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Une des caractéristiques les plus remarquables du cerveau humain est la présence de plis. Se formant avant la naissance, ils sont visibles depuis sa surface externe. Ces plis sont propres à chacun, tout comme nos empreintes digitales. Comprendre leur formation est donc l’une des clefs pour détecter les troubles du développement cérébral précoce... Bienvenue dans la médecine de demain !
Avec ses 1 200 cm3 de matière grise en moyenne, le cerveau humain est un organe fascinant et d’une grande complexité. En particulier, son enveloppe externe, le cortex, reçoit de tout l’organisme des informations sensorielles sur l’environnement et l’intérieur du corps, qu’il traite et associe pour s’adapter en permanence et prendre des décisions qui se traduisent par des actions motrices (parole, mouvements...). Avec ses 100 milliards environ de neurones connectés, le cortex est donc une incroyable machine à traiter de l’information, à produire des pensées et à manipuler des concepts.
Les plis permettent de 30 à 40 % d’augmentation de surface corticale
Une des caractéristiques les plus remarquables du cortex cérébral humain, qui le distingue des autres espèces, est la présence de nombreux plis qui recouvrent sa surface, dus à des sillons formés dans la matière grise et dont la profondeur varie entre 10 et 20 mm dans le cerveau adulte. Ces plis augmentent considérablement la surface de cortex disponible pour les connexions neuronales, d’environ 30 à 40 %, permettant ainsi une plus grande capacité cognitive. À partir d’un cortex initialement lisse avant la 20e semaine de gestation, ces plis se forment jusqu’à la naissance entrainant un changement profond de la forme du cerveau. À la naissance, les plissements du cortex sont propres à chaque individu, au même titre que ses empreintes digitales.
Étapes de formation des plis, à différents stades de développement du cortex cérébral. En gris les zones superficielles, en bleu les zones profondes et les points les plus profonds « sulcal pits » en rouge. © Guillaume Auzias
Dans le cadre du projet SulcalGrids, l’équipe coordonnée par Guillaume Auzias (Institut de neurosciences de la Timone à Marseille - AMU/CNRS), propose de nouveaux outils pour décrire la formation de ces plis au cours du développement pré-natal et mieux comprendre l’origine des variations inter-individuelles : « Ces questions sont centrales en neurosciences et ont de fortes retombées médicales. L’objectif est, entre autres, d’identifier les anomalies anatomiques ou fonctionnelles du développement cortical associées à certains troubles neurologiques, et définir ainsi des biomarqueurs pouvant jouer un rôle décisif dans le diagnostic de ces pathologies. Même si nous n’en sommes qu’aux étapes de compréhension scientifique des processus, on peut espérer à long terme que la détection très précoce de telles anomalies, in utéro, permette une meilleure prise en charge des pathologies ».
Les sulcal pits, des indicateurs très pertinents de comparaison entre individus
Pour percer ainsi les secrets du développement cortical précoce, l’équipe marseillaise s’intéresse depuis plusieurs années à des marqueurs géométriques appelés « sulcal pit » : « Il s’agit du point le plus profond de chaque sillon du cortex cérébral, à partir duquel se forment les plis. Les « sulcal pits », au nombre de 80 à 100 par hémisphère chez l’adulte, se mettent en place très tôt au cours du développement, sous influence de facteurs génétiques et biomécaniques. Cela en fait des indicateurs particulièrement pertinents pour la comparaison entre individus », poursuit le chercheur.
Visualisation de la « profondeur sulcale » obtenue avec les algorithmes développés dans le cadre du projet SulcalGrids. En rouge, les zones superficielles, en bleu les zones profondes. © Guillaume Auzias
En 2016 déjà, l’équipe pluridisciplinaire a identifié grâce à cette approche un marqueur cérébral spécifique de l'autisme, détectable par imagerie par résonance magnétique (IRM) dès l'âge de deux ans. À partir de résultats d'IRM, les chercheurs avaient ainsi observé les sulcal pits chez 102 jeunes garçons âgés de 2 à 10 ans, classés en trois groupes (enfants atteints d'autisme typique, enfants atteints de trouble envahissant du développement non spécifié et enfants dépourvus de troubles du spectre autistique). En comparant les trois groupes, ils avaient montré que la profondeur maximale d'un sillon situé dans l'aire de Broca (une région connue pour être impliquée dans le langage et la communication), était moindre chez les enfants atteints d'autisme par comparaison aux deux autres groupes.
Proposer un nouveau modèle du développement cortical
Dans le cadre de Sulcalgrids, les chercheurs proposent désormais un nouveau modèle spatio-temporel du développement cortical. Pour cela, l’équipe coordonnée par Guillaume Auzias a développé un algorithme qui permet d'extraire les « sulcal pits » à partir d’imageries médicales obtenues à tous les stades du développement et permettant de fournir des informations fines sur la localisation et la dynamique d‘émergence des sillons. « Nous voulons d’abord préciser l'organisation spatio-temporelle des sulcal pits pendant le développement normal du cerveau, chez le fœtus et les jeunes enfants. Puis, nous étudierons les liens entre cette géométrie particulière et la maturation des connexions neuronales. Pour cela, nous évaluerons les perturbations induites par des pathologies du développement cérébral connues pour affecter à la fois la forme du cortex et les faisceaux de fibres axonales sous-jacentes. Cela permettra de mieux interpréter les potentielles anomalies de plissement par rapport à d'éventuels déficits fonctionnels post-nataux comme l’agénésie du corps calleux et les troubles du spectre autistique », détaille le chercheur qui souligne l’importance cruciale de l’implication des médecins du service de neuroradiologie diagnostique et interventionnelle de l’hôpital de La Timone dans le cadre de ce projet.
Pour atteindre cet objectif très ambitieux, les chercheurs bénéficient en effet d’une source d’informations précieuse et unique au monde : plus de 1 000 IRM de fœtus acquises depuis 2008 dans les services de l’APHM, en cas de suspicion d’anomalie du développement précoce lors des examens échographiques systématique de suivi de grossesse. ... Parmi ces imageries qui concernent des embryons entre 20 et 40 semaines de gestation (toute la période où se développent justement les plis), on trouve des cerveaux effectivement porteurs de malformations (60 % environ), mais aussi d’autres qui en sont exempts, ce qui représente un fort intérêt en termes de comparaison possible. « Les algorithmes informatiques que nous développons nous permettent, à partir des coupes en deux dimensions fournies par l’IRM, de reconstruire le cerveau du fœtus en trois dimensions, dont on peut alors extraire les caractéristiques des “sulcal pits” potentiellement associées à une anomalie du développement cortical ». Tout comme les connaissances déjà acquises en neurosciences, le développement d’algorithmes spécifiques faisant appel à l’intelligence artificielle joue un rôle important dans le succès de l’entreprise. Actuellement, les chercheurs valident la fiabilité de leurs algorithmes et ciblent une première pathologie, l’agénésie du corps calleux, qui est l’une des principales ciblées par l’IRM foetale.
Le cerveau d’un fœtus vu en IRM selon 3 plans orthogonaux. Les outils développés dans le cadre du projet SulcalGrids permettent de reconstruire le cerveau et la surface corticale en 3D à partir de ces 3 acquisitions IRM (obtenues en routine clinique à l’hôpital de La Timone dans le service du Pr Nadine Girard). © Guillaume Auzias
Répondre à des questions fondamentales pour comprendre le cerveau humain
L’agénésie du corps calleux est une des malformations cérébrales les plus fréquentes, avec une prévalence estimée à environ une grossesse sur 4 000, associée à de nombreuses autres pathologies dévelopementales. Cette anomalie du développement conduit à une absence totale ou partielle de connexion entre les deux hémisphères du cerveau. Cependant, lorsque l'agénésie du corps calleux n'est associée à aucune autre anomalie, environ les deux-tiers des personnes atteintes ne présentent aucun symptôme. Comment cette absence de connexion, très visible sur les IRM, impacte-t-elle le plissement de tout le cortex ? Comment est-il possible d’obtenir un comportement normal chez certains patients malgré une telle différence d’organisation neuronale ? SulcalGrids va contribuer à répondre à ces questions, parmi bien d’autres fondamentales pour notre compréhension du cerveau humain.
« Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-SulcalGRIDS- AAPG 2018-2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle ».
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