour une durée, une température et un taux d'humidité spécifiques. Mais petit à petit, les résultats prennent forme.

La fin du financement ANR, mais pas la fin du projet !

Satisfait du projet qui a donné lieu à près d’une cinquantaine de publications et communications, Farzam Zoueshtiagh souligne « l’importance de la collaboration entre les différentes équipes de recherche », sans laquelle, dit-il, « nous n’aurions pas pu obtenir de tels résultats ». En outre, cette collaboration s’est structurée au fil du projet : « chaque équipe s’est spécialisée au cours de ces cinq années de travail, explique-t-il. De plus, la connaissance des savoirs et savoir-faire de chacun devrait encore fluidifier les relations ». Car il ne fait aucun doute, pour le chercheur, que la collaboration va se poursuivre : « dans ce travail interdisciplinaire, les résultats obtenus ont accru la motivation de nombreux partenaires qui continueront à travailler ensemble dans les années à venir ».

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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l'appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour le projet FEFS des appels à projets génériques 2018-2019.

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[1] Liste des partenaires du projet :
- IEMN (Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie) : CNRS – Université de Lille (UMR 8520)
- UMET (Unité Matériaux et Transformations) : INRAE - Université de Lille
- Phycell (Laboratoire de physiologie cellulaire) : Inserm - Université de Lille (U1003)
- FAST (Fluides, Atomique et Systèmes Thermiques) : CNRS - Université Paris-Saclay (UMR 7608)
- InPhyNi (Institut de Physique de Nice) : Université Côte d’Azur
- Département de génie chimique de l’université de Floride
- Département d'ingénierie mécanique de l’université de Science de Tokyo
- APERAM (industrie)

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