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De récentes recherches ont permis d’identifier une série de gènes impliqués dans la propagation de la brucellose, maladie animale transmissible à l’humain et répandue sur l’ensemble de la planète. L’horizon se dégage pour le développement de traitements plus performants et susceptibles de contourner les mécanismes sophistiqués de défense de la bactérie. Explications dans ce nouveau billet du blog « Focus Sciences ».
En France, fin 2022, la brucellose refait parler d’elle après l’apparition d’un foyer infectieux dans un élevage bovin en Haute-Savoie, pour lequel les bouquetins du massif voisin du Bargy sont soupçonnés d’être les transmetteurs. Afin de se prémunir de nouvelles transmissions de cette maladie très contagieuse aux vaches d’alpages qui paissent non loin de là, les autorités préfectorales décident, en octobre, d'abattre préventivement 75 des ongulés sauvages. Cette méthode d'éradication a provoqué des critiques et exacerbé les tensions entre les éleveurs de la région et les défenseurs de la vie sauvage.
Loin des polémiques que ce type de décision provoque, des scientifiques mènent des recherches fondamentales à la racine du problème : la bactérie Brucella. Les travaux les plus récents ont permis de mieux la décrypter, de mieux comprendre ses mécanismes d’infection et ouvrent la voie à des méthodes innovantes pour mieux la combattre.
Les ravages ancestraux de la brucellose
Fléau du bétail depuis l’Antiquité, la brucellose fait toujours des ravages dans les rangs des animaux sauvages et d’élevage de nombreuses régions du monde. La maladie n’épargne malheureusement pas non plus les humains et affecte chaque année des millions de personnes. « Elle demeure une des zoonoses (maladies dont l’origine est animale - ndlr) les plus prévalentes dans le monde » souligne Suzana Salcedo, directrice de recherche Inserm au laboratoire lyonnais Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (MMSB1).
Dans ce contexte, la prudence est de mise en raison des risques sanitaires considérables qu'elle pose. La brucellose peut en effet provoquer de graves troubles, allant de fortes fièvres à des douleurs articulaires et musculaires, ainsi que des complications hépato-biliaire (relatives au foie et aux voies biliaires). Dans certains cas plus sévères, si elle n’est pas diagnostiquée ou traitée à temps, la maladie peut devenir chronique et entraîner des atteintes neurologiques, des troubles cardiovasculaires, ou encore des infections des organes reproducteurs. « Sa nature hautement contagieuse et infectieuse nous oblige à travailler dans un laboratoire de niveau de sécurité biologique 3, avec un contrôle rigoureux de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - ndlr) », souligne la chercheuse américano-portugaise. Brucella est d'ailleurs considérée comme un agent de bioterrorisme, en raison de son potentiel hautement infectieux par voie aérienne.
Depuis sa découverte par le couple Mary Elizabeth et David Bruce à la fin du 19e siècle, la bactérie a été l'objet d'une attention constante de la part de la communauté scientifique, désireuse de percer les mystères de son processus infectieux. Les chercheurs ont ainsi progressivement élucidé ses voies de transmission, ses effets et ses origines, permettant l'émergence de traitements efficaces et de mesures préventives rigoureuses. Ainsi, la vaccination des animaux, les abattages préventifs de bêtes infectées et de leur entourage, ou encore la pasteurisation du lait ont permis de réduire considérablement la propagation de la Brucellose dans de nombreuses régions du monde.
Les mystères de sa propagation en passe d’être élucidés
Les progrès de la science n’ont cependant pas encore suffi à éradiquer cette menace pour la santé publique. Les traitements antibiotiques actuellement disponibles sont longs à suivre (plusieurs semaines), les rechutes fréquentes, les vaccins ne sont pas assez développés et les mécanismes d’infection restent encore largement méconnus. Malgré cela, Suzana Salcedo, qui a consacré l’essentiel de sa carrière de microbiologiste à l’étude de Brucella, se veut optimiste quant à l’émergence prochaine de solutions pour éradiquer ce fléau. Elle souligne d’ailleurs que ses recherches sur le sujet ont pris un tournant majeur il y a une quinzaine d’années lorsqu’elle était rattachée au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML)2. « C’était un moment charnière où nous avons pu cribler (déchiffrer - ndlr) l’ensemble du génome de la bactérie » se rappelle la chercheuse, pour qui un champ des possibles s’ouvrait après des décennies d’incertitudes scientifiques quant aux mécanismes précis permettant à Brucella d’infecter et de se multiplier en contournant le système immunitaire.
Suzana Salcedo est alors parvenue « à identifier une série de gènes candidats qui codaient pour des protéines effectrices de la bactérie. » Elle a, en d’autres termes, établi une liste de gènes qui pourraient être impliqués dans la production de protéines (des effecteurs) capables de modifier la réponse immunitaire de l’hôte infecté et d'ainsi créer un environnement favorable à la croissance bactérienne.
Image de macrophages (bleu) infectés par Brucella abortus (magenta) pendant 65 heures (microscopie confocale). © Suzana Salcedo
Une bactérie plus sournoise qu’il n’y paraît
La découverte de ces protéines (effecteurs) permettant à la bactérie de se faufiler dans les cellules et d'échapper au système immunitaire de l'hôte, a marqué la fin d'une période de stagnation dans la recherche sur Brucella. « Depuis quelques années, les travaux sont très dynamiques, précise-t-elle. On connaît désormais beaucoup de protéines impliquées, mais on décrypte surtout de plus en plus les mécanismes qui permettent aux bactéries de se “cacher” dans les cellules ». Au cœur de cette dynamique scientifique, les récents travaux de son équipe se distinguent particulièrement, en dévoilant le rôle crucial de deux de ces effecteurs dans la progression de l’infection. Une étape indispensable à l'élaboration de traitements innovants pour lutter contre cette infection.
Pour comprendre cette avancée scientifique, il faut plonger au cœur des cellules - plus précisément dans le réticulum endoplasmique, repère favori de Brucella pour s’y répliquer. C’est à cet endroit que se déroulent la fabrication et la synthèse des protéines. Une fois infiltrée, la bactérie est en capacité de discrètement détourner les fonctions du réticulum endoplasmique, pour modifier la réponse immunitaire et pouvoir s’y répliquer sans peine. « Ce qui est incroyable avec Brucella et qu’on observe en laboratoire, c’est que cette bactérie peut complètement coloniser une cellule, la remplir, sans pour autant la tuer » s’exclame la chercheuse. C’est justement ce processus, par lequel la bactérie échappe aux processus de défense de cellules, auquel Suzana Salcedo et son équipe donnent aujourd’hui des clés de compréhension.
Un mécanisme resté trop longtemps caché
L’équipe de recherche a ainsi récemment dévoilé deux avancées majeures, publiées dans des revues prestigieuses et qui portent sur deux effecteurs de Brucella qu’elle est parvenue à décrypter. Le premier, BspL (pour Brucella-secreted protein L) est responsable d'un effet étonnant : en détournant une fonction du réticulum endoplasmique, il ralentit la sortie de la bactérie de la cellule, offrant ainsi plus de temps à Brucella pour se reproduire. Le second effecteur que les chercheurs ont identifié vient de faire l’objet d’une publication dans Nature Communications. « Nous l’avons surnommée Nyx, sourit la directrice de recherche, en référence à la personnification mythologique de la nuit, fille du Chaos, tant la fonction de cette protéine est restée longtemps dans l'ignorance ». Les chercheurs ont compris que Nyx empêche la mobilisation d'une protéine de la cellule hôte, SENP3, qui est importante pour la défense de la cellule.
« La nuit » d’Auguste Raynaud / Artvee
Une nouvelle stratégie thérapeutique
Les chercheurs entrevoient désormais comment Brucella diminue la réponse immunitaire et peuvent désormais s’intéresser à comment développer de nouvelles approches anti virulentes. « L’objectif est de développer un traitement innovant qui, au lieu de tuer la bactérie, bloquerait sa capacité à se cacher dans les cellules et l’empêcherait de se reproduire » explique avec conviction la microbiologiste. Imaginez un projecteur qui mettrait en lumière la bactérie pour que le système immunitaire la repère et puisse la neutraliser efficacement.
Suzana Salcedo rappelle par ailleurs que « les traitements antibiotiques actuellement dispensés pour guérir d’une infection à Brucella sont très lourds : la prise se fait sur des longues semaines et l’infection risque de revenir si les patients ne les suivent pas dans leur totalité ». Or, une approche thérapeutique qui ne cherche pas à éliminer mais plutôt à prévenir la dissimulation d’une bactérie dans les cellules pourrait augmenter l'efficacité de nombreux traitements antibiotiques - d’autant plus que la communauté scientifique est de plus en plus préoccupée par les résistances croissantes à ces médicaments.
Une percée qui pourrait, à terme, contribuer à éliminer la brucellose et ainsi éviter l’éclosion de tensions sociales autour de la gestion des foyers infectieux, tout en offrant un nouvel horizon thérapeutique pour de nombreuses autres infections bactériennes, comme celles provoquées par Acinetobacter baumannii, que l’équipe de Suzana Salcedo étudie également.
Cet article fait partie d’un dossier thématique sur l’antibiorésistance "Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions" réalisé en collaboration avec Pop’Sciences - Université de Lyon (mai 2023).
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au titre du projet ANR-Charm-Ed-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).
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du journal CNRS