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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches s'inscrivent dans le programme « Science avec et pour la société » de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
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Par le réseau de communicants du CNRS

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Une catalyse sélective pour les pyridines
23.07.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 23.07.2025

Présentes dans différentes molécules à base d’azote, les pyridines restent difficiles à manipuler, même avec des catalyseurs. Une équipe rennaise travaille cependant à une catalyse plus efficace et plus durable de ces molécules d’intérêt industriel.

La catalyse vise à accélérer une réaction ou à la rendre plus sélective, c’est-à-dire s’assurer d’obtenir un produit plutôt qu’un autre. Ce phénomène, incontournable en chimie, se rencontre également en biologie : ce sont alors les enzymes qui jouent le rôle de catalyseurs.

« Nous nous intéressons à la catalyse tout en nous inspirant de la nature, explique Rafael Gramage-Doria, chargé de recherche CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes1. Dans leur mode de fonctionnement, les enzymes possèdent une première sphère de coordination2 où la réaction de catalyse a lieu, mais aussi une seconde sphère de coordination qui leur permet de reconnaître les molécules. Cela se produit grâce à des interactions faibles, notamment avec des liaisons hydrogène, et c’est ce qui fait que leurs réactions sont très efficaces et sélectives. »

Avec son équipe, Rafael Gramage-Doria veut utiliser la catalyse pour ajouter des fonctions chimiques à des pyridines. « Nous étudions les pyridines car ce sont des noyaux aromatiques que l’on trouve dans de nombreuses molécules d’intérêt industriel, comme en chimie fine, en pharmacie et en agrochimie, précise Rafael Gramage-Doria. Elles sont présentes dans beaucoup de molécules organiques à base d’azote. »

Une catalyse difficile

Les pyridines sont cependant très difficiles à fonctionnaliser avec des catalyseurs à base de métaux de transition, comme l’iridium, pour des raisons chimiques : elles déplacent en effet les ligands de la première sphère de coordination via la coordination du doublet non liant de l’azote. Cela inhibe la catalyse ou, au mieux, conduit à une réactivité très faible.

« Nous préférons donc un autre type d’interaction faible, que la nature n’emploie pas et qui n’a jamais été utilisé de cette manière : les liaisons de coordination entre un métal et la molécule à catalyser, poursuit Rafael Gramage-Doria. En plus, cela passe par l’activation de liaisons carbone-hydrogène, qui sont les plus abondantes et si stables qu’elles étaient considérées comme inertes. Mais cela fait quelques décennies que les chercheurs s’intéressent à ces liaisons pour en faire une entre un carbone et un hétéroatome, c’est-à-dire un atome autre que du carbone ou de l’hydrogène. Cela permet de réduire les étapes de préparation d’intermédiaires dans l’optique d’une chimie plus durable. »

L’importance du bore

Les pyridines présentent trois types de liaisons carbone-hydrogène, et il est difficile de faire en sorte que la réaction ne se passe qu’avec une seule d’entre-elles, bien choisie. Rafael Gramage-Doria utilise l’atome d’azote comme site d’ancrage à la molécule grâce à la deuxième sphère de coordination, à base d’un métal abondant tel que le zinc. La première sphère de coordination du catalyseur, à base d’iridium, va servir à introduire une fonctionnalité à base de bore. Une fois le bore en place, il est facile de le remplacer par des réactions de chimie classique. La sélectivité s’opère en fonction de la distance entre l’iridium et le zinc. Comme ces réactions sont sensibles à l’air, elles doivent se faire sous atmosphère inerte, avec de l’argon ou de l’azote. Elles peuvent également être perturbées par l’humidité.

Ces travaux ont mené à de multiples résultats. Un doctorant a ainsi pu faire sa thèse sur le sujet et a démontré que l’on peut préparer ce type de catalyseurs à base d’iridium contenant aussi du zinc. Il a de plus montré que ces catalyseurs peuvent interagir de manière faible avec l’azote des pyridines et activer une seule liaison carbone-hydrogène parmi d’autres avec une sélectivité de 99 %. Des études cinétiques ont ensuite prouvé que le système de catalyse développé au sein de l’équipe animé par Rafael Gramage-Doria se comporte bien comme une enzyme et qu’il peut distinguer des familles de pyridines chimiquement très proches pour ne réagir qu’avec une seule d’entre elles. « Cela signifie que l’on peut travailler à partir de mélanges, et pas seulement de produits de départs parfaitement propres », précise Rafael Gramage-Doria.

Le comportement des enzymes

Ces catalyseurs permettent d’obtenir un haut de degré de sélectivité en jouant sur la distance entre le site actif et le site de reconnaissance. L’équipe a aussi démontré que si l’on change les atomes autour de l’iridium, la sélectivité n’était pas affectée car c’est bien la distance entre le site actif et le site de reconnaissance qui importe.

« Des équipes internationales nous ont sollicités pour faire des études de chimie théorique et computationnelle sur nos travaux, se réjouit Rafael Gramage-Doria. D’un point de vue mécanistique, ils ont mis en évidence des étapes un peu étranges dans la réaction que l’on retrouve parfois, mais rarement, dans le fonctionnement de certaines enzymes, et presque jamais dans les systèmes artificiels. »

Rafael Gramage-Doria poursuit ces travaux en essayant de changer l’iridium par des métaux moins coûteux, comme le cuivre ou le nickel. Il veut aussi s’attaquer à des molécules plus complexes à base d’azote, comme les quinoléines qui présentent sept types de liaisons carbone-hydrogène. « Un groupe aux États-Unis l’a déjà fait avec du palladium, commente Rafael Gramage-Doria. Nous allons tenter d’obtenir une sélectivité différente, mais avec du cuivre ou du nickel en appliquant notre concept. » De quoi contribuer à une chimie plus durable avec des matériaux plus abondants.

Transformation sélective d'une liaison C-H d'une molécule de pyridine à l'aide d'un catalyseur supramoléculaire d'iridium capable d'interagir avec le substrat par une liaison de coordination labile zinc azote © Rafael Gramage-Doria.
Transformation sélective d'une liaison C-H d'une molécule de pyridine à l'aide d'un catalyseur supramoléculaire d'iridium capable d'interagir avec le substrat par une liaison de coordination labile zinc azote © Rafael Gramage-Doria.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Fonctionnalisation "remote" des molécules par catalyse supramoléculaire – REMOTCAT ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).

Notes
  • 1. ISCR, CNRS/ENSC Rennes/Univ. Rennes
  • 2. La première sphère de coordination désigne l’ensemble des molécules et des ions directement attachés à un centre métallique, ici de l’iridium. La seconde sphère de coordination comprend les éléments, avec ici notamment du zinc, attachés à cette première sphère.