Dix ans après, un accord de Paris aux résultats mitigés
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Dix ans après, un accord de Paris aux résultats mitigés
C’est un drôle d’anniversaire que celui de l’accord de Paris sur le climat. Il y a tout juste 10 ans, 195 pays adoptaient par consensus l’objectif de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre « dès que possible », afin de maintenir le réchauffement climatique en-dessous de 2 °C par rapport à la température de l’ère préindustrielle (et, si possible, en-dessous de 1,5 °C). Pour la première fois, le monde entier se tenait au chevet du climat, reconnaissant l’urgence d’agir.
Pourtant, une décennie plus tard, on semble loin du compte… Alors que la 30e conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 30) s’ouvre à Belém, au Brésil, le 10 novembre 2025, c’est aussi l’heure du bilan d’un accord aussi inédit que la situation qu’il vise à résoudre.
L’accord de la dernière chance
Une chose est sûre : le samedi 12 décembre 2015 restera dans les annales de l’histoire de la gouvernance mondiale. À 19h29, dans une ambiance électrique, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et président de la 21e conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), abattait son marteau sur le pupitre, scellant un accord immédiatement salué par une longue ovation de la salle plénière du Bourget. « Notre responsabilité est historique, car nous sommes la première génération à prendre conscience du problème et la dernière à pouvoir agir », déclarait le responsable politique.
Les pays signataires, se fondant sur les recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), s’engageaient à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à travers des plans nationaux volontaires appelés « contributions déterminées au niveau national » (CDN), révisées tous les cinq ans.
S’ajoutait à cet engagement la nécessité pour les pays développés d’apporter une aide financière aux nations les plus vulnérables. « À Paris, on a assisté à la naissance d’une forme de diplomatie fondée sur la science et aboutissant à un accord universel reflétant une prise de conscience globale », souligne Agathe Euzen [10], directrice adjointe de CNRS Écologie & Environnement.
L’accord de Paris gagne peu à peu en robustesse au fil des COP successives. En 2018, la COP 24, à Katowice (Pologne), adopte ainsi un ensemble de règles (le « rulebook ») précisant la manière de mesurer, déclarer et vérifier les émissions de gaz à effet de serre de chaque pays. L’accord devient réellement opérationnel et transparent.
En 2021, à Glasgow (Écosse), la COP 26 appelle à une « réduction progressive » du charbon, avant que la COP 28 de Dubaï (Émirats arabes unis), deux ans plus tard, franchisse un cap historique en reconnaissant la nécessité de sortir des énergies fossiles dans leur ensemble. Par ailleurs, la COP 27 de Charm el-Cheikh (Égypte), en 2022, acte la création d’un fonds « pertes et dommages » pour aider les pays les plus vulnérables.
Selon Marta Torre-Schaub, juriste à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne1, « l’ensemble des mécanismes relatifs à l’accord de Paris, auxquels s’ajoute tout le droit international dédié au climat, constituent aujourd’hui un socle juridique suffisant à même de traiter la problématique de la lutte contre le réchauffement climatique ». « L’accord de Paris fait du climat la question centrale à laquelle sont adossées toutes les autres », ajoute Jean Foyer, anthropologue au Centre de recherche et de documentation sur les Amériques2 et co-coordinateur d’un projet d’ethnographie collaborative visant à documenter, depuis Belém, les tensions naissant d’une politique climatique mondiale.
Des gaz à effet de serre en hausse
Toutefois, 10 ans après la signature de cet accord historique, force est de constater que les résultats concrets se font attendre sur le front du climat…
Dès 2013, le cinquième rapport du Giec confirmait que la température moyenne mondiale dépendait du cumul des émissions de gaz à effet de serre [12]. En clair, pour arrêter le réchauffement, il n’y a qu’une seule solution : stopper net les émissions de carbone, ce que le sixième rapport du Giec, publié en 2021, fait figurer noir sur blanc. « Dès lors que les émissions nettes seront égales à 0, la température de la Terre se stabilisera en quelques dizaines d’années, de même qu’une grande partie du régime des précipitations et des chaleurs extrêmes », explique Jean-François Doussin, directeur adjoint de CNRS Terre & Univers.
À tout objectif chiffré de stabilisation de la température mondiale correspond un budget d’émissions à ne pas dépasser. Ainsi, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, il faut atteindre le « 0 émission nette » dès 2050 ; pour le limiter à 2 °C, la date-butoir est fixée à 2070. Concrètement, à la date d’aujourd’hui, ne pas dépasser le seuil de 1,5 °C implique de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 42 % à l’horizon 2030 par rapport à la référence de 2019 (ou de 28 % pour rester au-dessous du seuil de 2 °C).
Au vu de la trajectoire actuelle des émissions, cela semble difficile, voire impossible. À ce jour, 107 pays couvrant 82 % des émissions ont fourni des objectifs d’atténuation quantifiés, conformément aux termes de l’accord de Paris. Et 10 membres du G20, dont l’Union européenne, ont déjà passé leur pic d’émission. Mais en additionnant tous ces engagements (et en imaginant que les États les tiendront), la baisse des émissions de gaz à effet de serre ne devrait être que d’environ 4 % en 2030 par rapport au niveau de 2019… Très loin des ambitions affichées par l’accord de Paris, donc.
Pire, les émissions liées aux activités humaines ont en réalité progressé de 1,3 % entre 2022 et 2023, soit un rythme supérieur à la moyenne de la décennie 2010-2019. Et la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère ne cesse de croître. Selon l’Organisation météorologique mondiale, la concentration moyenne mondiale de CO2 a enregistré en 2024 sa « plus forte hausse depuis le début des mesures modernes, en 1957 »3. Non seulement les contributions fixées par chaque pays – les fameuses CDN – ne sont pas à la hauteur des enjeux, mais les pays les mettent en œuvre à un rythme bien trop lent.
Résultat : en 2024, la température moyenne à la surface de la Terre a franchi pour la première fois le seuil de +1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle. Si rien ne change, nous nous acheminons vers un réchauffement de la température planétaire de 3,1 °C à la fin du siècle, selon les experts onusiens. Et ce, alors même que les effets du réchauffement climatique se font déjà durement ressentir, avec la multiplication des événements climatiques extrêmes : tempêtes, vagues de chaleur [14], sécheresses [15], inondations [16]…
« La manière dont réagit le système Terre à nos émissions n’est pas une surprise. Tout ce qui est observé aujourd’hui avait été globalement prédit par les scientifiques », rappelle Gerhard Krinner, chercheur à l’Institut des géosciences de l’environnement4, qui a contribué à la rédaction du sixième rapport du Giec [17]. En cause : un cercle vicieux dans lequel se répondent émissions humaines, multiplication des feux de forêt [18] et réduction de l’absorption du carbone par les écosystèmes…
L’océan en surchauffe
À la hausse constatée des températures s’ajoutent plusieurs constats inquiétants mesurés par les scientifiques. « Les océans se réchauffent plus vite que prévu par les modèles [19], détaille Agathe Euzen. De même, la cryosphère [20] (l’ensemble des masses de glace, de neige et de sols gelés) fond plus rapidement. » Sans même parler du dépérissement de la forêt amazonienne [21] ou de la mort des récifs coralliens [22] d’eau chaude dont dépendent 1 milliard de personnes et un quart de la vie marine…
C’est toute l’ambiguïté de l’accord de Paris. Théoriquement, les contributions déterminées par chaque pays (les CDN) sont « juridiquement contraignantes, si bien que les États ont l’obligation légale de les mettre en œuvre au travers de leurs droits nationaux », rappelle Marta Torre-Schaub. Mais, dans les faits, il est impossible de contraindre un État à respecter ses engagements, constate la juriste, d’autant que le contrôle de ces obligations est difficile à mettre en œuvre. Sans oublier qu’une poignée d’États refusent cet accord, au premier rang desquels les États-Unis de Donald Trump, pourtant l’un des principaux contributeurs à l’émission de gaz à effet de serre.
Attention cependant à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, alertent les scientifiques. « Le monde est incontestablement meilleur avec l’accord de Paris que sans », tranche Gerhard Krinner. « Avec l’accord, on est actuellement sur une trajectoire de +3 °C en 2100. Sans, on serait à +4 ou à +5 °C », affirme Jean-François Doussin.
La possibilité d’une justice climatique
« L’accord de Paris sert de référence, poursuit Agathe Euzen. Pour les États, bien sûr, mais également pour de très nombreux acteurs non étatiques et ce, à toutes les échelles, notamment dans les grandes villes du monde qui s’engagent souvent de manière très concrète dans la lutte contre le réchauffement climatique. »
Sur le plan juridique, l’accord de Paris facilite les possibilités de recours en justice contre les États (ou les entreprises pollueuses) qui ne respecteraient pas leurs engagements. En France, dans le cadre de « l’affaire du siècle [25] », le tribunal administratif de Paris a ainsi reconnu en 2021 que l’État français avait manqué à ses obligations climatiques et l’a enjoint à prendre des mesures. Il faut également citer l’action intentée en Allemagne par Saul Luciano Lliuya, un agriculteur péruvien, contre l’entreprise allemande d’électricité RWE pour sa responsabilité partielle dans la fonte des glaciers et les inondations au Pérou. « Si la Cour d’appel a rejeté la réclamation du plaignant, elle a néanmoins reconnu le principe d’une responsabilité civile pour un gros émetteur du fait des dommages causés (même dans un pays étranger) en conséquence du changement climatique », commente Marta Torre-Schaub.
Mieux : le 23 juillet dernier, la Cour internationale de justice a rendu un avis5 affirmant que les États ont l’obligation de prévenir les dommages climatiques, et qu’ils peuvent être tenus pour responsables en cas de manquement, avec la possibilité de demandes de réparations. L’avis n’est que consultatif, mais, selon Marta Torre-Schaub, « c’est une étape majeure qui affirme que c’est désormais la totalité du droit international qui peut être interprétée à la lumière de l’urgence climatique ».
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Les COP en question
D’un côté, les rapports du Giec, fruit du travail de la communauté scientifique mondiale et base des négociations lors des COP, indiquent un chemin clair et n’ont « pas d’équivalent à l’échelle de l’humanité », assure Jean-François Doussin, directeur adjoint de CNRS Terre & Univers. De l’autre, les COP sont le lieu de la diplomatie, où les États reprennent la main et négocient en direct (même si des scientifiques y sont conviés). Au sein de ces assemblées, « au-delà de l’urgence climatique, apparaissent des enjeux géopolitiques où priment souvent les intérêts particuliers », regrette Agathe Euzen.
Un exemple : lors de la COP 28, qui s’est tenue en 2023 aux Émirats arabes unis, les petits États insulaires réclamaient une sortie rapide des énergies fossiles, tandis les pays producteurs ont joué de tout leur poids pour qu’une formulation moins claire soit finalement retenue. Autre difficulté posée par les COP, constate Gerhard Krinner : « la nécessité de l’unanimité lorsque des décisions sont prises conduit à des textes souvent en-deçà de ce qui serait nécessaire ».
Et pourtant… Dans un monde de plus en plus fragmenté, « les COP et les accords qui en découlent sont probablement le signe le plus tangible de la possibilité de faire vivre une forme de multilatéralisme, une arène où entretenir l’idée de la construction d’un monde commun », estime Marta Torre-Schaub. L’anthropologue Jean Foyer confirme : « On peut les voir avec cynisme, mais l’autre solution c’est la guerre de tous contre tous, ce qui fait probablement de l’accord de Paris un bien commun très précieux dans le contexte géopolitique actuel. »
Consultez aussi
Climat : le défi du siècle [26] (dossier)
« L’origine humaine du réchauffement fait officiellement consensus depuis au moins 15 ans » [27]
Énergies : le mythe de la transition [28]
- 1. ISJPS, unité CNRS/Université Panthéon-Sorbonne. Marta Torre-Schaub est également directrice du réseau CNRS Droit et changement climatique, ClimaLex.
- 2. Creda, unité CNRS/Université Sorbonne Nouvelle.
- 3. Voir : https://tinyurl.com/OMM-CO2 [29]
- 4. IGE, unité CNRS/Inrae/IRD/Université Grenoble Alpes.
- 5. Voir : https://tinyurl.com/CIJ-climat [30]











