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Le nuage, pièce méconnue du puzzle climatique

Dossier
Paru le 30.11.2023
Climat : le défi du siècle

Le nuage, pièce méconnue du puzzle climatique

19.04.2023, par
Pour mieux comprendre le rôle que jouent les nuages sur le climat et son évolution, Sandrine Bony, coordinatrice de la campagne aéroportée EUREC4A, a étudié le comportement des cumulus d’alizés au-dessus de l’océan Atlantique.

La campagne EUREC4A1 menée près de la Barbade, dans les Antilles, au début de l’année 2020, a impliqué une vingtaine de laboratoires et de services du CNRS et des dizaines d’institutions étrangères. Quels étaient les enjeux pour susciter autant d’intérêt ?
Sandrine Bony2. Cette campagne visait à mieux comprendre le rôle dans le climat des phénomènes de petite échelle dans l’atmosphère et dans l’océan. Pour la composante aéroportée, il s’agissait notamment de tester le mécanisme par lequel certains modèles climatiques prédisent une amplification du réchauffement climatique par la diminution de la couverture nuageuse des petits cumulus dans la région des alizés. C’était la première campagne de terrain conçue pour s’attaquer à ce problème et réduire l’une des plus grandes sources d’incertitude3 dans les prévisions climatiques.

La zone de convergence intertropicale et ses formations nuageuses, au niveau de l’équateur, sont scrutées par les satellites météorologiques.
La zone de convergence intertropicale et ses formations nuageuses, au niveau de l’équateur, sont scrutées par les satellites météorologiques.

Dans quelle mesure les nuages peuvent-ils influencer l’évolution du climat ?
S. B. Les nuages sont les principaux modulateurs du bilan radiatif terrestre. Mais, tous n’ont pas le même impact, cela dépend de leur composition, de leur extension horizontale et de la température de leur sommet. Pour simplifier : les nuages hauts et froids empêchent une partie du rayonnement infrarouge émis par la Terre de s’échapper vers l’espace, ce qui contribue à l’effet de serre et réchauffe le climat. À l’inverse, les nuages réfléchissent les rayons du soleil vers l’espace, ce qui tend à refroidir le climat. C’est ce qu’on appelle l’effet parasol.

En moyenne, sur toute la Terre, les nuages ont un effet refroidissant sur le climat car l’effet parasol l’emporte sur l’effet de serre nuageux. Cela provient principalement des nuages bas, de type stratus, stratocumulus ou petits cumulus pour lesquels l’effet parasol n’est pas compensé par l’effet de serre nuageux.

En quoi les nuages d’alizés jouent-ils un rôle particulier dans le bilan radiatif ?   
S. B. Ces petits cumulus qui couvrent l’essentiel des océans dans les régions où soufflent les alizés ne sont pas impressionnants mais constituent de loin le type de nuages le plus fréquent à la surface de la Terre. C’est la majorité silencieuse des nuages ! Leur réponse au réchauffement peut donc influencer de manière importante le bilan radiatif et produire ce qu’on appelle une rétroaction, qui peut amplifier ou atténuer le réchauffement. Ces nuages jouent donc un rôle crucial dans la régulation de la température de la planète.

Ces petits nuages de basse altitude sont des cumulus d’alizés, ici organisés en arcs de cercle (campagne aéroportée Narval 2, en 2016).
Ces petits nuages de basse altitude sont des cumulus d’alizés, ici organisés en arcs de cercle (campagne aéroportée Narval 2, en 2016).

Comment avez-vous procédé pour les observer ?
S. B. Pour comprendre comment les nuages interagissent avec les conditions environnementales, il est nécessaire d’étudier leurs propriétés en même temps que celles de l’environnement dans lequel ils se forment. Pour cela, nous avons utilisé de nombreuses plateformes d’observation : quatre avions et navires de recherches, l’observatoire de l’atmosphère sur l’île de la Barbade et de nombreux instruments pour sonder l’atmosphère ainsi que différentes plateformes autonomes dans l’air, dans l’eau et à la surface de l’océan.
 
Votre mission consistait à tester le réalisme du mécanisme de certains modèles climatiques prédisant une forte amplification du réchauffement par les nuages bas. Qu’est-ce qui justifiait cette hypothèse et quel a été le résultat ?    
S. B. On sait que plus la mer est chaude, plus le brassage vertical de la vapeur d’eau assèche efficacement les basses couches de l’atmosphère. L’hypothèse avancée par ces modèles était que ce mécanisme allait diminuer la couverture nuageuse. Les observations de la campagne EUREC4A montrent que si le mélange vertical affecte bien l’humidité des basses couches de l’atmosphère, il ne se traduit pas par une dessiccation à la base des nuages4 car l’effet est compensé par celui des circulations atmosphériques qui se produisent à des échelles spatiales de quelques centaines à quelques dizaines de kilomètres.

Organisation nuageuse en forme de « fleurs », observée par le spectroradiomètre Modis à bord du satellite Terra, le 9 février 2017 (à gauche, en vert, l'île de la Barbade, large d'une vingtaine de kilomètres).
Organisation nuageuse en forme de « fleurs », observée par le spectroradiomètre Modis à bord du satellite Terra, le 9 février 2017 (à gauche, en vert, l'île de la Barbade, large d'une vingtaine de kilomètres).

Qu’en avez conclu ?
S. B. Nos résultats montrent que la couverture des petits cumulus est moins contrôlée par les variations d’humidité que par la dynamique atmosphérique, ce qui rend peu plausible la forte amplification du réchauffement prédite par les modèles dans lesquels les petits cumulus sont principalement contrôlés par l’humidité atmosphérique5 . L’analyse des facteurs qui contrôlent les variations de ces nuages entre le jour et la nuit a confirmé ce résultat67

Pour obtenir ces résultats, vous avez développé des méthodes de mesure inédites. En quoi consistent-elles ?
S. B. Avec mes collègues français, Julien Delanoë et Patrick Chazette, nous avons réalisé pour la première fois des mesures lidar et radar en visée horizontale à travers les hublots de l’avion français ATR-42 de Safire8  pour mesurer la fraction nuageuse à la base des nuages. Nous avons aussi développé une méthode avec mes collègues de l’Institut Max Planck de météorologie de Hambourg pour mesurer les mouvements d’air ascendants et descendants entre 10 km d’altitude et la surface, avec des dropsondes lancées de façon intensive depuis l’avion allemand HALO qui décrivait de grands cercles dans la haute atmosphère. À partir des observations des différentes plateformes, nous avons pu établir les bilans de masse, d’eau et de chaleur de la couche sous-nuageuse qui contrôle dans une large mesure la formation des petits cumulus. Enfin, un ensemble de sondes et de capteurs installés sur l’ATR-42 par mes collègues français de Safire, du Laboratoire d'aérologie9 et du Laboratoire de météorologie physique10, a permis de mesurer la turbulence et les propriétés microphysiques des nuages.
 

Le radar doppler Basta, développé par l’équipe de Julien Delanoë (LATMOS/IPSL), a permis de sonder l’atmosphère horizontalement, à travers les hublots de l’ATR-42, pour mesurer la couverture nuageuse à la base des nuages.
Le radar doppler Basta, développé par l’équipe de Julien Delanoë (LATMOS/IPSL), a permis de sonder l’atmosphère horizontalement, à travers les hublots de l’ATR-42, pour mesurer la couverture nuageuse à la base des nuages.

Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette campagne ?
S. B. D’abord qu’il est possible, à partir d’observations de terrain, d’évaluer certains des mécanismes à l’œuvre dans les simulations de changement climatique. Ensuite, que ces campagnes nous apprennent beaucoup de choses que nous n’avions pas prévues. Par exemple, nous avons mis en évidence l’omniprésence des circulations atmosphériques de mésoéchelle dans la basse atmosphère, et montré leur importance pour l’organisation spatiale des nuages et le bilan radiatif. Cela pose de nouvelles questions et ouvre un nouveau champ de recherche très riche pour les sciences de l’atmosphère et du climat.
 
Ces découvertes remettent-elles en question les conclusions du dernier rapport du Giec ? 
S. B. Non, car dans le dernier rapport du Giec, les estimations de la sensibilité climatique reposent sur une nouvelle méthodologie qui prend en compte un grand nombre de facteurs et dépend assez peu des rétroactions nuageuses prédites par les modèles climatiques. Les résultats d’EUREC4A tendent plutôt à renforcer ses conclusions. En revanche, une question qui n’a pas encore été considérée et qu’il s’agira d’examiner dans le prochain rapport du Giec, est l’effet potentiel des changements d’organisation spatiale des nuages sur les projections climatiques. En d’autres termes, la campagne EUREC4A a permis de placer une pièce sur le puzzle climatique, nous nous intéressons désormais à toutes celles qui restent à placer !
 
La moindre sensibilité des nuages devrait limiter l’amplitude du réchauffement climatique dans les années à venir, c’est quand même une bonne nouvelle ! 
S. B. Même si certains nuages semblent plus résilients au changement climatique que ce que nous pensions, il faut impérativement réduire nos émissions de carbone. D’une part parce que d’autres mécanismes amplificateurs du réchauffement sont à l’œuvre, liés par exemple à l’augmentation de la vapeur d’eau et à la fonte de la neige et de la glace et parce que la hausse de la température moyenne dépendra fortement de la quantité de gaz à effet de serre accumulée dans l’atmosphère. ♦

Notes
  • 1. Elucidating the role of cloud-circulation coupling in climate (Elucider le rôle du couplage nuage-circulation dans le climat). Cette campagne, coorganisée par Sandrine Bony (LMD/IPSL, Paris), Bjorn Stevens (MPI, Hamburg) et David Farrell (CIMH, Barbados), a été complétée par une campagne océanographique visant à étudier les tourbillons océaniques et les échanges entre l’océan et l’atmosphère, coordonnée en France par Sabrina Speich (professeure à l’ENS) et en Allemagne par Johannes Karstensen du GEOMAR.
  • 2. Directrice de recherche au CNRS, au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD - unité CNRS, Sorbonne Université, École polytechnique/ENS-PSL), Sandrine Bony est lauréate de la médaille d'argent du CNRS 2018.
  • 3. Bony, S. & Dufresne, J.-L. Marine boundary layer clouds at the heart of tropical cloud feedback uncertainties in climate models. Geophys. Res. Lett. 32, L20806 (2005). https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2005GL023851
  • 4. Vogel R, A L Albright, J Vial, G George, B Stevens and S Bony, 2022: Strong cloud–circulation coupling explains weak trade cumulus feedback. Nature, 612, 696-700, https://www.nature.com/articles/s41586-022-05364-y
  • 5. Bony, S., B. Stevens, F. Ament et al, “EUREC4A: A field campaign to elucidate the couplings between clouds, convection and circulation, Surveys of Geophysics, 38(6), 1529-1568, 2017. doi:10.1007/s10712-017-9428-0
  • 6. Vial J, A L Albright, R Vogel. I Musat and S Bony (2023): Cloud transitions across the daily cycle illuminates model responses to trade cumuli to warming. Proc. Natl. Acad. Sci, 120 (8), e2209805120, https://doi.org/10.1073/pnas.2209805120
  • 7. Stevens, B., S. Bony, D. Farrell et al. (293 co-authors), 2021: EUREC4A, Earth Syst. Sci. Data, 13, 4067–4119, https://doi.org/10.5194/essd-13-4067-2021
  • 8. Service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement.
  • 9. Laero : unité CNRS/Université Toulouse Paul-Sabatier.
  • 10. Lamp : unité CNRS/Université de Clermont-Auvergne.
Aller plus loin

Auteur

Carina Louart

Journaliste et auteur, Carina Louart est spécialisée dans les domaines du développement durable, des questions sociales et des sciences de la vie. Elle est notamment l’auteur de La Franc-maçonnerie au féminin, paru chez Belfond, et de trois ouvrages parus chez Actes Sud Junior : Filles et garçons, la parité à petits pas ; La Planète en partage à petits pas ; C’...

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